Industrie pharmaceutique

Le Monde.fr : « Le risque est grand de voir la défiance s’accentuer vis-à-vis des vaccins »

Janvier 2018, par infosecusanté

« Le risque est grand de voir la défiance s’accentuer vis-à-vis des vaccins »

Imposer l’obligation vaccinale, avant qu’une réelle évaluation des risques liés aux adjuvants soit menée, expose les autorités sanitaires à renforcer la méfiance envers ce type de traitement, relève Stéphane Foucart, journaliste au service Planète.

LE MONDE

30.12.2017

Par Stéphane Foucart


Chronique.

Dès le 1er janvier 2018, onze vaccins seront obligatoires en France. Jusqu’à présent, les jeunes enfants devaient être vaccinés contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite ; ils devront désormais être aussi immunisés contre huit autres agents infectieux.

L’âpre débat qui s’est amplifié, ces derniers mois, autour de cette question ne change sans doute rien à l’affaire : si elle est rigoureusement appliquée, cette mesure se traduira certainement, sur le long terme, par un effet sanitaire positif pour la population française. Les bénéfices liés à la vaccination sont suffisamment documentés pour en avoir la conviction. Pourtant, il est à craindre que cette mesure ne renforce encore la grande défiance qui s’est installée en France vis-à-vis des vaccins.

Les bénéfices, d’abord : ceux-ci sont désormais devenus invisibles dans les pays du Nord, mais les programmes d’immunisation conduits avec succès, dans les pays en développement, permettent de les donner à voir. En octobre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) annonçait par exemple que le nombre de morts de la rougeole avait atteint, en 2016, son plus bas niveau de l’histoire moderne. Au total, selon l’OMS, le seul vaccin contre la rougeole aura sauvé quelque 20 millions de vies depuis 2000.

En France, le débat s’est focalisé sur les risques. La question des adjuvants vaccinaux à base de sels d’aluminium – destinés à stimuler la réponse immunitaire – a été centrale et a conduit à une saisine du Conseil d’Etat, début décembre, par un collectif de quelques milliers de personnes réclamant leur retrait.

Risques faibles mais très médiatisés

Pourquoi une telle polarisation du débat français autour de ces adjuvants ? D’abord parce que c’est en France que les premiers travaux ont été conduits sur le sujet, par l’équipe du professeur Romain Gherardi de l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil (Val-de-Marne), dont les résultats, controversés, associent l’aluminium vaccinal à une série de troubles peu spécifiques (douleurs musculaires et articulaires, fatigue intense, troubles de la mémoire et de l’attention…) – cantonnés à une toute petite fraction de la population. Ensuite parce que les patients s’estimant victimes de ces adjuvants se sont regroupés dans une association très active, E3M, qui a porté son message dans le débat public.

En juillet, à l’Assemblée, Agnès Buzyn a ramené les inquiétudes relatives aux adjuvants aluminiques, à « l’irrationnel le plus total ».

Bénéfices importants mais invisibles d’un côté, risques faibles mais très médiatisés de l’autre. Face à cette délicate équation, le parti de la ministre de la santé a été d’affirmer que de risques faibles, il n’y avait pas. Le risque ? Il est nul, il n’existe pas. En juillet, à l’Assemblée nationale, Agnès Buzyn a ainsi ramené les inquiétudes relatives aux adjuvants aluminiques, à « l’irrationnel le plus total », fruit de la « désinformation » véhiculée par les réseaux sociaux.

Plusieurs grands noms de la médecine, sans doute avec les meilleures intentions du monde, ont appuyé cette idée dans le débat public, y mettant tout le poids et le prestige de leurs titres académiques : M. Gherardi serait le seul médecin et chercheur au monde à suspecter ces adjuvants d’être en cause dans certains effets secondaires rares…

C’est ce qui s’appelle brûler tous ses vaisseaux. Fin septembre, la collaboration Cochrane – un réseau international de chercheurs et de médecins dont les synthèses de la littérature biomédicale ont une réputation de grande rigueur et d’indépendance – a publié un protocole d’analyse des données existantes sur ces adjuvants. « Alors que les conséquences de l’ajout d’aluminium dans les vaccins ont été largement discutées, aucune revue systématique de la littérature n’a été conduite pour évaluer les effets de ces adjuvants », écrivent Snezana Djurisic (hôpital universitaire de Copenhague, Danemark) et ses coauteurs dans leur texte.

Les travaux de M. Gherardi n’y sont même pas cités : ce sont les alertes lancées au Danemark sur des effets indésirables attribués aux vaccins contre le papillomavirus (HPV) – non inclus dans les onze vaccins obligatoires en France – qui semblent avoir déclenché la volonté des auteurs d’en savoir plus.

« Les symptômes rapportés à la suite d’une vaccination contre le HPV sont variés et incluent des maux de tête, une intolérance orthostatique [station debout intolérable plus d’un bref moment], de la fatigue, des troubles cognitifs, des troubles de la vision, des douleurs abdominales, une sensibilité à la lumière et une activité musculaire involontaire, écrivent Mme Djurisic et ses coauteurs. En dépit de la cohérence des symptômes signalés, ils ne s’inscrivent dans aucune catégorie bien définie de maladies ou de diagnostics, et se présentent plutôt comme une constellation de symptômes non spécifiques. En conséquence, les études observationnelles, qui fondent leurs résultats sur des diagnostics spécifiques pourraient avoir exclu une fraction importante d’individus, présentant ces effets secondaires. »

La messe n’est pas dite : il ne s’agit là que d’un protocole de recherche. Mais dans un an, peut-être un peu plus, les auteurs publieront les résultats de leur analyse. Peut-être écarteront-ils tout effet nocif. Si ces travaux, ou d’autres dans un avenir proche, pointent un risque lié aux adjuvants aluminiques, ce risque sera probablement très faible, et pourrait ne pas faire évoluer les recommandations des autorités sanitaires.

Mais la machine médiatique ne s’embarrassera pas de telles nuances. Si le moindre danger est fermement établi, ce que l’on retiendra est qu’on a contraint les Français à vacciner leurs enfants sur la foi, au mieux d’une information incomplète, au pire d’un mensonge. Le risque serait alors grand de voir la défiance s’accentuer un peu plus vis-à-vis des vaccins, dans un pays qui détient déjà le record du monde en la matière.