Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Passe sanitaire : la rupture des CDD et des contrats d’intérim censurée par le Conseil constitutionnel

Août 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : Passe sanitaire : la rupture des CDD et des contrats d’intérim censurée par le Conseil constitutionnel

Les juges de la rue de Montpensier ont cependant validé la suspension du contrat de travail et de la rémunération de l’ensemble des salariés en cas de non-présentation du passe.

Par Jules Thomas

Publié le 06 août 2021

Il n’y aura pas de rupture de contrats à durée déterminée (CDD) ou intérim pour cause de non-présentation du passe sanitaire dans les entreprises recevant du public à partir du 30 août. Saisi par le gouvernement et trois groupes de parlementaires, le Conseil constitutionnel a annoncé, jeudi 5 août, la censure de la disposition de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire « organisant la rupture anticipée de certains contrats de travail ».

Si le texte, adopté par le Parlement le 25 juillet, avait écarté la possibilité de licencier un salarié en contrat à durée indéterminée (CDI) sans passe sanitaire valide, il était clair sur les CDD et les intérimaires : une rupture du contrat de travail était possible avant son terme, à l’initiative de l’employeur.

Pour censurer cette mesure, le Conseil invoque une rupture du principe d’égalité. L’obligation de présentation du passe sanitaire étant liée, d’après les juges, à la volonté du législateur de limiter la propagation de l’épidémie de Covid-19, et ainsi de poursuivre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, le fait de pouvoir mettre fin à un CDD et non à un CDI n’est pas conforme à la Constitution. « Les salariés, qu’ils soient sous contrat à durée indéterminée ou en contrat à durée déterminée ou de mission, sont tous exposés au même risque de contamination ou de transmission du virus », affirment-ils.

« Sage décision »
La décision conclut alors que « le législateur a institué une différence de traitement entre les salariés selon la nature de leurs contrats de travail, qui est sans lien avec l’objectif poursuivi ». Une décision logique, selon Jean-Emmanuel Ray, professeur à l’Ecole de droit de l’université Panthéon-Sorbonne : « En droit du travail, ce n’est pas une surprise que la sanction concerne les seuls CDD. » « C’était difficile de porter ce coup aux seuls précaires, juge Elise Fabing, avocate en droit du travail. Le Conseil, avec cette décision, confirme qu’il n’y a pas de faute, dans un contrat de travail, pouvant déboucher sur une rupture si on ne se vaccine pas. »

A partir du 30 août, un salarié qui ne présente pas un justificatif pourra poser des jours de congés ou des RTT

Ce type de contrats courts étant très utilisé dans les filières concernées par l’extension du passe sanitaire (cafés, restaurants, foires, salons professionnels…), c’est un soulagement pour Thierry Grégoire, président de la branche saisonniers de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) : « Le Conseil constitutionnel a pris une sage décision. Il aurait été ubuesque de devoir rompre le contrat de travail de salariés qui ne souhaitent pas être vaccinés dans ce secteur confronté à tant de difficultés d’embauches. »

Le Conseil a, en revanche, validé la possibilité pour l’employeur de suspendre le contrat de travail. Pour les salariés des entreprises recevant du public, en CDD comme en CDI, la procédure sera désormais la même. Si un salarié ne présente pas, à partir du 30 août, un certificat de vaccination, un test négatif de moins de 48 heures ou un certificat d’immunité de moins de six mois, il pourra poser des jours de congé ou des RTT. Sinon, son contrat de travail et sa rémunération seront suspendus le jour même.

Au bout de trois jours, l’employeur doit convoquer le salarié à un entretien afin d’examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation : outre la prise de congé, l’individu peut être reclassé temporairement sur un poste qui ne soit pas en contact avec le public ou sur un poste qui peut être exercé en télétravail. « Le Conseil liste les quatre conditions, en clair les quatre portes de sortie qu’a le salarié avant la suspension : c’est pour ça que cela est passé », précise Jean-Emmanuel Ray.

Avec la disparition d’un motif de licenciement dans la loi pour les CDI comme pour les CDD et intérimaires, les licenciements dans le droit commun sont improbables, mais les signaux envoyés demeurent importants : « Avec la validation de la suspension du contrat de travail, mais aussi celle de la rémunération, on met une très forte pression sur les salariés, estime Jean-Emmanuel Ray. Sur le terrain, cela risque de poser de bien délicates questions aux employeurs. »

« Limitation de libertés équilibrée »
« Le casse-tête sera tout de même au rendez-vous pour les petites entreprises, notamment celles qui ne pourront pas reclasser leurs salariés », abonde Elise Fabing, qui prévoit une grande souffrance pour les salariés en difficulté et une multiplication des ruptures conventionnelles à la rentrée pour éviter la perte prolongée de revenus. La suspension, lorsqu’elle aura lieu, prendra fin lorsque le salarié aura produit les justificatifs requis ou lorsqu’il se sera vu proposer un autre poste au sein de l’entreprise.

A plusieurs reprises, les juges observent enfin que les mesures sont temporaires, l’obligation du passe ne courant (pour le moment) que jusqu’au 15 novembre. S’il y a des atteintes aux libertés, elles ne sont pas durables et la situation épidémiologique les justifie sous certaines conditions, sous-entend le texte. « L’important, c’est cette date du 15 novembre, conclut Elise Fabing. Je trouve qu’en creux, on peut trouver cette limitation des libertés équilibrée, car elle est limitée à certaines personnes dans certains secteurs, mais elle est surtout limitée dans le temps. »

Le Conseil constitutionnel a également validé toutes les dispositions concernant les soignants. Les sénateurs socialistes avaient jugé trop « brutal » et court le calendrier imposé à ceux-ci, mais les juges considèrent que le législateur a pris soin de prévoir une mise en œuvre progressive, en trois temps. Les salariés ou agents publics du secteur de la santé seront donc soumis à l’obligation vaccinale à partir du 15 septembre, et devront avoir suivi un schéma vaccinal complet le 15 octobre.

Jules Thomas