Protection sociale

Le Monde.fr : Protection sociale : ce qui est en train de se jouer pour les artistes

Juillet 2018, par infosecusanté

Protection sociale : ce qui est en train de se jouer pour les artistes

Plusieurs réformes sont en cours, qui risquent d’affecter les revenus d’une partie de la profession des artistes auteurs, déjà précarisés. Le tour de la question en trois points.


LE MONDE | 29.06.2018 à 17h15 • Mis à jour le 29.06.2018 à 17h40 |
Par Mathilde Damgé

« Une profession est en train de crever au nom d’une réforme », a alerté le dessinateur et auteur Joann Sfar (Gainsbourg, vie héroïque, Le Chat du rabbin, etc.), relayant le cri d’alarme de nombreux auteurs français, inquiets d’un bouleversement de leur régime social et fiscal. « En France, les livres sont très bien protégés grâce au prix unique, mais les auteurs sont en danger », a déclaré l’illustrateur, romancier et réalisateur sur France Inter, relayant un mouvement plus vaste réuni sous la bannière #auteursencolère sur les réseaux sociaux.

Les auteurs s’inquiètent notamment de la hausse de la CSG : l’augmentation de cette cotisation a entraîné une perte de pouvoir d’achat au sein d’une profession déjà fortement précarisée. Mais une réforme plus globale se profile sur la protection sociale des auteurs. Le tour de la question en trois points.

Qu’est-ce qui va changer ?

Deux réformes sont en cours pour les 260 000 artistes auteurs français (écrivains, scénaristes, photographes, compositeurs, chorégraphes, peintres, plasticiens, etc.) :
■l’aménagement de la hausse de la cotisation sociale généralisée (CSG), passée de 7,5 % à 9,2 % depuis le 1er janvier. Cet impôt prélevé sur les salaires et les revenus du patrimoine pour financer la protection sociale, a été alourdi de 1,7 point pour l’ensemble des Français ;
■l’évolution du régime de protection sociale spécifique aux artistes auteurs, et en particulier la question de l’affiliation à ce régime que le gouvernement souhaite harmoniser pour les auteurs professionnels et ceux qui ont un autre métier en plus. Au cœur de ces discussions, l’épineuse question de la refonte de leur système de retraite.

Qu’est-ce qui est reproché par les artistes ?

Concernant la hausse de la CSG, elle était remise en cause par les artistes, qui avancent deux arguments. Le premier tient au fait que, si la hausse de la CSG est allée de pair pour l’ensemble des Français avec une baisse des cotisations sociales d’assurance-chômage et d’assurance-maladie, les auteurs — comme d’autres professions indépendantes — sont lésés. En effet, les droits d’auteur n’étant pas pris en compte dans le calcul des droits à indemnité de chômage, les auteurs ne cotisent pas à l’assurance-chômage et n’y ont donc pas droit.

Le second argument : une forte perte de pouvoir d’achat, amplifiée d’autant plus que la CSG n’est pas progressive et a un fort impact sur les bas salaires, alors que 41 % des auteurs professionnels gagnent moins que le smic, selon les données avancées par les défenseurs du monde du livre.

La hausse de la cotisation a été en partie compensée par une aide financière mise en œuvre après décret, mais cette mesure est temporaire et le ministère de la culture a lancé une mission conjointe avec le ministère des solidarités et de la santé (affaires sociales) pour trouver une solution pérenne. En attendant, la présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, Samantha Bailly, estimait qu’un auteur au smic perdait 124 euros par an tant qu’il n’y a pas de compensation effective — le versement compensatoire doit avoir lieu à la fin de l’année. Les auteurs « verront leur pouvoir d’achat baisser d’environ 1 % a minima tandis que celui des salariés augmentera de 1,45 % », calcule, de son côté, Geoffroy Pelletier, directeur général de la Société des gens de lettres (SGDL).

Concernant la refonte du système de protection sociale spécifique aux auteurs artistes, elle est en réalité en discussion depuis plusieurs années et pose en particulier la question de la retraite. Concrètement, ils ne sont que quelques dizaines de milliers à gagner assez pour être affiliés à l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) ou à la Maison des artistes. Le Syndicat national des artistes-auteurs (SNAA-FO) demande ainsi à ce que le régime social soit « simplifié et amélioré, pas déstructuré ».

Le gouvernement propose en effet de rapprocher la protection sociale des artistes dits « affiliés » (moins de 50 000 personnes) de celle de la grande majorité des autres artistes qui ne gagnent pas assez avec leur art, et le plus souvent ont un autre métier ; ils sont dits « assujettis » : ils cotisent pour la solidarité et la retraite de base mais ne bénéficient pas d’une couverture complémentaire (décisive dans le cas de la retraite).

Or le rapprochement des deux régimes risque de pénaliser à la fois les auteurs déjà retraités, dont les revenus vont chuter, ceux qui ont deux métiers et dépasseront le plafond de la Sécurité sociale ainsi que les plus pauvres, qui devraient payer leur cotisation dès le premier euro gagné.

Quelles sont les pistes qui se dessinent ?

Selon la lettre de mission adressée à l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des affaires culturelles, les préconisations pour « neutraliser » la hausse de la CSG doivent être rendues d’ici à la fin de la semaine prochaine.

Il restera à négocier la vaste refonte du système de retraite et maladie des artistes avec les différentes parties. La mission se poursuivra jusqu’au mois d’octobre, dans le dialogue avec leurs représentants, ajoute le ministère. Le rapport sur ce deuxième point est, lui, attendu fin novembre.

« Les artistes auteurs bénéficient, depuis les années 1960, d’une protection sociale dont les modalités ont été adaptées à leurs spécificités professionnelles », explique le ministère de la culture, qui réaffirme l’importance d’une « couverture sociale de qualité ». Contacté, le ministère n’a pas répondu à nos demandes de précisions.

Le 22 mai, plus de 20 000 auteurs ont organisé les premiers Etats généraux du livre pour protester contre la paupérisation de leur métier. Une situation due en partie à l’inflation du nombre de nouveaux titres édités chaque année : 76 000 en 2017, voire 81 000 en comptant les ouvrages autoédités. « Soit deux cents nouveautés par jour », rappelle Pascal Ory, président du Conseil permanent des écrivains.