Politique santé sécu social de l’exécutif

Le Monde.fr : Réforme des retraites : 18 mois de « concertation » et un goût d’inachevé .Un « sentiment d’inutilité » prévaut chez les partenaires sociaux qui tiennent cette semaine une dernière série de réunions avec le haut-commissaire Delevoye.

Mai 2019, par infosecusanté

Réforme des retraites : 18 mois de « concertation » et un goût d’inachevé
Un « sentiment d’inutilité » prévaut chez les partenaires sociaux qui tiennent cette semaine une dernière série de réunions avec le haut-commissaire Delevoye.

Par Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières

Publié le 6 mai 2019

La fin du premier chapitre approche. Depuis le lundi 6 mai et jusqu’au vendredi suivant, Jean-Paul Delevoye tient une dernière série de réunions avec les partenaires sociaux au sujet de la réforme des retraites. Le haut-commissaire chargé de ce chantier titanesque parachève ainsi une concertation ouverte pendant l’automne 2017. A l’ordre du jour des ultimes rendez-vous : la « transition entre l’emploi et la retraite » et les « nouveaux droits en faveur des jeunes et des aidants ».
Les organisations d’employeurs et de salariés, au terme de ce long exercice, s’entendent au moins sur deux points : M. Delevoye leur a accordé une attention très forte, et les débats furent d’une haute tenue. Frédéric Sève (CFDT) parle d’un processus « de qualité qui a permis de mettre les sujets sur la table ». « Nous avons pu bien travailler lors des rencontres bilatérales, avec des documents qui nous étaient remis plusieurs jours à l’avance, renchérit Pascale Coton (CFTC). Il fallait bien un an et demi pour réfléchir à un tel projet puisqu’il s’agit de faire converger quarante-deux régimes. »

« Nous avons pu faire le point sur le système et mener des discussions intéressantes, qu’il serait bienvenu de capitaliser lors de la rédaction de la loi, en dépit des désaccords que nous pouvons avoir avec M. Delevoye », estime Eric Chevée, de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). « Je crois qu’il n’y a pas beaucoup de personnalités qui auraient pu remplir cette mission comme il l’a fait, juge Alain Griset, président de l’Union des entreprises de proximité (artisans, commerçants, professions libérales). Il a bien compris les particularités de nos adhérents. »

Des députés de la majorité, en pointe sur le dossier, se montrent encore plus élogieux à l’égard du haut-commissaire. « Jean-Paul Delevoye a su trouver le chemin de la pédagogie et de l’explication, ce qui était loin d’être évident », confie Laurent Pietraszewski, élu La République en marche (LRM) dans le Nord. « C’est quelqu’un de bienveillant, à l’écoute et qui a ouvert toutes les portes. Sa méthode de travail est à reproduire, pour d’autres réformes », complète Corinne Vignon, députée macroniste de Haute-Garonne. Présidente du Comité de suivi des retraites et s’exprimant à titre personnel, Yannick Moreau considère, elle aussi, que la concertation a été approfondie, et qu’elle a donné la possibilité d’aborder « de nombreux sujets avec des documents dont on peut apprécier le sérieux » : « Les personnes suivant la préparation de la réforme – en raison de leurs fonctions parlementaires ou d’expertise, ou encore de journaliste – ont, en effet, pu, après chaque étape, avoir connaissance de ces documents, ce qui est rare. »

« Chèque en blanc »
Mais ces compliments en cascade sont assortis de réserves toutes aussi nombreuses. D’abord, le haut-commissaire a beau être « très cordial et son équipe très performante », il ne se place pas sur le terrain de la coconstruction, juge Serge Lavagna (CFE-CGC) : « On n’est pas dans une négociation, il n’y a pas de compromis. » En outre, les multiples conciliabules ont, de l’avis de plusieurs protagonistes, débouché sur très peu d’éléments concrets. Régis Mezzasalma (CGT) note que :
« Derrière les grands principes énoncés, rien de tangible n’a été communiqué. Ce flou entretenu démontre qu’il y a une volonté de faire baisser le niveau des pensions tout en dépolitisant les débats sur la retraite, dans le futur. »
Dans le système universel promis par Emmanuel Macron, on raisonnera non plus en annuités mais en points : or, les questions relatives à la valeur de ce paramètre n’ont pas été abordées, déplore Philippe Pihet, Force ouvrière (FO), alors même qu’elles sont centrales puisque le niveau des pensions dépendra de celle-ci : « Cette concertation n’est qu’un emballage sur un chèque en blanc », dénonce-t-il. Au Medef, « un sentiment d’inutilité » prévaut : « On a passé beaucoup de temps dans ces discussions et, à l’arrivée, on n’en sait pas beaucoup plus qu’au départ », déclare un « galonné ».
Enfin, le dialogue noué par M. Delevoye a été parasité, dans la dernière ligne droite, par les cafouillages gouvernementaux sur un possible recul de l’âge minimum de départ à la retraite. Certes, M. Macron a finalement écarté cette éventualité, lors de sa conférence de presse du 25 avril, en assurant que les personnes pourront continuer à partir à 62 ans – comme il s’y était engagé durant la campagne présidentielle. Mais, avant cette clarification, les atermoiements de l’exécutif ont plombé l’ambiance. FO a quitté la table des discussions, tandis que le Medef a appelé l’Etat à « sortir de ce mensonge par omission qui consiste à dire qu’on ne touchera pas à [la règle des 62 ans] ».

Avec les membres du haut-commissariat, M. Delevoye a accompli « un énorme boulot de maturation, de décantation », mais « ça a duré un peu longtemps et tous les participants en ont un peu marre, aujourd’hui », observe un fin connaisseur du dossier : « Il est temps de passer à autre chose. » Et de faire la lumière sur les intentions précises du pouvoir exécutif. Car si M. Macron a fermé la porte à un recul de l’âge minimum de départ à la retraite, il a jeté le trouble en évoquant, pour la première fois, « un système de décote » autour de 63 à 64 ans : avant cette borne, la pension serait minorée ; après, elle pourrait être majorée. A ainsi été relancée l’idée d’un âge pivot (63 à 64 ans, donc), qui viendrait s’ajouter à l’âge minimum. Le but d’un tel dispositif, à double détente, est de laisser la possibilité aux assurés de liquider leur pension à 62 ans, tout en les incitant à rester en activité au-delà.
« Hypocrisie » du président
Ce schéma peut s’avérer périlleux, car il indispose les syndicats. Dans un entretien au groupe de presse régionale Ebra, Laurent Berger, le numéro un de la CFDT, a mis en garde le gouvernement, lundi :
« Nous ne pourrons pas être d’accord avec l’instauration d’un âge pivot, avec un tour de passe-passe qui allongerait la durée de cotisation sans le dire par un système de décote. »

Son homologue de la CGT, Philippe Martinez, a fait chorus, dimanche, sur BFM-TV, en fustigeant « l’hypocrisie » du chef de l’Etat : « Vous avez le droit de partir à 62 ans, mais vous n’aurez pas de quoi vivre, donc vous serez obligés de rester jusqu’à 64 ans… ou plus ! » Pour lui, « c’est se moquer du monde ».
Les tensions risquent de redoubler s’il se confirme que, avant l’avènement, en 2025, du régime universel, le gouvernement veut, de surcroît, modifier le paramétrage du système actuel de retraites, afin de réaliser des économies à court terme. L’une des pistes à l’étude viserait à modifier le calendrier de la loi Touraine, qui fixe une durée de cotisation nécessaire pour être éligible à une pension à taux plein (par exemple 172 trimestres pour ceux nés à partir de 1973) : dans cette hypothèse, le nombre minimum de trimestres requis pourrait être revu à la hausse, pour plusieurs générations d’assurés. « On s’attend à une disposition de ce type dans la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale », confie un parlementaire macroniste.
Si l’on s’en tient uniquement au futur système universel, M. Delevoye devrait remettre ses conclusions en juin ou en juillet. Un projet de loi devrait ensuite être présenté en conseil des ministres d’ici à la fin de l’été. « On peut penser que cette réforme, si elle est effectivement engagée, comme cela a été confirmé à plusieurs reprises par le chef de l’Etat ne sera pas un long fleuve tranquille, pronostique Mme Moreau. Il paraît, en effet très probable que FO et la CGT feront campagne contre. Elle sera d’ailleurs nécessairement compliquée à mettre en œuvre, avec des mesures transitoires longues. »

Retraites : changer de régime est-il possible ?
« Une réforme des retraites ne peut être acceptable que si elle restaure la confiance des citoyens par son équité et sa pérennité », entretien avec le politiste Bruno Palier, directeur du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp, Sciences Po)
« Un régime unique par points améliorerait la situation des travailleurs de plates-formes numériques », par Louis-Charles Viossat, haut fonctionnaire et professeur de politiques sociales internationales à Sciences Po
« Tout se passe comme si on devait naviguer à vue », par Michaël Zemmour, enseignant-chercheur en économie à l’université de Lille
« Après les salaires flexibles, voici les pensions flexibles ! », par Christiane Marty et Daniel Rallet, co-auteurs de Retraites, l’alternative cachée (Attac et Fondation Copernic, Syllepse, 2013).
« Le débat ne met pas assez en lumière les spécificités des professions libérales », par Philippe Castans, président de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse des professions libérales (Cipav)
« La retraite par capitalisation est l’autre grand pan de la réforme », par Julien Vignoli, directeur général adjoint du courtier en assurances Gras Savoye Willis Towers Watson
« Nous pourrions décider de consacrer 21 % du PIB aux retraites et rétablir un âge de départ à 60 ans », par Philippe Laget, ancien cadre dirigeant dans un grand groupe international de services financiers
« Age de départ à la retraite » : halte à « la confusion », par Antoine Bozio, maître de conférences à l’EHESS/Ecole d’économie de Paris et directeur de l’Institut des politiques publiques. L’économiste clarifie la différence entre « âge moyen de départ » et « âge minimal de liquidation des droits à la retraite », soigneusement brouillée par les opposants à la réforme proposée par M. Delevoye
Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières