Industrie pharmaceutique

Le Monde.fr : Martin Hirsch : « Il faut que toute activité au profit d’un industriel soit déclarée »

Mars 2016, par infosecusanté

Martin Hirsch : « Il faut que toute activité au profit d’un industriel soit déclarée »

LE MONDE

28.03.2016

Propos recueillis par François Béguin et Emeline Cazi

Martin Hirsch, le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, avait publié en 2010 l’ouvrage Pour en finir avec les conflits d’intérêts (Stock). A la tête de l’AP-HP depuis novembre 2013, il a mis en place en septembre 2015 un groupe de travail sur la prévention des conflits d’intérêts. Il en présente aujourd’hui les conclusions.

Pourquoi ce rapport sur la question des conflits d’intérêts à l’AP-HP ?

S’il y a eu des avancées récentes au niveau des agences sanitaires, il n’y a jamais eu de réflexion d’ensemble sur ce sujet pour les hôpitaux universitaires. Or, certaines personnes agissent comme si ce sujet n’existait pas ou ne les concernait pas.

Comme Michel Aubier, pneumologue à Bichat, qui a « oublié » de préciser devant une commission d’enquête sur la pollution de l’air qu’il était rémunéré par Total…

Ce cas regrettable est représentatif de cette absence de conscience de ce qu’est un lien d’intérêt. Il illustre aussi les risques que cela fait courir à l’institution : c’est toute l’AP-HP qui a été mise en danger dans sa crédibilité.

La législation actuelle est-elle adaptée ?

La loi est d’abord mal connue et mal appliquée. Nous en sommes en partie responsables et c’est notre devoir de la faire connaître. On n’y a pas suffisamment veillé. Aujourd’hui, il est intenable de ne pas bouger : la situation est insécurisante pour les personnels, l’institution et les missions de soin et de recherche qui lui sont confiées.

Que proposez-vous ?

Tout d’abord, conformément aux textes, faire en sorte que toute activité rémunérée au profit d’un industriel soit déclarée et bien soumise à autorisation préalable. Ces données seront centralisées dans une base unique, de telle sorte que l’on puisse faire de la prévention et ne pas s’apercevoir d’un problème a posteriori comme dans le cas que vous mentionnez.

Les médecins devront-ils remplir une déclaration d’intérêts ?

Je n’ai pas le pouvoir de leur imposer : la loi ne le prévoit pas, même si ce serait souhaitable. En revanche, toute personne qui souhaite exercer une activité extérieure – celles dites « accessoires », même si certaines permettent de doubler un salaire – doit au préalable en obtenir l’autorisation. On aurait dû le faire depuis longtemps. Les demandes seront examinées en commission au niveau de chaque hôpital, en lien avec l’université, et leurs membres pourront saisir le siège en cas de doute.

Comment gérer les liens avec l’industrie au sein de l’hôpital ?

Il n’est pas question de couper toute relation avec les industriels, cela nuirait à la recherche et au progrès médical. Mais il faut clarifier certaines situations. De nombreux médecins ont créé des « associations de service » qui sont des réceptacles à des financements de laboratoires, avec peu de contrôle. On en a recensé au moins 400 à l’AP-HP. Les praticiens expliquent que ce système leur permet de gagner en souplesse et, par exemple, de recruter rapidement un assistant de recherche clinique. Mais ce système n’est pas sain, il est même dangereux. Pour y mettre fin, nous avons créé une Fondation AP-HP pour la recherche, laquelle peut centraliser les financements extérieurs et les redistribuer, programme par programme. Tout l’enjeu va être de prouver – on se donne jusque fin 2017 – qu’on ne perd pas en réactivité.

L’idée est donc de mettre en place un intermédiaire neutre ?

Oui, il faut éviter le lien de dépendance direct entre industriel et médecin. Cela vaut aussi pour les congrès. Il est indispensable que les hospitaliers s’y rendent pour se former et faire connaître leurs travaux. Mais est-ce normal que cela dépende du financement privé ? Nous proposons que les industriels instaurent un intermédiaire neutre qui ferait l’interface ou, si on ne peut pas le faire à l’amiable, que les pouvoirs publics imposent une solution. Et pourquoi ne pas réfléchir à une taxe, si l’on ne peut sortir autrement du statu quo ?

Qu’en est-il de la présence des visiteurs médicaux dans les services ?

Les démarches spontanées auprès des médecins, et de plus en plus, des infirmières, doivent cesser. Nous allons donc modifier le règlement de l’AP-HP pour mieux les encadrer.

A quelles difficultés vous préparez-vous ?

Il faut prendre garde à ne pas freiner la recherche et à ne pas bureaucratiser davantage. Il ne faut pas négliger non plus les effets sur les revenus des professionnels. Il faut imaginer des réponses, pas seulement des interdictions et des contrôles qui démotivent. Je veillerai à ce que notre volonté de changer d’époque n’ait pas d’« effet boomerang » affaiblissant l’hôpital public universitaire.