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Le Monde.fr : Le plafonnement à venir de l’intérim médical à l’hôpital suscite des inquiétudes

Mars 2023, par infosecusanté

Le Monde.fr : Le plafonnement à venir de l’intérim médical à l’hôpital suscite des inquiétudes

Le gouvernement veut appliquer, à partir du 3 avril, un contrôle du tarif maximum pour l’emploi d’intérimaires. Dans certains établissements publics, on craint une désertion de ces professionnels nécessaires à la bonne marche des services.

Par Mattea Battaglia

Publié le 19/03/2023

Ira-t-on au « bras de fer » ? Au rapport de force entre directions hospitalières et médecins intérimaires ? La question résonne dans bon nombre d’hôpitaux publics, à trois semaines de l’entrée en vigueur, le 3 avril, de la loi sur le plafonnement strict de l’intérim médical. Des hôpitaux où, en moyenne, quelque 30 % des postes de praticiens hospitaliers sont vacants, selon l’estimation communément avancée, et où un volant d’intérimaires vient, à la demande, pallier les manques.

Ces intérimaires sont « au moins 5 000 », chiffre-t-on dans les rangs syndicaux, surtout dans les spécialités « à pied d’œuvre 24 heures sur 24 » – les urgences, l’obstétrique, l’anesthésie, la pédiatrie… « Au moins 10 000 », assure-t-on du côté du Syndicat national des médecins remplaçants hospitaliers (SNMRH), qui les représente.

Le nouveau plafond salarial est fixé à 1 170 euros brut pour une mission de vingt-quatre heures. Nouveau, en pratique seulement : il a été gravé dans le marbre de la loi Touraine, en 2016, et renforcé par la loi Rist qui a établi des contrôles, en 2021. Mais jamais appliqué, jusqu’à présent, pour ne pas accroître la pression sur des hôpitaux aux prises avec l’épidémie de Covid-19.

Ce montant pourrait évoluer « un peu à la hausse », d’ici au 3 avril, fait-on savoir au ministère de la santé. Mais passé ce délai, tout hôpital qui ferait appel à un intérimaire à des tarifs supérieurs serait bloqué par le comptable public. Et les établissements craignent que les intérimaires manquent à l’appel, s’ils estiment que le compte n’y est plus, mettant l’équilibre général, déjà précaire, en péril.

« Mercenaires multirécidivistes »
Pénurie de personnels oblige, les tarifs en vigueur sont aujourd’hui plus élevés : entre 1 200 et 2 000 euros la garde, « c’est la fourchette dans laquelle s’inscrivent 80 % des offres d’intérim qui nous sont faites, en net », rapporte l’urgentiste Eric Reboli, président du SNMRH, lui-même intérimaire. Parfois, quand il s’agit de samedis, de dimanches, de jours fériés, les montants proposés peuvent dépasser 2 000 voire 3 000 euros. Voire davantage : le ministère fait état d’une « garde record » de 6 000 euros, repérée à Noël. C’est bien plus que ce que gagne un jeune praticien hospitalier (PH) en un mois. Ou une infirmière en deux ou trois mois.

Une « surenchère » à laquelle le ministre de la santé, François Braun, entend mettre un terme : « Je ne suis pas opposé à l’intérim en général, mais aux pratiques de certains mercenaires multirécidivistes, qui se vendent au plus offrant ».

« C’est le fait d’une petite minorité, assure le docteur Reboli, qui a opté pour l’intérim après une première carrière en clinique privée. L’hôpital public ne tient pas sans nous. » Bon nombre d’intérimaires ont exercé dans le public – où y exercent encore, à temps partiel –, avant d’évoluer dans leur exercice professionnel, « pour reprendre le contrôle de leur emploi du temps bien plus que pour des raisons pécuniaires », fait aussi valoir ce médecin.

Un coût de 1,5 milliard d’euros par an
« On ne peut pas continuer d’accepter un hold-up éthique qui nourrit la concurrence et déstabilise les équipes en place », reprend François Braun. L’intérim pèse sur les comptes des hôpitaux : le coût de 1,5 milliard d’euros par an, calculé par la Fédération hospitalière de France (FHF) qui soutient la réforme, est confirmé par le ministère.

« Cette somme, je veux l’investir pour les médecins hospitaliers qui restent en place et qui tiennent la barre. Et cette fois-ci, on ne rétropédalera pas », dit-il aussi, en référence à la frange d’élus qui réclament des « dérogations circonstanciées ». En référence, aussi, au « rétropédalage » de son prédécesseur, Olivier Véran, qui, à l’automne 2021, avait reporté l’échéance.

Les alertes restent nombreuses. « Ce sont des dizaines, des centaines de lignes de garde qui vont fermer, et, avec elles, des lits d’hospitalisation », avance Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France. « Le saut est excessivement compliqué à faire », réagit aussi Marc Noizet, à la tête de SAMU-Urgences de France.

Comme la plupart des acteurs de santé, ces deux syndicalistes-urgentistes sont favorables à la mesure de plafonnement « sur le principe ». Mais épinglent un « problème de méthode » : « Vouloir combattre l’intérim avant d’avoir restauré l’attractivité des carrières hospitalières, c’est mettre la charrue avant les bœufs », disent-ils de concert, en réclamant une évolution des rémunérations, une revalorisation pérenne des gardes, ainsi que le rattrapage des quatre ans d’ancienneté pour les PH nommés avant le 1er octobre 2020 (en lien avec l’évolution de la grille des rémunérations lors du Ségur de la santé).

Une vague de fermetures ?
Mêmes revendications du Syndicat national des praticiens anesthésistes-réanimateurs élargi, dont la présidente, Anne Wernet, réclame un « geste fort » : la « revalorisation immédiate », avant le 3 avril, de la permanence des soins. Jean-François Cibien, d’Action praticiens hôpital (APH), dit redouter une « vague de fermetures d’unités de proximité ».

L’inquiétude est vive, aussi, dans les rangs du collectif Santé en danger ou de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité. Ces dernières font partie des établissements où le départ d’intérimaires fait craindre des turbulences.

Combien seraient-ils, ces hôpitaux affectés ? La presse s’est fait l’écho de situations tendues en Bretagne, en Nouvelle-Aquitaine, dans le Vaucluse, à Ajaccio, Bourges, Epinal… Mais en dehors d’un recensement parti de la branche Grand-Est de la Fédération hospitalière de France, qui a décompté 79 services exposés à un risque de fermeture totale ou partielle, difficile de faire préciser au ministère la « cartographie des risques », comme disent les soignants.

Celle-ci est tenue à jour, avec le concours des agences régionales de santé. « Jusqu’au 2 avril, elle va évoluer, justifie-t-on dans l’entourage du ministre. Les négociations se font localement, au cas par cas, avec les médecins intérimaires. » Certains, souffle-t-on dans les services « RH », ont déjà accepté de renégocier leur collaboration ; d’autres, non. Beaucoup n’ont pas encore répondu.

Une ligne « Braun »
« On peut penser que les hôpitaux de petite taille seront plus affectés, observe Rémi Salomon, président de la Conférence des présidents de commission médicale d’établissement des CHU. Encore que : il peut y avoir des effets sur de gros établissements, aussi, si on leur transfère des patients, ou si on demande aux praticiens d’aller prendre des gardes ailleurs. » Des effets, aussi, sur les centres du 15 et les structures mobiles d’urgence et de réanimation.

Pour passer ce cap, le gouvernement a une méthode : celle de l’« engagement territorial ». Miser sur la solidarité entre hôpitaux au sein d’un même département, sur le partage des tâches public-privé, sur la régulation des patients en amont avec les libéraux… La « ligne Braun », en somme. Les réquisitions de médecins, envisagées par le président de la FHF et maire de Reims (Marne), Arnaud Robinet, ne sont pas une option retenue. Ou alors, « en dernier ressort », avance-t-on au cabinet du ministre.

Il y aura sans doute un mois compliqué à tenir, au minimum, commente-t-on sur le terrain, où nombre de médecins veulent croire qu’après quelques semaines de mise en retrait, les intérimaires reviendront.

Mattea Battaglia