Les Ehpads et le grand âge

Le Monde.fr : Les maisons de retraite privées : un business rentable

Décembre 2017, par infosecusanté

Les maisons de retraite privées : un business rentable

Le coût médian d’une chambre dans le privé est de 2 620 euros, un chiffre qui peut aller jusqu’à 8 000 euros pour les plus luxueuses.

LE MONDE

06.12.2017

Par Isabelle Rey-Lefebvre

Le grand âge et la dépendance inquiètent les familles aussi pour des raisons économiques. Trois chiffres suffisent à poser l’équation : le montant moyen des retraites, de 1 376 euros par mois ; celui du minimum vieillesse, de 803 euros ; et le coût médian d’hébergement sur la France entière, tous statuts d’établissements confondus, laissé à la charge d’un résident et sa famille, de 1 740 euros par mois (1 949 euros en incluant le forfait dépendance), selon l’enquête, publiée en novembre 2017 par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Ce chiffre recouvre de fortes disparités : contrairement aux établissements associatifs ou publics, le privé, qui gère 25 % des 7 752 Ehpad, fixe librement ses tarifs, et est donc plus cher, à un prix médian de 2 620 euros, et même beaucoup plus à Paris ou dans les Hauts-de-Seine (3 154 euros).

Dans les établissements les plus chics, la facture peut atteindre 5 000 euros et même 8 000 euros. Mais si le privé est cher, il n’est pas forcément de meilleure qualité : le taux d’encadrement, moins subventionné, y est généralement inférieur à celui du public et s’élève, selon l’enquête de la CNSA, à 61 personnels pour 100 résidents, contre 80 pour 100 dans les établissements publics les mieux dotés rattachés à un hôpital et 60 pour 100 lits occupés dans le privé associatif.

« La catégorie des personnes les plus modestes est relativement bien prise en charge par la collectivité et les aides sociales du département, observe Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et résidences privées pour personnes âgées (Synerpa), et les personnes dont les revenus dépassent 3 000 euros peuvent faire face aux dépenses, car elles ont souvent du patrimoine pour compléter. Reste la question épineuse du financement des catégories moyennes, trop riches pour être aidées, trop pauvres pour tout financer. C’est pourquoi les pouvoirs publics nous mettent la pression pour parvenir à des tarifs moins élevés », confie-t-elle, reconnaissant que l’Etat consacre 7 milliards d’euros à l’hébergement mais devrait mettre 5 milliards de plus.

« On fait appel aux enfants »

En cas de revenus insuffisants, les familles sont appelées à la rescousse. C’est le cas pour un tiers des résidents dans le privé lucratif, selon le rapport annuel de Korian. « Voilà quinze ans que l’Etat promet de prendre en charge le risque dépendance mais la mise en œuvre est toujours repoussée, se désole Claudette Brialix, vice-présidente de la Fédération nationale des associations et des amis des personnes âgées et de leurs familles (Fnapaef). On fait appel aux enfants, souvent retraités eux-mêmes avec des pensions qui n’augmentent plus voire baissent. On va parfois jusqu’à chercher les petits enfants… Heureusement, la moitié des départements a renoncé aux recours contre les petits-enfants. »

En dépit des difficultés financières des familles, la gestion de maisons de retraite médicalisées s’avère très rentable pour quelques grands groupes privés à but lucratif. Certains sont même côtés en Bourse, comme Korian avec ses 24 158 lits, qui a réalisé 15,5 % de marge et un bénéfice de 6 %, en 2016 ; en cinq ans, il a même doublé le dividende versé à ses actionnaires, ou encore Orpea, qui compte 19 598 lits. Le troisième opérateur, Domus Vi avec 15 232 places, est passé, en 2014, sous le contrôle du fonds d’investissement PAI Partners aux côtés de l’assureur CNP.

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Produit d’investissement

Le secteur privé des Ehpad est, en effet, devenu un produit d’investissement qui intéresse les fonds de pensions et les épargnants : « Pour 110 000 euros, ils achètent les murs d’une chambre qui leur rapportera, sans grand risque, entre 5 % et 6 %, soit plus qu’une assurance vie, avec un statut fiscal intéressant du loueur meublé non professionnel » confirme Pierre Errera, d’Ehpad Invest, intermédiaire spécialisé qui reconnaît que certains opérateurs privés ont vendu des chambres à des prix surestimés, contraignant les exploitants à baisser les loyers versés aux investisseurs.

Mais pour atteindre une bonne rentabilité, il faut un taux de remplissage proche de 100 % « car la marge se fait sur les derniers lits occupés », admet Florence Arnaiz-Maumé. Lors d’un décès, la famille est priée de débarrasser au plus vite la chambre pour le suivant… Ces groupes font aussi appel à des « rabatteurs », des intermédiaires comme Lesmaisonderetraite.fr, Retraite Plus ou encore Cap Retraite. Avec ses 60 conseillers par téléphone et Internet, dont la moitié sont basés en Israël, cette entreprise a orienté 6 000 personnes âgées vers les établissements partenaires ayant des places disponibles en 2016. Ces officines dont les conseils sont apparemment gratuits, restent très discrètes sur leur rémunération : une commission versée par les Ehpad de 1 200 euros par personne.

Une mission d’information parlementaire sur les Ehpad

La députée (LRM) de Haute-Garonne Monique Iborra devait lancer mercredi 6 décembre les travaux d’une mission d’information parlementaire sur les Ehpad. Dans un rapport publié mi-septembre après une mission « flash », elle relevait des conditions de travail « particulièrement préoccupantes tant d’un point de vue physique que psychologique » en particulier pour les aides-soignantes, un taux d’absentéisme moyen de 10 %, un taux d’accident du travail de deux fois supérieur à la moyenne nationale, une médicalisation des établissements « insuffisante ». L’objectif de la mission d’information, dont les travaux doivent aboutir en février 2018, est notamment de définir un taux minimal d’encadrement en Ehpad. La moyenne est aujourd’hui de 6 personnels pour 10 résidents. Les directeurs d’Ephad en réclament 8 pour 10, les syndicats de salariés 10 pour 10