Les retraites

Le Monde.fr : Réforme des retraites : « La multiplication de traitements particuliers revient à reproduire une floraison de “mini-régimes” »

Janvier 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Réforme des retraites : « La multiplication de traitements particuliers revient à reproduire une floraison de “mini-régimes” »

La notion de système universel de retraites, mise en avant par l’exécutif, est ambiguë, avance le professeur Michel Borgetto dans un entretien au « Monde ».

Propos recueillis par Bertrand Bissuel • Publié le 31 décembre 2019 à 09h55, mis à jour à 06h19

Professeur à l’université Paris-II (Panthéon-Assas) et directeur de la Revue de droit sanitaire et social, Michel Borgetto explique que la notion d’universalité, mise en avant par le gouvernement pour justifier sa réforme des retraites, est porteuse d’ambiguïté : elle ne garantit nullement que le principe d’égalité sera consacré, contrairement à ce que voudrait suggérer l’exécutif.

Le gouvernement a fait de l’universalité l’un des principes-clés de sa réforme des retraites : que faut-il entendre par là ?

En matière de protection sociale, le principe d’universalité donne lieu à plusieurs usages ou acceptions. Dans son acception la plus courante, il se trouve le plus souvent associé à celui de généralisation ; il renvoie alors au mouvement ayant consisté à ouvrir à l’ensemble de la population (et non pas aux seuls travailleurs) le bénéfice de la couverture contre un nombre étendu de risques sociaux (maladie, vieillesse, etc.). Dans une acception plus technique, il désigne le régime juridique de la prestation servie à l’individu : celle-ci étant considérée comme universelle lorsque son bénéfice est ouvert à tous et n’est pas subordonné à une condition de ressources.

Dire que la réforme en cours a pour objet d’instituer un régime « universel » de retraite apparaît, dans cette perspective, quelque peu discutable : cette réforme se proposant non pas d’étendre la couverture du risque vieillesse à des personnes qui, jusqu’alors, n’en bénéficiaient pas mais bien plutôt – ce qui n’est pas du tout la même chose – d’instituer un régime unique ou, pour reprendre la formule du rapport Delevoye, un « système commun à tous les Français »…


Cet objectif d’universalité n’est-il pas en train d’être abandonné, compte tenu des aménagements successifs qui ont été annoncés pour répondre à des attentes catégorielles ou sectorielles ?

En se référant au principe d’universalité, les promoteurs de la réforme entendent accréditer une idée-force : celle selon laquelle ladite réforme serait porteuse d’égalité. De là, la reprise à satiété de la fameuse formule : « Un euro cotisé doit donner les mêmes droits pour tous »…

En réalité, le fait que tous soient soumis à un même et unique régime présenté comme universel ne signifie nullement que soit consacré, ipso facto, le principe d’égalité. On est en présence, ici, d’un débat classique, bien connu des juristes. Ou bien la règle est identique pour tous, quelles que soient les différences de situation pouvant exister entre les uns et les autres ; mais se trouve alors consacrée une égalité purement formelle et abstraite, aux antipodes de ce qu’exigerait une égalité bien comprise (c’est-à-dire réelle et concrète). Ou bien on entend, au contraire, tenir compte de la particularité des situations, mais on est alors conduit à opérer un grand nombre de différenciations, mettant à mal l’égalité formelle induite par l’universalité.

C’est ce que les pouvoirs publics ont, semble-t-il, compris, en annonçant des règles spécifiques pour les militaires, les policiers, gendarmes, pompiers, contrôleurs aériens, personnels pénitentiaires, etc. Reste cependant à se demander si la construction d’un système comportant autant d’exceptions a encore un sens au regard des objectifs censés le justifier…

Le gouvernement fait valoir qu’universalité ne veut pas dire uniformité ou système unique. N’est-ce pas un artifice pour habiller des concessions faites aux catégories les plus résolues à maintenir des dérogations à leur avantage ?

Sur ce point, le gouvernement a raison : universalité ne signifie pas uniformité. Si l’on en voulait une preuve, il suffirait d’évoquer le cas des allocations familiales : contrairement à ce que l’on avance parfois, celles-ci sont toujours universelles dans la mesure où elles continuent d’être versées à tous ceux qui ont la charge d’au moins deux enfants.

Cependant, depuis 2015, leur montant n’est plus uniforme puisqu’il varie, désormais, en fonction des revenus des intéressés. Mais, là encore, il est permis de s’interroger sur la pertinence d’un discours mettant en avant la simplicité censée résulter d’un « système commun à tous » et la diversité générée par la multiplication de traitements particuliers au bénéfice de catégories sans cesse plus nombreuses…

L’objectif de lisibilité et de simplification, qui est également recherché à travers cette réforme, ne risque-t-il pas d’être perdu de vue ?

A l’évidence, oui ! Perdu de vue non pas seulement en raison de cette multiplication de
traitements particuliers, laquelle revient peu ou prou, qu’on le veuille ou non, à reproduire au sein du régime unique à points une floraison de « mini-régimes » propres à chacune des catégories dont on entend prendre en compte les intérêts spécifiques.

Mais perdu de vue, également, en raison de l’incertitude dans laquelle risque de se trouver tout un chacun s’agissant du montant de sa pension future : puisque la réforme se propose de substituer à un système à prestations définies un système à cotisations définies. Autrement dit : si chacun, à l’heure actuelle, peut connaître, à partir de ses annuités de cotisations (et ce, quand bien même il relèverait de plusieurs régimes différents), quel sera le montant de sa pension, il n’en va pas de même, en revanche, du pensionné du régime à points : puisque ce montant sera entièrement fonction de la valeur du point.