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Le Monde.fr : Procès du Mediator : « Ni pacte ni contrepartie », s’indigne la défense de Servier

Septembre 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Procès du Mediator : « Ni pacte ni contrepartie », s’indigne la défense de Servier

Le laboratoire ainsi qu’un immunologue et une ex-sénatrice sont soupçonnés d’avoir influencé une mission d’information sénatoriale sur le Mediator dans un sens favorable au médicament.

Par Simon Piel

Publié le 18/09/2020

C’est la fin d’une séquence judiciaire qui aura duré près d’un an, après la tenue, entre septembre 2019 et juillet 2020, du procès pour tromperie du scandale du Mediator devant le tribunal judiciaire de Paris. A l’issue d’une semaine de débats menés sereinement dans le volet trafic d’influence, les avocats de la défense du laboratoire Servier, de son ancien no 2 Jean-Philippe Seta, de l’immunologue Claude Griscelli et de l’ancienne sénatrice Marie-Thérèse Hermange sont venus, vendredi 18 septembre, dénoncer une accusation reposant sur une « construction intellectuelle que l’on a voulu faire tenir coûte que coûte ».

Le laboratoire Servier est soupçonné d’avoir tenté d’influencer la rédaction du rapport de la mission d’information sénatoriale sur le Mediator dans un sens favorable au médicament, dont la toxicité faisait déjà l’objet de controverses. Selon l’accusation, il serait pour cela passé par l’immunologue de renom Claude Griscelli, qu’il rémunérait depuis de nombreuses années et qui entretenait des relations amicales avec la sénatrice Marie-Thérèse Hermange, par ailleurs rapporteuse de la mission sénatoriale en question.

Après avoir soutenu que les parties civiles n’avaient pu connaître aucun préjudice direct de l’infraction de trafic d’influence faisant l’objet du procès et qu’elles devraient en conséquence être déclarées irrecevables, les conseils des prévenus ont tour à tour souligné les fragilités du dossier qui, selon eux, ne dispose d’aucun élément matériel. « Il n’y a pas de bon scandale sanitaire sans bon scandale politique », a dit Ophélia Claude, l’avocate de Mme Hermange. « On en crée un de toutes pièces pour satisfaire cette image d’Epinal. »

« Artiste cubiste »
Elle a d’abord relevé que sa cliente devait bénéficier de l’immunité parlementaire puis s’est indignée de ce que l’accusation se soit « transformée en artiste cubiste », en faisant porter la responsabilité de la complicité de trafic d’influence à sa cliente, alors même qu’« elle en était la cible ». Me Claude a souligné que sa cliente n’était en fait coupable que de « confiance mal placée, un délit qui n’existe pas ».

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Le conseil de Claude Griscelli, Me François Artuphel, s’est ensuite attaché à démontrer que son client n’avait « jamais cherché à dissimuler ses liens avec Servier » et qu’il disposait d’une « double légitimité » à répondre aux interrogations techniques de la sénatrice. Légitime par son parcours professionnel « exceptionnel », mais aussi par sa double compétence de clinicien et de chercheur. « Le conflit d’intérêts est une notion qui n’existe pas dans le code pénal », a-t-il ajouté.

« J’espère que l’on ne condamnera jamais un homme sur la base d’une conversation privée sur laquelle on sait que l’on peut dire tout et n’importe quoi », a dit ensuite son associée, Jacqueline Laffont. Cette dernière ne plaidait pas encore pour son illustre client Nicolas Sarkozy, poursuivi pour trafic d’influence et corruption dans l’affaire Bismuth et qu’elle doit défendre en novembre, mais bien pour M. Griscelli. Lors d’un échange avec M. Seta intercepté par la police, celui-ci rendait compte des changements en faveur de Servier dans la rédaction du rapport qu’il avait obtenu de Mme Hermange, tandis que M. Seta se réjouissait.

Délibéré le 29 mars 2021
Me Laffont a ensuite souligné que l’infraction de trafic d’influence ne pouvait être constituée que si elle entraînait une « décision génératrice de droit ». Ce qui, selon elle, dans le cas du rapport d’une mission d’information sénatoriale, ne saurait être le cas. Comme les autres avocats de la défense, elle a soutenu qu’il n’y avait ni pacte – aucune instruction de la part de Servier n’apparaît dans le dossier –, ni contrepartie – le dernier contrat de M. Griscelli avec le laboratoire s’étant arrêté en octobre 2010. Les deux autres éléments constitutifs de l’infraction.

Christian Saint-Palais, défenseur de Jean-Philippe Seta, s’est inscrit dans les pas de sa consœur, attaquant à son tour l’écoute constituant la pièce majeure de l’accusation. « Attention de ne pas modifier à l’excès les rapports que nous devons avoir les uns avec les autres », a-t-il dit, imaginant un monde où nous devrions tous parler au téléphone comme nous le faisons publiquement.

François de Castro, avocat de Servier, et probablement le meilleur connaisseur du dossier Mediator, est venu conclure les plaidoiries en établissant une comparaison avec le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur le Mediator. Il a ainsi noté que les interlocuteurs invités à s’exprimer à cette occasion furent peu ou prou les mêmes qu’au Sénat. « Emettre des doutes sur l’étude de Catherine Hill [la première à réaliser une extrapolation sur le nombre de morts que l’on pourrait imputer au Mediator] était juste et légitime », a-t-il dit.

Il a déploré que « tous ceux qui ont douté de la manière dont les choses ont été faites ont été taxés d’être des espions de Servier ». « Les poursuites sur ce volet étaient inutiles, si ce n’est pour écrire un scénario d’une stratégie globale d’influence de Servier », a-t-il ajouté. Et « par ailleurs, le rapport sénatorial dont Servier se fichait éperdument n’a jamais été exploité par le laboratoire d’une quelconque façon ». Délibéré le 29 mars 2021.

Simon Piel