L’hôpital

Le Monde.fr : Orange dans la tourmente après la panne des numéros d’urgence

Juin 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : Orange dans la tourmente après la panne des numéros d’urgence

Le patron du groupe a été convoqué au ministère de l’intérieur. Au moins trois personnes seraient mortes faute d’avoir pu contacter les urgences dans les délais.

Par Camille Stromboni et Vincent Fagot

Publié le 04/06/2021

Quand il se présente sur le plateau du « JT de 13 heures » de TF1, jeudi 3 juin, le patron d’Orange, Stéphane Richard, n’en mène pas large. Le dirigeant a beau avoir déjà traversé des moments difficiles dans sa carrière – du black-out du réseau mobile de l’opérateur historique français, en juillet 2012, aux poursuites judiciaires dans l’affaire Tapie –, la pression qui pèse sur ses épaules à cet instant est immense. Elle vient en particulier du côté de l’Etat, celui-ci étant, en outre, le premier actionnaire, avec 23 % du capital.

La veille au soir, les communications menant aux services d’urgence (SAMU, police-secours, pompiers, etc.), ont connu une panne majeure, en raison d’une défaillance touchant les installations d’Orange qui héberge ces services. Faute d’avoir pu contacter dans des délais rapides les numéros 15, 17,18 ou 112, au moins trois personnes seraient mortes, selon des déclarations des autorités, jeudi matin. La situation a valu au PDG d’Orange d’être convoqué, dans la matinée, au ministère de l’intérieur.

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Sur le plateau de la chaîne de télévision, Stéphane Richard n’a d’autre choix, au nom d’Orange, que de « présenter des excuses aux gens victimes de ce dysfonctionnement et à [ses] partenaires [urgentistes] ». « Un seul appel qui n’aboutit pas, c’est gravissime, car cela peut mettre en jeu la vie d’une personne », admet-il. Le dirigeant déclare aussi dans cette interview que les causes de cette défaillance restent encore obscures pour les ingénieurs de la société.

Tout a commencé la veille, vers 16 h 45. « C’est à ce moment-là qu’on a constaté les premières perturbations », explique Fabienne Dulac, à la tête d’Orange France. Au même moment, les services d’urgence s’étonnent de la chute soudaine des appels leur parvenant. A une heure traditionnellement de pointe, les standards sont étrangement silencieux. Du côté de l’opérateur, qui prend la mesure de la crise, c’est l’incompréhension. Des centaines de techniciens sont mobilisées toute la nuit, y compris ceux de l’équipementier des sites dont on présume qu’ils sont à l’origine de ces perturbations. Selon Orange, il s’agit d’un partenaire européen, qui n’est ni Nokia ni Ericsson.

Crise dans les services de santé
La situation est d’autant plus complexe à appréhender que l’opérateur fait face à des perturbations « aléatoires et imprévisibles », explique Fabienne Dulac. Il ne s’agit pas d’un incident localisé géographiquement. Et dans les territoires touchés, certains appels parviennent au secours quand d’autres restent lettre morte. « Cette situation hétérogène a rendu rend la panne difficile à appréhender », admet Mme Dulac. Faute de pouvoir trouver rapidement l’origine du problème, des numéros de substitution sont mis en place pour le contourner.

La crise n’est pas moins grande dans les services de santé. A Lyon, le ministre de la santé, Olivier Véran, évoque « une baisse de 50 % à 70 % des appels au SAMU (…) pendant quelques heures ». A Lille, explique Patrick Goldstein, patron du SAMU du Nord et chef des urgences, « quand les urgentistes se sont rendu compte du dysfonctionnement, une salle de situation sanitaire exceptionnelle a été activée. Les pompiers et la police sont venus nous rejoindre dans cette salle de substitution, car ils rencontraient les mêmes difficultés ».

Vers 2 heures du matin, Orange, après ses interventions sur le réseau, estime que le plus gros de la crise est passé. Techniquement, au moins. Aux premières heures de la matinée, jeudi, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, et le secrétaire d’Etat chargé de la transition numérique et des communications électroniques, Cédric O, rentrés en urgence de Tunisie où ils effectuaient un déplacement, tiennent une conférence de presse – entre-temps c’est le directeur de cabinet du premier ministre Jean Castex qui a assuré la relation avec Orange.

Place Beauvau, les mots sont très durs. Les deux membres du gouvernement évoquent une situation « inédite et inacceptable ». Ils établissent un lien entre trois morts survenues dans la nuit dans le Morbihan et à La Réunion et la panne du réseau d’Orange. L’exécutif annonce la commande d’un audit externe qui pourrait impliquer l’Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep), le gendarme des télécoms, et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), le pompier numérique de l’Etat.

« Une architecture épouvantablement complexe »
Chez Orange une enquête interne vient aussi d’être lancée, ses conclusions sont attendues sous sept jours. La première explication avancée jeudi est liée à un dysfonctionnement qui serait intervenu sur les équipements assurant le passage des communications assurées par Internet (voix sur IP) vers le réseau traditionnel (RTC), qui héberge la majorité des services d’urgence. Six sites d’Orange en France assurent cette opération. Il en suffirait de trois, opérationnels, pour que le service soit assuré. Mercredi, les six sont tombés en panne et aucun circuit de contournement (back-up) n’était prévu pour prendre le relais. De fait, 20 % des appels à destination des urgences n’ont pu aboutir.

Du côté de l’opérateur, on assure que la possibilité d’une cyberattaque, premier scénario privilégié au départ, ne figure plus parmi les hypothèses envisagées. De même, l’opérateur exclut pour l’instant la responsabilité d’une opération de maintenance qui aurait mal tourné. Le scénario privilégié est celui d’une défaillance logicielle. Reste qu’à défaut d’avoir pu mettre précisément le doigt sur l’origine de la panne, Orange n’a pas la garantie de pouvoir assurer le service de convoyage vers les numéros d’urgence. Même si en interne on assure que le réseau est désormais stabilisé, à quelques exceptions près, la cellule interministérielle de crise réunie régulièrement depuis le début de l’incident a décidé de maintenir les numéros alternatifs.

Quelles conséquences pourraient avoir ces déboires pour Orange ? Sébastien Crozier, président du syndicat CFE-CGC Orange, essaie de relativiser : « On est sur une architecture épouvantablement complexe », explique-t-il, en rappelant que la moindre intempérie majeure (tempête, inondation, etc..) perturbe bien davantage le réseau que la panne qui est survenue mercredi.

Reste que la crise est remontée au plus haut niveau de l’Etat, avec une réaction d’Emmanuel Macron se disant « très préoccupé » par cette situation. A l’Elysée, l’inquiétude s’explique en raisons des « lourdes conséquences » et des « drames humains » que cet incident a pu provoquer. Une nouvelle cellule interministérielle de crise devait se réunir vendredi 4 juin au matin pour faire un bilan de la nuit, en présence du premier ministre.

Camille Stromboni et Vincent Fagot