Les retraites

Le Monde.fr : Réforme des retraites : comprendre le débat sur l’âge pivot et la durée de cotisation

Septembre 2019, par infosecusanté

Réforme des retraites : comprendre le débat sur l’âge pivot et la durée de cotisation

Le Monde.fr

Emmanuel Macron a laissé entendre lundi que la notion d’« âge pivot » pourrait être remplacée par une durée de cotisation. Un débat qui n’est pas seulement sémantique.

Par Adrien Sénécat

Publié le 30 août 2019

La réforme en cours de préparation va-t-elle pousser les Français à retarder leur départ à la retraite ? « Rien n’est décidé », a assuré Emmanuel Macron lundi 26 août sur France 2. Le chef de l’Etat a loué le travail « remarquable » de Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire chargé du dossier qui a rendu ses recommandations en juillet, tout en indiquant que la réforme fera l’objet d’une vaste négociation avant son vote.

Si le gouvernement s’est jusqu’ici engagé à ce qu’il reste possible de prendre sa retraite à 62 ans, il s’est aussi fixé comme objectif de mettre en place un régime équilibré sur le plan budgétaire. L’introduction d’un âge pivot en dessous duquel le montant des pensions de retraite ferait l’objet d’un « malus » répondait à cette priorité, mais ce point fait déjà l’objet de nombreuses critiques. C’est pourquoi Emmanuel Macron a laissé entendre que la réforme pourrait encore évoluer.

Derrière des termes et mécanismes qui peuvent paraître techniques, ce débat est en fait tout ce qu’il y a de plus concret pour les salariés.

Un nouveau système qui rendrait les anciennes règles obsolètes

Dans le système actuel, il existe deux âges pour partir à la retraite :
1.L’âge légal du départ en retraite (62 ans dans le cas général), à partir duquel il est possible de toucher une pension ;
2.L’âge de la retraite à taux plein, en dessous duquel il est possible de partir, mais avec une pension réduite. Ceux qui ont cotisé moins longtemps que ne le prévoit la loi (172 trimestres, soit quarante-trois ans, pour les personnes nées après 1973) subissent en effet une décote jusqu’à l’âge de 67 ans, où le taux plein devient systématique.

La réforme qui vise à mettre en place un régime « par points » change cette logique. L’âge légal du départ à 62 ans est conservé dans la formule proposée par le rapport de Jean-Paul Delevoye, mais l’âge de la pension à taux plein disparaît. Dans le système, le montant de la retraite est, en effet, calculé en fonction des points accumulés au cours de sa carrière. Plus on travaille, plus l’on cotise, et la notion de « taux plein » s’efface.

Avec la réforme voulue par le gouvernement, le travailleur ne suit plus l’évolution de son nombre de trimestres validés, mais plutôt celle de son nombre de points, qui correspond à ses cotisations. C’est à partir de cette cagnotte virtuelle que le montant de sa pension sera calculé.

L’âge pivot, une incitation à travailler plus longtemps

Mais le rapport Delevoye dévoilé au début d’été va plus loin encore. Il introduit, en effet, un nouveau repère temporel dans le calcul du montant des retraites : le fameux « âge pivot », qui serait fixé à 64 ans en 2025 et évoluerait ensuite en fonction de l’espérance de vie.

Concrètement, ceux qui partent en retraite à 62 ans dans un tel régime voient leur pension doublement pénalisée par ce système :
•Ils ont accumulé moins de points dans leur cagnotte virtuelle, ce qui correspond à une retraite plus faible ;
•Ils subissent une décote, qui serait de 5 % par année d’anticipation par rapport à l’âge pivot.

A l’inverse, le système incite à partir au moins à l’âge pivot, voire même plus tard encore puisque les années de travail supplémentaire permettent de bénéficier d’un bonus de 5 % par an dans le calcul de sa retraite. En creux, cela incite les futurs retraités à prolonger leur carrière, sans que cela soit une obligation.

Le système proposé par le haut-commissaire laisse tout de même la possibilité de partir à la retraite à 60 ans pour les carrières longues, dans les mêmes conditions de durée de travail qu’actuellement.
Lire aussi | Avec la future réforme, à quel âge sera-t-il possible de partir à la retraite ?
Privilégier la durée de cotisation individualiserait la règle

Interrogé sur France 2 au sujet de ce mécanisme, Emmanuel Macron a laissé entendre qu’une autre option pourrait encore être retenue :

« Je préfère qu’on trouve un accord sur la durée de cotisation plutôt que sur l’âge. Parce que si vous avez un accord sur la durée de cotisations, quand vous rentrez tard dans la vie professionnelle, vous finissez plus tard. Et quand vous commencez tôt, vous cotisez plus longtemps donc vous partez plus tôt. »

Le rapport Delevoye mentionnait lui aussi cette possibilité, laissant entendre qu’il serait possible d’introduire un âge pivot qui ne serait pas le même pour tous les travailleurs, en le calculant de manière individuelle en fonction de la durée de cotisation. Concrètement, cela voudrait dire qu’en dessous d’une certaine durée de cotisation, la pension de retraite serait frappée d’une décote. Mais le haut-commissaire avait écarté cette piste pour des raisons « d’équité » et « de solidarité ».

Prenons plusieurs cas fictifs pour comprendre la différence entre les deux options. Par exemple celui d’Aurélie, une ingénieure née en 1975 qui aurait commencé à travailler à 24 ans :
•Avec un âge pivot fixé à 64 ans pour tous, elle pourrait théoriquement prendre sa retraite en 2039 sans subir de décote ;
•Avec un âge pivot fixé de manière individuelle pour une durée de quarante-trois ans de cotisations, Aurélie pourrait toujours théoriquement partir en 2039, mais avec une décote. Pour percevoir une pension sans malus, elle devrait travailler quatre ans de plus.

A l’inverse, cette option serait plus avantageuse pour Maxime, un employé de banque né en 1975 qui aurait commencé à travailler à 20 ans :
•Avec un âge pivot fixé à 64 ans pour tous, il devrait attendre 2039 pour partir sans décote ;
•Avec un âge pivot fixé de manière individuelle, il pourrait partir dès 2038 sans décote.

Comme le montrent ces exemples théoriques, le fait d’opter pour une durée de cotisation en lieu et place d’un l’âge pivot unique soulève de nombreuses questions sur les durées de cotisations à retenir et les garde-fous à mettre en place pour que, par exemple, un actif qui a commencé à travailler tardivement ou a eu une carrière « hachée » ne soit pas contraint de cotiser bien au-delà de 67 ans. Ce qui pourrait notamment passer par une meilleure prise en compte des stages et emplois saisonniers des étudiants. Autant de questions qui inquiètent tout autant les syndicats que l’âge pivot en lui-même.