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Le Monde.fr : Les nouveaux cas de cancer en forte hausse en France

Juillet 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr :

Les nouveaux cas de cancer en forte hausse en France

Un rapport met en évidence une augmentation de 45 % de l’incidence chez la femme et de 6 % chez l’homme depuis 1990, abstraction faite de l’augmentation de la population et de son vieillissement. La mortalité a, elle, enregistré une baisse relative.

Par Hervé Morin , Sandrine Cabut , Pascale Santi et Paul Benkimoun • Publié le 02 juillet 2019 à 11h05 - Mis à jour le 03 juillet 2019 à 06h39

En France métropolitaine, en 2018, 382 000 nouveaux cas de cancers de tous ­types se sont déclarés, dont 204 600 chez les hommes, et 177 400 chez les femmes. Le nombre de décès par cancer cette même année est estimé à 157 400, dont 89 600 pour les hommes et 67 800 chez les femmes. Ces estimations d’incidence (nouveaux cas) et de mortalité sont tirées de rapports de Santé publique France et de l’Institut national du cancer (INCA), réalisés conjointement avec le réseau des registres des cancers (Francim) et les Hospices civils de Lyon et rendus publics mardi 2 juillet.

Des chiffres d’autant plus préoccupants que leur analyse ­montre qu’entre 1990 et 2018, si l’on fait abstraction de l’augmentation de la population et de son vieillissement, les nouveaux cas ont augmenté de 45 % chez la femme et de 6 % chez l’homme. Cependant, quand on ­efface les effets démographiques, les taux de mortalité ont diminué, de façon plus prononcée chez l’homme (– 1,8 % par an) que chez la femme (– 0,8 % par an).

L’un des éléments les plus frappants est la forte hausse de l’incidence et de la mortalité par cancers du poumon chez la femme, respectivement de 5,3 % et 3,5 % par an ­ depuis 1990. Chez l’homme, une tendance inverse est observée sur la période (– 0,1 % et – 1,2 %), même si cela reste la première cause de mortalité (22 761 décès en 2018). « C’est le premier tueur par cancer en France et dans le monde, en ­réalité depuis des années, mais dans un silence assourdissant », déplore le professeur Sébastien Couraud, pneumologue et oncologue au centre hospitalier Lyon-Sud (Hospices civils de Lyon).

Le constat est rude : « On est en train d’assister à un croisement des courbes ; le cancer du poumon va devenir, et sans doute de loin, la première cause de mortalité par cancer chez les femmes, devant le cancer du sein », prévient le spécialiste.

Même si 15 % des patients ­atteints par cette maladie n’ont ­jamais fumé, sans surprise, c’est l’augmentation de la consommation de tabac chez la femme depuis les années 1960 qui explique cette évolution préoccupante. « Les femmes vont sans doute payer un plus lourd tribut, car on pense qu’à tabagisme égal le tabac est plus toxique pour elles, sans doute en raison de facteurs hormonaux », indique le professeur Couraud.

Dans ce contexte, le dépistage organisé du cancer du poumon par scanner pourrait sauver chaque année jusqu’à 7 500 vies en France. C’est ce que préconise un groupe multidisciplinaire, dont deux sociétés savantes, qui recommande de cibler les personnes à risque, de 50 ans à 74 ans et ayant fumé plus de vingt-cinq ans. « Un cancer ­découvert à un stade plus précoce permet une guérison dans plus de 80 % des cas », précise Sébastien Couraud, à l’origine de ce projet.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi | Plaidoyer pour le dépistage du cancer du poumon •Sein : des tumeurs plus invasives

En France, comme ailleurs dans le monde, le cancer du sein est le plus fréquent et la première cause de mortalité par cancer chez la femme. Pour 2018, le nombre de nouveaux cas estimés de cette ­tumeur est de 58 459, soit presque deux fois plus qu’en 1990. Et la mortalité était estimée à 12 146 décès l’an passé.

Après une forte augmentation dans les années 1990, une baisse de l’incidence de ces tumeurs avait été observée au milieu des années 2000. Ce phénomène avait été ­attribué, notamment, au recul ­rapide des prescriptions de traitements hormonaux de la ménopause, après la mise en évidence du risque de tumeurs mammaires lié à ces médicaments. « L’incidence est de nouveau en augmentation sur la période récente 2010-2018 (+ 0,6 % par an en moyenne), à un rythme plus modeste toutefois qu’au cours des années 1990 », est-il souligné dans la synthèse.

L’incidence la plus élevée est ­retrouvée entre 65-69 ans et 70-74 ans, mais des cancers du sein peuvent être décelés chez des ­femmes jeunes, voire très jeunes. La mortalité continue, elle, à régresser, avec une baisse moyenne de 1,3 % par an entre 1990 et 2018, et même de 1,6 % pan an entre 2010 et 2018, « ce qui est beaucoup », se réjouit Suzette Delaloge, oncologue spécialiste du cancer du sein (Institut Gustave-Roussy, Villejuif - Val-de-Marne). Une évolution à mettre au crédit des progrès thérapeutiques et d’un diagnostic plus précoce, notamment grâce au dépistage, qui reste faible, et débattu.

Comment expliquer l’augmentation d’incidence ? Les auteurs du rapport mettent en avant l’évolution défavorable au fil des générations de facteurs de risque connus : des facteurs hormonaux et reproductifs, et la prévalence de l’obésité. Ils soulignent que 15 % des cancers du sein seraient liés à l’abus d’alcool, selon une étude du Centre international de recherche sur le cancer. Ils estiment aussi que la poursuite de la hausse ­d’incidence pourrait être en partie due à « d’autres facteurs suspectés, comme le travail de nuit, les perturbateurs endocriniens ou certaines expositions professionnelles ».

Suzette Delaloge juge que l’incidence « énorme » et la mortalité « plus élevée qu’ailleurs en Europe », souvent liée à des formes plus invasives, obligent à considérer qu’il s’agit d’« une épidémie » : « Il faut limiter les traitements hormonaux, pilules contraceptives, perturbateurs endocriniens » qui peuvent fragiliser la glande mammaire « et identifier les polluants qui nous tuent, il y a clairement un effet de l’environnement et du mode de vie global ».

Chez l’homme, le cancer du testicule, où la mortalité est en baisse, mais l’incidence en hausse (– 2,2 % et + 2,6 % par an respectivement), la question environnementale est aussi posée : l’exposition aux pesticides et aux perturbateurs endocriniens notamment « constitue des voies privilégiées de recherche », lit-on dans la synthèse.

Il fait partie des cancers dont l’incidence a le plus augmenté sur la période considérée, à un rythme de 2,7 % par an chez l’homme et de 3,8 % chez la femme, même si, pour ce sexe, l’augmentation a un peu diminué depuis 2010 (+ 3,2 %). L’évolution de la mortalité pour ce cancer de mauvais pronostic est restée étale depuis 1990 pour les hommes, et a augmenté chez les femmes (+ 1,4 % par an depuis 2010). Avec 11 456 décès estimés en 2018, il se situe au cinquième rang des décès par cancer chez l’homme et au quatrième rang chez la femme.

La synthèse du rapport note qu’il est « plus difficile » d’expliquer cette augmentation que celle d’autres cancers, tels que le mélanome cutané (+ 4 % par an chez l’homme, + 2,7 % chez la femme), clairement liée à une hausse de l’exposition aux rayons ultraviolets naturels et artificiels. Pour le pancréas, « une consommation ­excessive d’alcool et de tabac, une modification des comportements alimentaires associée à une prévalence croissante de l’obésité pourraient contribuer à expliquer en partie ces tendances ».

Olivier Farges, de l’hôpital ­Beaujon (Clichy, Hauts-de-Seine), confirme ces tendances, notant qu’une étude qu’il a conduite « montrait des différences d’incidence allant du simple au double selon les départements ». Un travail est en cours pour tenter de comprendre ces différences.
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En ce qui concerne les hémopathies malignes, et en particulier le lymphome diffus à grandes cellules B (LDGCB), qui représente le sous-type le plus fréquent de lymphome non hodgkinien, le docteur Alain Monnereau (Institut Bergonié, Bordeaux), président de Francim, souligne que, « chez l’homme et la femme, l’incidence augmente durant toute la période d’étude, y compris la période la plus récente (2010-2018) chez l’homme. Chez la femme, l’augmentation de l’incidence ralentit un peu à partir de 2005 ».

Pour le docteur Monnereau, un meilleur accès au diagnostic n’est pas l’explication prépondérante : « En l’absence de facteur aussi ­connus que le tabac ou l’alcool, il faut évoquer des facteurs environnementaux, génétiques… Il existe avec certitude chez les agriculteurs une association entre le LDGCB et l’exposition aux pesticides [comme le glyphosate, cité dans le rapport], mais nous ignorons combien de cas leur sont attribuables et l’ampleur du rôle qu’une telle exposition environnementale jouerait dans l’ensemble de la population. »
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Au total, pour le toxicologue André Cicolella, qui n’a pas participé à ces analyses, même si en termes de mortalité on observe des améliorations, la situation est « dramatique ».

Il regrette que, au-delà des causes habituellement mises en avant – tabac, alcool… –, le rapport n’insiste pas suffisamment sur certains facteurs de risque environnementaux, comme les perturbateurs endocriniens. Selon lui, c’est en fait « clairement le mode de vie occidental qui est en cause ». Il souligne l’apport récent d’études à partir de la cohorte ­ Nutrinet, qui ont mis en évidence la corrélation entre la consommation d’aliments ultratransformés et la survenue de cancers, ­notamment du sein, ou, à l’inverse, l’effet protecteur d’une alimentation plus riche en produits issus de l’agriculture biologique pour certains cancers.

Rappelés dans un récent rapport du CIRC et de l’INCA sur les cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement, « les deux facteurs de risque les plus ­fréquents sont le tabac et l’alcool, insiste ­Gautier Defossez, médecin responsable du registre des cancers de Poitou-Charentes et coordinateur du rapport sur les tumeurs solides. Les facteurs environnementaux prennent une part relativement minime dans ces tendances, mais il ne serait pas juste de dire qu’ils n’ont aucune influence. Mais, pour préjuger d’un lien de causalité, il faut un faisceau d’arguments scientifiques qui sont susceptibles d’évoluer ». Pour lui, les données mises sur la table, plus ­affinées par âge et par localisation, vont permettre de renforcer les programmes de prévention.

Prévention d’autant plus nécessaire qu’au-delà de son coût humain, cette évolution se reflète dans les dépenses de santé consacrées au cancer, qui auraient ­augmenté de plus de 3 milliards d’euros entre 2012 et 2017, pour s’établir à 14 milliards d’euros en 2017, selon une récente cartographie de l’Assurance-maladie.
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Les tumeurs qui marquent le pas

Malgré des données préoccupantes exposées dans l’estimation de l’évolution des cancers en France entre 1990 et 2018, rendues publiques mardi 2 juillet, certaines tumeurs marquent le pas.

Parmi les plus fortes baisses figurent, chez l’homme, les cancers de la lèvre, de la bouche et du pharynx, qui sont passés de 4 805 décès en 1990 à 2 898 en 2018, pour 10 055 nouveaux cas cette même année. Un recul qui s’observe à tous les âges, note Gautier Defossez, coordinateur pour les tumeurs solides, médecin au registre général des cancers de Poitou-Charentes. Le cancer du larynx (2 753 cas) apparaît aussi comme un des cancers dont les taux d’incidence et de mortalité ont le plus diminué chez l’homme, entre 1990 et 2018, en France.

Ainsi, le cancer de l’œsophage (4 251 cas) connaît, chez l’homme, une diminution de son incidence et de sa mortalité depuis plusieurs années. Le cancer de l’estomac, qui bénéficie du traitement de l’infection par la bactérie Helicobacter pylori, est lui aussi en recul (4 262 cas en 2018), tout comme la mortalité (2 794 décès), même s’il reste lié à un pronostic critique.

Pour l’ensemble de ces cancers, la baisse du tabagisme et de l’alcoolisme chez les hommes depuis les années 1960 a forcément eu un impact favorable. Une évolution similaire a été constatée dans la plupart des autres pays européens. A titre d’exemple, 57,7 % des cas des cancers de l’œsophage seraient attribuables à l’alcool. Très fréquentes, les tumeurs colorectales marquent elles aussi le pas chez les hommes, tant en nombre (en repli de 1,6 % par an, avec 23 216 cas en 2018), qu’en décès (– 0,6 % chez les hommes).

De même, le cancer de la prostate, le plus fréquent chez l’homme (50 430 cas en 2018), voit sa mortalité diminuer nettement depuis 1990, bien qu’elle reste élevée avec 8 115 décès l’an dernier. La baisse de son incidence sur la période récente est, quant à elle, due « à une modification de pratique du dépistage individuel par le dosage du PSA [antigène prostatique spécifique] », qui avait été à l’origine de surdiagnostics.

« Autant d’éléments qui nous incitent à renforcer les politiques de prévention, notamment au niveau primaire, pour agir sur les facteurs de risque tels que le tabac et l’alcool », souligne Gautier Defossez, les différences étant les plus fortes dans les pays où les politiques de prévention sont les plus offensives.

Chez les femmes, le cancer du col de l’utérus, principalement dû à la per­sistance au niveau du col utérin d’une infection à papillomavirus humain à haut risque oncogène (HPV‑HR), est lui aussi en recul. Le nombre annuel de nouveaux cas a diminué, de 3 990 à 2 920 cas annuels entre 1990 et 2018, associé à une baisse de la mortalité (– 2,1 %). Elle reste toutefois élevée, note le rapport, avec plus de 1 000 femmes qui en décèdent chaque année en France, « alors que ce cancer pourrait devenir exceptionnel si les moyens de prévention primaire et secondaire disponibles étaient utilisés de façon optimale (forts taux de couverture vaccinale et de réalisation de test de dépistage) », indique l’Institut national du cancer. La baisse de la mortalité est toutefois moindre pour les femmes de 50 ans.

Hervé Morin , Sandrine Cabut , Pascale Santi et Paul Benkimoun