Revenu de base - Salaire universel

Le Monde.fr : Les questions que pose le revenu universel

Janvier 2017, par infosecusanté

Les questions que pose le revenu universel

Proposée par Benoît Hamon, la mesure vise à verser à tous une somme de 750 euros par mois.

LE MONDE

16.01.2017

Par Sarah Belouezzane et Bertrand Bissuel

Si Benoît Hamon ne sort pas vainqueur de la primaire à gauche, il aura tout de même accompli une performance de taille pendant cette campagne éclair : inscrire à l’agenda politique un nouveau thème de réflexion, le revenu universel. Cette idée d’une somme minimale versée à tous n’est certes pas neuve. Défendue par des libéraux comme par des personnalités de gauche, elle a déjà été expérimentée, de différentes manières, en Inde, aux Etats-Unis, en Iran et commence à l’être en Finlande. Mais c’est la première fois que le débat s’impose avec autant de force en France.

L’ex-ministre de l’éducation nationale suggère d’instaurer un tel dispositif « pour éradiquer la grande précarité et contribuer à définir un nouveau rapport au travail et au temps libre ». Il souhaite d’abord augmenter le RSA de 10 % pour le porter à 600 euros dès 2018. Cette somme serait attribuée aux jeunes de 18 à 25 ans (ce qui n’est pas le cas, à l’heure actuelle, sauf exception) avant d’être généralisée, sans condition de ressources : à terme, tout le monde recevrait 750 euros par mois. « Le but est de répondre au déséquilibre capital-travail, explique Guillaume Balas, député européen et pilote du projet de M. Hamon. Nous voulons redonner un peu de marge au travailleur afin qu’il ne soit pas otage de son employeur. Si les travailleurs ont un revenu, quoi qu’il arrive, ils pourraient se mettre à temps partiel, ce qui permettrait de créer des emplois. »

La mesure prônée par Manuel Valls, relative à la création d’un « revenu décent », ne peut pas être considérée comme une autre formule du revenu universel puisqu’elle vise à fusionner tous les minimas sociaux, accordés sous conditions de ressources.

S’il a su donner de la visibilité au revenu universel, M. Hamon est loin, en revanche, d’avoir répondu à toutes les questions qu’un tel dispositif soulève. Trois points, au moins, restent dans l’ombre.
■Le travail va-t-il se raréfier ?

Pour le député des Yvelines, le revenu universel doit être mis en place car le travail sera de moins en moins abondant, avec la diffusion du progrès technologique : des hôtesses de caisse remplacées par des automates, des robots qui se substituent aux ouvriers qualifiés, des démarches administratives de plus en plus dématérialisées… En outre, les taux de croissance tendent à diminuer dans les pays occidentaux, ce qui réduit le besoin de main-d’œuvre des entreprises.

Mais les choses ne sont pas déjà écrites, pour Alexandre Delaigue, professeur à l’université Lille-I : « A long terme, le marché de l’emploi finit toujours par s’adapter, même dans un contexte d’économie stagnante », dit-il. « Tant que l’homme sera actif, il y aura toujours des emplois », complète Yannick L’Horty, professeur à l’université Paris-Est - Marne-la-Vallée. Toutefois, des changements se produiront, ajoute-t-il : « Certains secteurs sont détruits et d’autres émergent. »

L’hypothèse d’une évaporation massive d’emplois, provoquée par les nouvelles technologies, a été réfutée par le Conseil d’orientation pour l’emploi : dans une étude diffusée le 10 janvier, celui-ci estime que moins de 10 % des postes sont menacés.
■Quid du financement ?

C’est l’un des aspects sur lesquels M. Hamon est le plus attaqué : son idée serait irréaliste car elle coûterait trop cher. L’Observatoire français des conjonctures économiques a calculé qu’elle entraînerait « des dépenses supplémentaires de l’ordre de 480 milliards », avec un revenu universel d’au moins 785 euros par mois par adulte et de 1 100 euros pour les plus de 65 ans ainsi que les handicapés, si l’on veut préserver les montants actuellement versés aux allocataires de minimas sociaux (les moins de 18 ans, eux, touchant 315 euros par mois).

« Où trouver les financements nécessaires ? Par une hausse de la fiscalité ? Elle serait colossale et la France affiche déjà un taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés de l’OCDE », relève Gilbert Cette, professeur associé à l’université Aix-en-Provence - Marseille. L’une des options possibles, poursuit-il, consisterait à capter des ressources employées pour notre système de protection sociale : « Les retraites constituent la seule masse à la hauteur des besoins mais cela signifierait alors que les ménages ne pourraient compter que sur eux-mêmes pour leurs pensions. Autrement dit, un des termes de notre contrat social serait rompu. C’est politiquement impossible et moralement intenable. »

M. Hamon, lui, évoque un nouvel impôt de 0,65 % sur les actifs, ce qui permettrait de financer la première étape de sa mesure (accroissement du RSA et inclusion des moins de 25 ans), laquelle est chiffrée à hauteur de 45 milliards. Mais les précisions manquent sur le financement du dispositif en vitesse de croisière.

Le think tank GenerationLibre promeut une autre architecture du revenu universel, qui, selon lui, est « neutre, budgétairement parlant ». Il s’élèverait à quelque 500 euros par mois pour un adulte sans aucune ressource (moins pour un mineur). Son financement serait couvert par un impôt à taux unique d’environ 25 % sur tous les revenus, qui remplacerait l’actuel impôt sur le revenu. Dans ce système, certains toucheraient de l’argent (entre quelques euros par mois et 500, au maximum, donc), et d’autres, à l’inverse, contribueraient à le financer.
■Y a-t-il des effets pervers ?

Pour Alexandre Delaigue, une telle mesure ne peut pas être prise isolément car elle pourrait avoir des effets inflationnistes – par exemple sur les loyers (les bailleurs considérant que les candidats au logement auront les moyens). Certains emplois très peu qualifiés et très pe–u rémunérés pourraient, par ailleurs, ne plus trouver preneurs, ce qui renchérirait le coût du travail.

« Ma crainte, avec le revenu universel, est que la collectivité se sente dédouanée de toute action à l’égard des plus fragiles, confie Delphine Chauffaut, enseignante à l’université Paris-Dauphine. Comme si l’argent octroyé servait de solde de tout compte. Or, les problèmes n’ont pas qu’une dimension monétaire ; ils peuvent aussi requérir d’autres solutions, par exemple d’accès aux services publics. »

Sarah Belouezzane
Journaliste emploi-social Suivre Aller sur la page de ce journaliste Suivre ce journaliste sur twitter

Bertrand Bissuel
Journaliste au Monde