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Le Monde.fr : PMA pour toutes les femmes : un démarrage compliqué

Novembre 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : PMA pour toutes les femmes : un démarrage compliqué

Un mois après la publication des décrets d’application de la loi de bioéthique, les prises en charge débutent timidement. L’afflux des demandes, 3 500 estimées pour 1 000 attendues, n’avait pas été anticipé, nécessitant une refonte des procédures habituelles.

Par Solène Cordier

Publié le 02/11/2021

Des bébés « PMA pour toutes » verront-ils le jour avant la fin du quinquennat, comme promis par le ministre de la santé, Olivier Véran ? Rien n’est plus incertain, à observer les premiers actes du déploiement de la loi de bioéthique dans les centres hospitaliers. Trois mois après son vote et un mois après la publication de ses décrets d’application, les prises en charge des femmes seules et des couples de femmes débutent timidement. En cause, un afflux de nouvelles demandes qui n’avait pas été anticipé. « On est face à un raz-de-marée, avec des standards téléphoniques sans cesse occupés, des files d’attente qui s’allongent et beaucoup de centres n’ont pas encore le personnel nécessaire pour faire face », résume Catherine Guillemain, présidente de la fédération des 31 centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos).

Quand certains centres ont opté pour des prises de rendez-vous immédiates, d’autres ont choisi d’attendre la publication des décrets d’application, le 29 septembre, avant de se lancer. Au risque de provoquer l’incompréhension. Beaucoup de nouvelles candidates à la PMA ont en effet saisi leur téléphone pour appeler l’établissement le plus proche de chez elles dès la promulgation de la loi, le 2 août. C’est le cas de Tiphaine et Céleste (les prénoms ont été changés), en couple depuis trois ans et demi. « J’ai téléphoné au CHU de Rennes le 3 août, sans même avoir prévenu Tiphaine, explique Céleste. On m’a dit qu’on nous inscrivait sur une liste d’attente, et qu’on nous tiendrait au courant. » Quelques semaines passent et, sans nouvelles, Céleste réitère. « La secrétaire m’a dit de patienter, qu’ils en sauraient sans doute plus en septembre. » Le couple s’y résout, mais mi-septembre, n’y tenant plus, retente.

« Là, on m’a dit qu’on n’avait toujours pas les décrets d’application, qu’il fallait encore attendre. Ça a été la douche froide, d’autant que j’avais vu sur les réseaux sociaux que des femmes d’autres régions avaient déjà des rendez-vous », se souvient la jeune femme. N’obtenant toujours rien début octobre, malgré la sortie des fameux décrets, elle alerte la direction du CHU, et même la députée Coralie Dubost (LRM), qui fut rapporteure de la loi. Mi-octobre, le couple est enfin contacté pour fixer une consultation en décembre. « J’ai fondu en larmes, et au bout du fil la dame aussi était émue, elle m’a dit que leurs équipes travaillaient sur ce nouveau circuit depuis des semaines », raconte Céleste, désormais soulagée.

Eviter les discriminations avec les couples hétérosexuels
Pour les femmes célibataires ou en couple lesbien qui attendaient parfois depuis des années, ces nouveaux délais peuvent paraître insupportables, ce que reconnaissent volontiers les professionnels de santé. Mais sur le terrain, bien souvent le boom des nouvelles demandes a contraint les centres à revoir les circuits mis en place quand seuls les couples hétérosexuels étaient autorisés à recourir aux activités de PMA. Pour éviter toute discrimination entre les patients, la plupart fixent les rendez-vous par ordre d’appel.

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Au CHU de Lille, le service d’assistance médicale à la procréation a profité des deux mois entre le vote de la loi et la publication des décrets d’application pour s’organiser, sans prendre de rendez-vous dans l’intervalle. Toutes les « nouvelles demandes » – 35 femmes seules et 65 en couple – sont désormais prises en charge, se réjouit la chef de service Christine Decanter. Des créneaux de consultation ont été spécialement ajoutés en décembre, réservés à ces nouvelles patientes. « Dès qu’un rendez-vous est fixé, on se charge aussi de mettre directement les femmes sur liste d’attente pour un don de sperme, afin de limiter au maximum l’attente », explique Christine Decanter. A l’heure actuelle, le délai d’attente à Lille est d’un an environ.

Alerté sur l’explosion des nouvelles demandes, estimées à 3 500 en 2021, contre 1 000 attendues, le ministère de la santé a annoncé mi-septembre une enveloppe budgétaire complémentaire, de 8 millions d’euros, assortie d’un objectif : réduire les délais d’attente à six mois pour tous les futurs parents sollicitant une PMA avec don – il était de six à dix-huit mois selon les centres avant l’entrée en vigueur de la loi.

Soutien financier insuffisant
Mais entre le temps des annonces et leur mise en œuvre effective, la réalité est parfois difficile à gérer. Au CHU de Montpellier, la chef de service, Tal Anahory, déplore « une situation extrêmement compliquée » faute de moyens suffisants alloués au pic d’activité enregistré. « Depuis le vote de la loi, j’ai eu 192 demandes de femmes. J’ai une secrétaire qui ne cesse de répondre aux appels, mais je n’ai ni le personnel soignant pour prendre en charge les femmes, ni le matériel nécessaire », s’insurge la médecin, qui a aussi reçu depuis le début de l’année 62 demandes de couples hétérosexuels nécessitant un don de sperme. « Avec la première enveloppe budgétaire, j’avais de quoi recruter une demi-secrétaire, point barre », détaille-t-elle. La seconde enveloppe, arrivée le 22 septembre, est censée permettre d’autres recrutements et l’achat de matériel comme des cuves pour stocker les dons de gamètes. Mais aucune place pour accueillir les nouvelles équipes n’est disponible pour l’instant dans l’enceinte du CHU. Dans l’attente de décisions de sa direction, le service de la docteure Anahory se contente d’inscrire les noms des candidates sur liste d’attente. « Je ne suis pas le docteur Knock, je ne peux pas leur vendre quelque chose que je n’ai pas », soupire-t-elle.

Au CHU de Nantes, le ton est plus rassurant. « Le soutien financier annoncé par le gouvernement est une bonne chose, estime le chef de service, Thomas Fréour. Mais il y a une période incompressible de quelques mois pour s’organiser entre le moment où les crédits sont notifiés, celui où ils arrivent sur le compte de l’établissement, sont validés par la direction et que les personnels sont recrutés et opérationnels », reconnaît le médecin biologiste. Dans son centre, les crédits ont été reçus en septembre, et les offres d’emploi diffusées dans la foulée. Une infirmière a déjà été recrutée, mais manquent encore un psychologue, une secrétaire, un technicien de laboratoire et des médecins. Se disant « résolument optimiste », il entend bien ne pas voir allongés les délais d’attente pour un don de sperme, aujourd’hui de six à neuf mois. Pour les nouvelles candidates, les premiers rendez-vous pour accéder à un don pourront être fixés fin 2021, début 2022, espère-t-il.

Ailleurs, les projections sont moins optimistes. Anne-Fleur Multon et son épouse font partie des femmes qui ont obtenu un rendez-vous rapidement, au Cecos de Brest. Le couple, qui avait déjà entrepris un parcours de PMA en Belgique, se réjouit d’avoir été « super bien accueilli ». « Un médecin et son interne nous ont expliqué la procédure en entier, en détaillant toutes les futures étapes qui nous attendaient, sur le plan médical mais aussi avec le notaire », explique la Bretonne. Une seule chose les a surprises : « On nous a dit qu’il y avait un manque de donneurs, qu’il fallait compter un an d’attente pour recevoir un don de sperme, et de ne pas hésiter à mobiliser notre entourage pour qu’il donne, et que ça pourrait jouer sur notre place sur la liste d’attente. » L’anecdote illustre une inquiétude partagée par beaucoup de spécialistes de la PMA : le stock de gamètes disponibles sera-t-il suffisant pour faire face à toutes les nouvelles demandes, d’autant plus qu’à compter de septembre 2022 les donneurs et donneuses devront accepter de laisser leur identité ? Pour tenter de faire face à ce risque de pénurie et répondre à la diversité des besoins, l’Agence de la biomédecine vient de lancer, le 21 octobre, une campagne de sensibilisation pour inciter au don de gamètes.

Solène Cordier