Perte d’autonomie, “dépendance”

Le Monde.fr : Les pistes pour financer la réforme du grand âge et l’autonomie

Septembre 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Les pistes pour financer la réforme du grand âge et l’autonomie

Un rapport remis au gouvernement lundi – que « Le Monde » s’est procuré – propose de supprimer des « niches fiscales et sociales » et de créer de nouveaux « prélèvements obligatoires ».

Par Béatrice Jérôme

Publié le 15 septembre 2020

Les arbitrages financiers en faveur de la loi « grand âge et autonomie » – qui arrivera dans « les prochains mois », comme s’y est engagé Olivier Véran, le ministre des solidarités, le 10 septembre – s’annoncent douloureux. Le gouvernement dispose depuis lundi 14 septembre d’un rapport, que Le Monde s’est procuré, dans lequel une quinzaine de pistes de financement sont listées, dont plusieurs impliqueraient de supprimer des « niches fiscales et sociales » et de créer de nouveaux « prélèvements obligatoires ». Des propositions à l’opposé du discours du ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, qui répète depuis le début de la crise sanitaire : « Nous n’augmenterons aucun impôt. »

Auteur du rapport, Laurent Vachey est inspecteur général des finances et ancien directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Sa mission, confiée conjointement par les ministères de la santé et de l’économie, était de dégager des marges de manœuvre pour l’Etat et la Sécurité sociale à hauteur de 6 milliards d’euros d’ici à 2024. Ce montant correspond au besoin estimé par le rapport remis à l’exécutif en mars 2019 par Dominique Libault pour financer une future loi en faveur du grand âge.

Président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, M. Libault a recensé 175 propositions en faveur des personnes âgées dont le coût pour les dépenses publiques serait de 6,2 milliards d’ici à 2024 et de 9,2 milliards au total en 2030.

Le tribut versé par les seniors à l’épidémie due au coronavirus a, depuis, conduit M. Véran à proposer la création d’une cinquième branche de la « Sécu » consacrée à l’autonomie des personnes âgées et handicapées. Instituée par la loi du 7 août 2020, cette branche devrait, a-t-il promis, bénéficier d’« un milliard d’euros supplémentaire » dès que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) sera débattu à l’automne. Soit environ un doublement de l’enveloppe des PLFSS précédents pour la prise en charge de la dépendance.

Pour financer ce milliard, M. Vachey suggère de mobiliser dès 2021 le Fonds de réserve pour les retraites à hauteur de 420 millions d’euros par an et de prélever 300 millions d’euros sur le budget d’Action Logement. L’organisme public auquel cotisent les entreprises pour aider leurs salariés à se loger « est dans une situation financière confortable », rappelle l’auteur du rapport.

Réforme des droits de succession
Dans son scénario global pour atteindre 6 milliards de recettes, M. Vachey programme ensuite une série de mesures qui toucheraient directement les ménages. Il envisage ainsi une réforme des droits de succession dès 2021. Celle-ci viserait à augmenter le barème de taxation de 20 % à 25 % sur les héritages dont la part taxable se situe entre 284 128 euros et 552 324 euros. Le gain pour le Trésor public serait de 200 millions d’euros à l’échéance 2025.

M. Vachey envisage également la création d’un prélèvement social de 0,8 % à 1 % calculé sur l’assiette des droits de mutation pour les successions et donations. Gain estimé pour l’Etat : 400 ou 500 millions d’euros. Soutenue par la CFDT, la hausse des droits de succession avait été proposée par un amendement de la majorité lors de l’examen de la loi du 7 août à l’Assemblée. Mais avait été rejeté par le gouvernement.

Autre exemple de mesures loin d’être indolores pour les actifs : l’abaissement du plafond du crédit d’impôt pour les employeurs d’une aide à domicile de 12 000 à 6 000 euros. Le plafond de 12 000 euros serait uniquement maintenu pour les employeurs qui ont des enfants en bas âge ou les personnes âgées. Mise en œuvre en 2022, la mesure rapporterait 400 millions en 2025.

M. Vachey préconise également de ne plus exonérer les cotisations sociales pour les employeurs sur les salaires qui ne dépassent pas 3,5 smic. Il s’agirait de limiter cette exonération aux rémunérations équivalentes à 2,5 smic au plus. Ce qui « permettrait d’affecter à la branche autonomie 1,1 milliard d’euros entre 2022 et 2025 ».

Bénéficiaires de la réforme pour le grand âge, les seniors devraient être plus encore que les actifs mis à contribution. Selon M. Vachey, il serait possible de réserver l’exonération de charges patronales pour l’emploi d’une aide à domicile aux seules personnes âgées dépendantes. Elle est actuellement accordée aux aînés de 70 ans et plus qui emploient une personne à domicile.

« Une question d’acceptabilité politique »
Autre idée dont le coût politique pourrait être élevé : la réduction de moitié du plafond de l’abattement de 10 % sur les pensions de retraite. Cet abattement équivaut à celui qui s’applique à l’impôt sur le revenu des salariés pour compenser leurs frais de représentation professionnels. Or, les retraités n’ont plus à supporter de tels frais ; cet abattement « n’a guère de justifications », avait estimé la Cour des comptes en 2011. Sa réduction de moitié dégagerait une recette fiscale de 1,5 milliard d’euros d’ici à 2025.

L’alignement de la CSG des retraités les plus aisés (8,3 %) sur celle des actifs (9,2 %) est également mentionné dans le rapport. En décembre 2018, le gouvernement avait renoncé à augmenter la CSG pour les retraités modestes, après la levée de boucliers suscitée par cette mesure votée en 2017. « Rehausser » la CSG « poserait une question d’acceptabilité politique », reconnaît M. Vachey, qui propose une montée en charge sur trois ans et d’alléger en contrepartie d’autres cotisations sociales sur les retraites.

Pour réaliser des économies, son rapport, comme celui de M. Libault, prévoit par ailleurs de s’attaquer à la réforme de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), en y intégrant la valeur de la résidence principale du bénéficiaire. Au motif qu’il en est tenu compte pour le revenu de solidarité active (RSA). Si elle entrait en vigueur en 2022, ce nouveau calcul de l’APA permettrait une économie pour les départements et l’Etat de plus de 350 millions d’euros en 2025.

Une meilleure « régulation » de l’attribution de l’AAH
M. Vachey propose aussi de renforcer les contrôles des procédures d’attribution de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Accordée le plus souvent « sans examen individuel », ni vérification de la validité des certificats médicaux, faute de personnel médical suffisant dans les services de l’Etat, l’AAH a vu ses dépenses croître de « 70 % entre 2007 et 2017 », écrit-il. L’AAH est de plus en plus demandée par des allocataires du RSA, le montant étant supérieur d’un tiers à celui du RSA. M. Vachey plaide pour une meilleure « régulation » de l’attribution de l’AAH grâce à des contrôles qui pourraient être réalisés par la CNSA appelée à piloter la cinquième branche de la Sécurité sociale.

La CNSA gère aujourd’hui 27 milliards d’euros de prestations et dotations. Pour donner plus de « lisibilité » aux usagers et de « visibilité » sur les prestations existantes aux parlementaires afin qu’ils puissent mieux évaluer « l’efficience de l’action publique », le rapport liste les prestations pour les personnes âgées et handicapées qui devront figurer dans le « périmètre » de la cinquième branche. Elle représenterait un total de 42 milliards d’euros.

M. Vachey milite enfin pour que les départements volontaires puissent avoir des « délégations de compétences » de la part des agences régionales de santé, afin de pouvoir autoriser l’ouverture d’établissements pour personnes âgées ou pour fixer le montant de leurs dotations. Il préconise « la généralisation des maisons départementales de l’autonomie » pour faciliter l’accès aux droits des personnes âgées et handicapées. L’harmonisation des rôles entre l’Etat et les départements devrait être un volet de la future loi « grand âge et autonomie ».

En revanche, bon nombre des propositions fiscales du rapport Vachey ont des chances de rester lettre morte avant l’élection présidentielle de 2022. Le gouvernement aura beau jeu d’expliquer qu’il convient d’abord de voter la loi « grand âge et autonomie » avant de décider la manière de la financer…

Béatrice Jérôme