Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : « Pas de ruissellement dans la fourniture de vaccins contre le Covid-19 »

Septembre 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : « Pas de ruissellement dans la fourniture de vaccins contre le Covid-19 »

CHRONIQUE

Kevin Watkins

Le 28/09/2021

Directeur général de Save the Children au Royaume-Uni

En sapant les efforts de coopération internationale dans la lutte contre la pandémie, les pays riches empêchent un retour rapide de la croissance mondiale, estime Kevin Watkins, dirigeant de Save the Children au Royaume-Uni, dans une chronique pour « Le Monde ».Publié hier à 06h00, mis à jour hier à 08h11 Temps deLecture 3 min.
Favoris

Pendant la famine irlandaise, dans les années 1840, alors que plus d’un million de citoyens sont morts, de grandes quantités de nourriture ont été exportées d’Irlande vers la Grande-Bretagne. Pour le gouvernement conservateur de Londres, la défense des intérêts commerciaux, les préceptes du laisser-faire économique et l’indifférence politique envers les souffrances irlandaises l’emportaient sur toute obligation d’empêcher la famine de masse en intervenant sur les marchés.

La réponse internationale à la pandémie de Covid-19 présente une ressemblance déconcertante avec la réponse britannique à la famine irlandaise. Bien que la science et l’industrie nous aient donné les moyens d’immuniser le monde, les pays riches utilisent les lois du marché pour accaparer les doses au détriment des pays pauvres.

Question de vie ou de mort
Ainsi, dans le cadre d’un contrat avec le groupe pharmaceutique américain Johnson & Johnson, l’Union européenne (UE) a importé des millions de doses d’une entreprise d’Afrique du Sud – un pays où seulement 14 % de la population est vaccinée et où le variant Delta alimente une augmentation des cas. Pourtant, les efforts visant à détourner les exportations de vaccins d’Europe vers l’Afrique du Sud et ses voisins se sont heurtés à une démonstration de diplomatie de la canonnière, l’UE menaçant de prendre des mesures en vertu d’une clause du contrat interdisant les restrictions à l’exportation.

Lire aussi Afrique et Covid-19 : l’OMS déplore les « inégalités choquantes » d’accès aux vaccins
C’est cet écart d’équité qui tue. Nous savons que la vaccination offre une protection efficace contre les décès et les hospitalisations liés au Covid-19. Comme l’a rappelé le président américain, Joe Biden, il s’agit d’une « pandémie de non-vaccinés ». Il en est de même à l’échelle mondiale. Néanmoins, les Etats-Unis, et d’autres pays riches, se préparent maintenant à fournir des rappels de vaccin à des populations confrontées à des risques sanitaires marginaux, détournant l’approvisionnement des pays où l’accès aux vaccins est une question de vie ou de mort.

La distribution actuelle des vaccins n’est pas seulement éthiquement indéfendable. Elle est aussi épidémiologiquement myope et économiquement ruineuse. Laisser de larges pans du monde non vaccinés augmente le risque d’émergence de mutations virales résistantes aux vaccins, prolongeant efficacement la pandémie et mettant en danger les personnes partout dans le monde. Pendant ce temps, l’extension des vaccinations stimulerait la reprise économique – ajoutant 9 000 milliards de dollars [7 700 milliards d’euros] à la production mondiale d’ici à 2025, selon une estimation du Fonds monétaire international – et aiderait à prévenir des revers majeurs dans la pauvreté, la santé et l’éducation.

Transfert de technologie
L’arithmétique de base montre que nous pouvons vacciner le monde. Les estimations de la société d’analyse de données Airfinity suggèrent qu’environ 12 milliards de doses de vaccins seront produites en 2021, avec un doublement de la production en 2022. C’est plus que suffisant pour atteindre l’objectif international de 40 % de couverture d’ici à la fin de cette année et de 60 % à 70 % d’ici à la mi-2022.

Au lieu de cela, les pays riches sapent activement les efforts de coopération internationale. Les donateurs d’aides ont certes investi 10 milliards de dollars dans le programme onusien Covax, conçu pour fournir des doses aux pays les plus pauvres du monde. Mais, de fait, ils sont poussés en queue de peloton pour les approvisionnements par les fabricants de vaccins.

La pandémie a démontré que le monde a besoin d’une répartition plus efficace et équitable des capacités de production de vaccins. Cela nécessite un partage des connaissances, un transfert de technologie, des renonciations à la propriété intellectuelle et des investissements à long terme. Mais, sans action immédiate et décisive pour remplacer l’approche de ruissellement de la fourniture de vaccins par une redistribution du marché, le dicton de l’économiste John Maynard Keynes selon lequel, « à long terme, nous sommes tous morts », aura une résonance tragique.

Kevin Watkins, directeur général de Save the Children au Royaume-Uni, est professeur invité au Firoz Lalji Institute for Africa de la London School of Economics. ©Project Syndicate, 2021.