Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : « Ne rien changer à un système hospitalier public mis en place en 1958 serait faire preuve d’un conservatisme passéiste »

Mai 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : « Ne rien changer à un système hospitalier public mis en place en 1958 serait faire preuve d’un conservatisme passéiste »

TRIBUNE

L’enjeu est avant tout de défendre le service au public, soulignent, dans une tribune au « Monde », les médecins Rémi Houdart et Jean-Marc Ziza, évoquant l’exemple du statut des établissements de soins privés d’intérêt collectif (Espic), qui représente le secteur privé non lucratif.

Publié le 12/05/2020

Dans une récente tribune (« A l’hôpital, le jour d’après la crise du Covid-19 doit-il ressembler au jour d’avant ? », Le Monde du 29 avril), cinq professeurs de médecine faisant, comme tous, le constat de la lente dégradation du système de santé, semblent aveuglés par un certain dogmatisme.

Ils ont tendance à mélanger deux types de critiques : d’abord celui de la tarification à l’activité (T2A) [mise en place en 2004], appliqué de la même façon à tous les hôpitaux, et ensuite celui du statut des établissements de soins privés d’intérêt collectif (Espic), qui représente le secteur privé non lucratif.

Personnel salarié
Le degré de sévérité des jugements portés sur l’un ou autre des trois statuts hospitaliers (public, Espic ou privé à but lucratif) est souvent inversement proportionnel à la connaissance que l’on en a. Il faut rétablir quelques vérités.

Les Espic sont des établissements de soins privés participant au service public. Leur personnel n’appartient pas à la fonction publique : il ne bénéficie ni de ses nombreux avantages et inconvénients que nos collègues ne peuvent pas totalement ignorer et nier.

Tout leur personnel, y compris médical, est salarié tandis que dans les cliniques privées à but lucratif, les médecins sont le plus souvent indépendants et rémunérés par honoraires.

L’exercice privé, donc le dépassement d’honoraires, y est statutairement exclu dans la grande majorité (contrairement aux hôpitaux publics) garantissant à tous les mêmes conditions de soin.

Souplesse et réactivité
Ces hôpitaux dépendent pour la plupart de grandes fondations ou mutuelles et il est faux de soutenir qu’ils appliquent « des règles commerciales », car leur but est justement et par définition non lucratif. Mais ces établissements doivent impérativement éviter un insoutenable déficit qui ne serait pas repris par la collectivité et le contribuable. Ils ne peuvent pas s’engager uniquement dans des activités structurellement déficitaires en raison de la T2A.

C’est peu connaître les Espic que de dire qu’ils choisissent des pathologies ou des gestes rentables, sous-entendant qu’ils ne prennent pas en charge tous les patients. Les cinq professeurs citent la chirurgie ambulatoire comme une « activité rentable issue d’un business plan ». Or c’est l’évolution de la chirurgie qui a permis ce mode logique de prise en charge. Il y a des moments où l’économie et la médecine se rejoignent pour une plus grande efficience et, dans ce cas, les Espic ont été plus facilement réactifs et adaptables que le public

Comme dans le public, la majorité des Espic sont dotés de services d’urgences, participent à la recherche clinique, nouent des conventions avec l’université pour accueillir étudiants, internes, assistants et professeurs. Certains Espic comptent parmi les établissements français les plus performants.

Leur gouvernance, beaucoup plus souple et réactive, est différente de celle du service public. Il y a le plus souvent dans ces établissements aux côtés de la direction administrative, un directeur médical pour une coordination mixte. Pendant cette crise, certains hôpitaux publics ont d’ailleurs nommé un médecin directeur de crise pour une plus grande efficience.

Les limites de la T2A
Les différents types d’hôpitaux n’ont pas toujours les mêmes missions, et sont complémentaires. Le dévouement, l’implication des soignants qui y exercent, du personnel paramédical, des médecins, des administratifs, ne sont pas supérieurs dans tel ou tel type d’établissement.

L’expérience du Covid-19 a montré l’efficacité exemplaire de tous ces acteurs de santé, malgré la situation parfois dramatique de certains d’entre eux.

La T2A n’est pas en soi la cause des difficultés majeures que connaissent tous les hôpitaux, publics ou Espic, depuis plusieurs années. Elle a même représenté un progrès par rapport au budget global qui l’a précédé.

Mais elle a des limites, ne permettant pas de couvrir les coûts de toutes les activités, en particulier les maladies chroniques, en étant adaptée qu’à certaines activités programmées. Il est impératif qu’elle soit complétée par des budgets alloués sur d’autres bases que celle des groupes homogènes de séjour (GHS, définissant leur tarification). C’est d’ailleurs prévu, mais les budgets sont rognés systématiquement, sans justification autre que le respect de l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (Ondam) et non pas sur une analyse des réels coûts hospitaliers.

Tarifs décorrélés des coûts véritables
L’effet délétère, maléfique, de la T2A réside surtout dans l’usage que les divers gouvernements en font depuis son introduction.

Les tarifs ne sont pas corrélés aux coûts véritables. C’est criant pour certaines spécialités, comme l’obstétrique ou les urgences. Ceci fut relevé par la Cour des comptes, sans effet. Plus grave, les tarifs de la T2A sont arbitrairement baissés de 1 % à 2,5 % chaque année, pour contenir l’enveloppe des dépenses sanitaires.

Voilà pourquoi les hôpitaux sont exsangues et beaucoup d’entre eux contraints de survivre par des emprunts ou de fonctionner sur des budgets normalement destinés à l’investissement, hypothéquant leur avenir.

Ainsi, le souhait que l’on peut formuler pour l’après-Covid, serait de redéfinir la T2A pour gérer enfin les hôpitaux et non pas l’Ondam.

Des économies possibles
L’hôpital a beaucoup changé en quarante ans, comme la médecine et la société. Ces évolutions ne sont pas achevées. Ne rien changer à un système hospitalier public mis en place par la réforme Debré (1958) serait faire preuve d’un conservatisme passéiste.

Penser que la santé est par définition trop coûteuse est une erreur économique et sociétale. Mais nier que certaines économies sont possibles, ne serait-ce que pour financer des activités sous dotées, serait une erreur comme nier qu’un vrai pilotage médico-économique peut être bénéfique.

Il faut reconnaître qu’en France les réformes sont difficiles. En cause, des blocages que la crise du Covid-19 a bien mis en évidence : bureaucratie et centralisation excessives (notamment dans le public), réticences d’un monde médical méfiant et peu enclin au changement, ainsi que des corporatismes parfois politiques.

Il n’est pas question de transformer les hôpitaux publics en Espic. En revanche, une étude constructive – plutôt que le rejet systématique et a priori de leur mode de fonctionnement, de leur souplesse, de leur gouvernance – pourrait leur être bénéfique.

Rémi Houdart(Chirurgien viscéral et ancien chef de service et président de commission médicale d’établissement (CME)) et Jean-Marc Ziza(Médecin interniste et rhumatologue, ancien chef de service et ancien directeur médical du groupe hospitalier Diaconesses-Croix Saint-Simon à Paris)