Les retraites

Le Monde.fr : « Nous allons assumer l’obstruction » : la bataille sur la réforme des retraites entre à l’Assemblée

Février 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : « Nous allons assumer l’obstruction » : la bataille sur la réforme des retraites entre à l’Assemblée

Alors que le texte arrive lundi au Palais-Bourbon, pas moins de 22 000 amendements ont été déposés, dont 19 000 par les « insoumis ». Les groupes de gauche vont déposer une motion de censure, et la droite dénonce les conditions d’examen du texte.

Par Manon Rescan , Sarah Belouezzane , Lucie Soullier , Abel Mestre et Sylvia Zappi •

Publié le 03/02/2020

Après la concertation avec les partenaires sociaux, après la bataille des cortèges dans la rue, la réforme des retraites arrive dans l’enceinte de l’Assemblée nationale lundi 3 février. Le texte va être examiné à partir de 16 heures en commission spéciale. Et c’est une véritable guérilla parlementaire, dont le groupe La France insoumise (LFI) a pris la tête, qui s’annonce.

Pas moins de 22 000 amendements ont été déposés, un record pour cette mandature. Plus de 19 000 émanent du groupe conduit par Jean-Luc Mélenchon. « C’est notre manière de faire comme les avocats ou les professeurs. Ils jettent leurs robes et leurs manuels pour montrer leur opposition à la réforme. Nous, on jette ces 19 000 amendements au pied du gouvernement », explique le député (LFI) de Seine-Saint-Denis, Alexis Corbière.

En plus de la bataille d’amendements, les groupes de gauche – « insoumis », communistes, socialistes – se sont entendus pour déposer une motion de censure. Les seconds souhaitent qu’elle se double d’une motion référendaire – proposant à l’exécutif de soumettre un projet de loi à référendum. Autant d’étapes de procédures qui peuvent ralentir l’adoption du texte à l’Assemblée nationale.

« Nous allons assumer que nous faisons de l’obstruction, a expliqué M. Mélenchon sur BFM-TV. Parce que, de la même manière qu’un syndicaliste fait grève pendant quarante-trois, quarante-cinq, cinquante jours et perd tout son salaire, les députés manqueraient à leur devoir s’ils n’utilisaient pas toutes les armes possibles pour retarder la décision finale qui pourrait s’imposer sans ça mécaniquement dans l’Hémicycle. Si on laissait faire, en trois jours ils ont fini. »

Un calendrier serré

La quantité d’amendements déposés, qui traditionnellement augmente pour l’examen en séance, laisse augurer d’un débat interminable, notamment dans les délais impartis. En théorie, le vote de la loi est prévu le 3 mars, l’Assemblée nationale se mettant en pause le 6 mars, à une semaine des élections municipales.

Ce calendrier prévoit donc cinq semaines pour aller au bout de ce texte. Un délai serré dont les oppositions vont tenter de jouer pour repousser l’examen de la réforme. « C’est dévoyer le rôle du Parlement, c’est dégrader le rôle d’un parlementaire, c’est au fond, devant les Français, dire qu’on ne veut pas le débat », a dénoncé, dimanche matin, sur Franceinfo, Marc Fesneau, ministre des relations avec le Parlement, fustigeant la « stratégie d’obstruction » en particulier de LFI. « C’est le gouvernement qui fait obstruction à un débat parlementaire sur un sujet majeur pour le pays », s’agace pour sa part le député (PS) des Landes Boris Vallaud.

L’opposition ne décolère pas des conditions d’examen du texte. Ils n’ont eu qu’une semaine depuis sa présentation en conseil des ministres pour s’en emparer et déposer des amendements. Sans compter le fait que la réforme compte vingt-neuf ordonnances qui dépossèdent les élus d’une partie de la rédaction. « Deux ans et demi de travail ministériel, deux ans de concertation et quatre jours pour manger 1 500 pages d’étude d’impact et un projet de loi. C’est insultant et déshonorant pour le Parlement. Ils emmènent tout le monde dans le mur », s’indigne M. Vallaud.

LR : « des conditions d’examen du texte inacceptables »

Cherchant elle aussi à incarner ce combat, la droite mettait en scène sa colère, salle des Quatre-Colonnes, au Palais-Bourbon, mardi 28 janvier. En écharpe, la quasi-totalité des élus Les Républicains (LR), Damien Abad, leur président de groupe en tête, s’est présentée devant les caméras pour « dénoncer les conditions d’examen inacceptables que le gouvernement impose au Parlement sur cette réforme des retraites ». Dans son allocution, le député de l’Ain estime que le parti ne peut pas « accepter de devoir examiner » un projet de loi sur les retraites, sans « rien [savoir] de son financement ! »

« Nous voulons un texte complet, sans ordonnances », avance le député (LR) du Pas-de-Calais Pierre-Henri Dumont, qui explique que son parti est « pour les réformes » mais pas « cette réforme ». Car, pour la droite, dont l’électorat classique est sensible au réformisme sur les retraites ou sur le marché du travail, il est impensable d’être dans l’obstruction.

Le parti de la rue de Vaugirard souhaite saisir cette occasion pour montrer qu’il peut incarner « une troisième voie » entre un « gouvernement obstiné » et une gauche « décrédibilisée », explique M. Abad. Pour ce faire, LR votera les articles potentiellement compatibles avec son corpus idéologique. La décision de voter la loi ou pas sera, en revanche, prise ultérieurement en réunion de groupe. Pour le reste, la formation, qui a pensé un projet alternatif, souhaite le décliner sous forme d’amendements. Plus de 1 100 ont été déposés et un colloque sur le thème des retraites devrait être organisé par LR, le 12 février, au Palais-Bourbon.

Les socialistes, eux aussi, promettent un travail de fond pour mettre au jour toutes les « chausse-trappes du texte », prévient Valérie Rabault, présidente du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. « Il faut continuer à montrer que ce projet est tellement mal ficelé qu’il nous emmène dans le mur », insiste la députée de Tarn-et-Garonne.

Le scénario d’un recours au 49.3

Quant au Rassemblement national (RN), qui prétend incarner la seule véritable opposition sur le sujet, il pourrait se contenter de profiter de la bataille menée par la gauche. Marine Le Pen n’exclut pas de voter la motion de censure. « On va la lire, on va regarder quel est son contenu » et « nous ferons tout ce qui est dans notre pouvoir de députés pour empêcher que ce texte s’applique aux Français », a-t-elle déclaré à LCI, mardi 28 janvier.

Mais comment peser dans les débats sans groupe à l’Assemblée nationale et avec un seul de ses cinq députés, Sébastien Chenu, au sein de la commission spéciale ? Le RN a pris l’option de l’opposition stricte au texte en déposant soixante-cinq amendements seulement, proposant de supprimer chaque article du texte.

« Finalement, le fait que LFI ait déposé 19 000 amendements, c’est une chance pour nous, ça radicalise les deux côtés, ça pousse le gouvernement jusqu’au 49.3, et nous apparaissons comme la seule partie tempérée dans un paysage chaotique », espère-t-on du côté de LR.

L’idée d’utiliser l’article 49.3 de la Constitution, qui permet au gouvernement de faire adopter un texte sans vote parlementaire (à condition qu’une motion de censure ne soit pas adoptée), a été brandie par le député de Savoie Patrick Mignola, président du groupe MoDem, partenaire de La République en marche (LRM). « J’assume de dire qu’il faut réfléchir à un 49.3 de dissuasion et je l’ai proposé au premier ministre [Edouard Philippe]. En clair, si l’opposition se montre raisonnable en diminuant le nombre d’amendements à quelques milliers, alors, cet outil n’a pas besoin d’être déclenché. Sinon, il peut être envisagé », a-t-il confié au Figaro.

Hésitation de la majorité

Le gouvernement rejette, pour le moment, cette option. « Je n’entre pas dans ce débat parlementaire avec l’idée que nous essaierions de faire de la coercition », a déclaré, sur Franceinfo, Marc Fesneau, lui-même issu des rangs du MoDem.

Ce mois d’examen pourrait donc virer à la guerre des nerfs, dans laquelle la majorité semble hésiter sur l’attitude à adopter. Gilles Le Gendre (Paris), chef de file de LRM au Palais-Bourbon, a invité ses troupes à ne pas déposer trop d’amendements. En réunion de groupe mardi, le président (LRM) de l’Assemblée nationale, « Richard Ferrand, nous a demandé de rentrer la tête », relate un pilier de la majorité.

Une ligne qui ne fait pas l’unanimité. « Il faut arrêter d’avoir peur d’exciter les oppositions et sortir de la position défensive », tempête un cadre de la majorité, soucieux de « ne pas laisser le Parlement comme caisse de résonance aux oppositions ». A un mois des municipales, la majorité espère ne pas perdre, même symboliquement, la bataille du Parlement.