Le social et médico social

Le Monde.fr : Pauvreté : « Cessons ce discours selon lequel tous les pauvres seraient des “salauds profiteurs” »

Octobre 2016, par infosecusanté

Pauvreté : « Cessons ce discours selon lequel tous les pauvres seraient des “salauds profiteurs” »

LE MONDE

09.10.2016

Par Nicolas Clément, président du collectif Les Morts de la rue

Cet été, quatre personnes à la rue se sont suicidées. Au moins quatre. Quatre qui ont choisi de mourir de façon très visible. Trois hommes et une femme. Tous quatre se sont pendus. L’un à la Canopée des Halles ; un autre à la grille de la mairie du 18e arrondissement ; un troisième quai des Célestins, à Paris également ; la quatrième s’est pendue un peu plus tard, en septembre, à Strasbourg, où elle vivait avec ses trois chiens.

En France, chaque année, environ 10 000 personnes se suicident, les trois quarts sont des hommes. Soit, grosso modo, trois fois plus que les morts de la route qui occupent pourtant bien plus la « une » des médias.

La proportion entre hommes et femmes est identique pour ces quatre personnes sans domicile à celle des gens qui se suicident ayant un toit. Les chiffres sont parfois discutables, mais les personnes à la rue se suicident plutôt moins que celles qui sont logées.

Survie et rejet

Les raisons de ces quatre morts ont sans doute, comme tout suicide, des origines multiples. Mais la fatigue, la tension terrible que cause la course permanente, chaque jour, pour trouver où manger et où dormir, des lieux qui diffèrent de ceux d’hier et ne seront pas ceux de demain, n’y sont sans doute pas étrangères.

De même que la crainte incessante de l’agression si fréquente dans la rue (les personnes sans abri, souvent présentées comme agressives du fait de quelques comportements assez marginaux, sont surtout très largement victimes de violences physiques extérieures). Ou la solitude qui pèse tant.

Et encore le manque de sens à une vie qui n’est que survie et rejet d’une bonne part de la société. De même que l’incompréhension face à des règles si difficiles à décoder ou si stigmatisantes qu’elles conduisent à un taux de non-recours au revenu de solidarité active (RSA) d’environ 50 % (soit une « économie » annuelle de 5 milliards d’euros ! Plus que le rendement total de l’impôt de solidarité sur la fortune).

Voisins bienveillants

Pourtant, les voisins sont souvent attentifs et bienveillants ; seuls les hostiles s’expriment, mais les autres agissent en silence. Malheureusement, les politiques et les médias, pour la plupart, ne retiennent que les opposants aux plus démunis, confortant ceux-ci dans un fort sentiment de rejet par la société.

Au total, en 2015, 497 personnes ont été recensées par le collectif Les Morts de la rue comme étant mortes à la rue. Avec une moyenne d’âge de 49 ans, alors que l’âge moyen de décès chez les hommes est de 79 ans en France.

Si le suicide ne tient nullement la première place dans les causes de décès avérées de ces personnes, l’usure et l’épuisement liés à ce type de vie sont tout à fait essentiels et appellent des réponses pratiques assez évidentes, de mise à l’abri notamment.

Mais un changement de regard est indispensable. Il ne serait aussi que justice pour redonner figure humaine et dignité à ces personnes : les « profiteurs » sont bien moins nombreux que les perdants. Les fraudes au revenu de solidarité active (RSA) ne comptent que pour une soixantaine de millions d’euros alors que le non-recours au RSA pour des personnes qui y auraient droit se monte à plus de 5 milliards d’euros. Le non-recours aux dispositifs de la couverture maladie universelle (CMU) affecte des millions de personnes alors que la fraude à la CMU ne concerne, chaque année, que quelque 800 – pas plus ! – individus. Malgré des conditions de vie très rudes et un marché de l’emploi qui ne les attend nullement, entre un quart et un tiers des personnes à la rue travaillent…

Commentaires sentencieux

Alors, vraiment, cessons ce discours insupportable et faux selon lequel tous les pauvres seraient des « salauds profiteurs », des assistés courant après toutes les protections du système ; sachons reconnaître aussi que les migrants n’ont, pour un très grand nombre d’entre eux, aucun accès à nos couvertures sociales.

Tous, certes, ne sont pas anges. Mais, d’une part, les contrôles et l’autocensure des plus pauvres sont tels que les débordements sont finalement restreints et, d’autre part, le courage que manifestent la plupart au quotidien devrait forcer notre admiration plutôt que susciter le rejet de nombre de nos dirigeants et hommes et femmes de médias.

Les filets de sécurité de ces derniers sont généralement très efficaces, ce qui rend d’autant plus impudiques leurs commentaires sentencieux ! On aimerait qu’ils testent, ne fût-ce qu’une semaine, la survie avec ce dont disposent ces « assistés » du système…

Changer de regard et être capable réellement de se mettre à la place ou du moins à côté de l’autre, c’est ce qui leur redonnera leur humanité ; c’est aussi cela qui permettra d’éviter ces morts.

Nicolas Clément, président du collectif Les Morts de la rue