Les retraites

Le Monde.fr : Réforme des retraites : l’exécutif piégé par le débat sur la valeur du point servant au calcul des pensions

Février 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Réforme des retraites : l’exécutif piégé par le débat sur la valeur du point servant au calcul des pensions

Depuis vendredi, le gouvernement est sommé de s’expliquer sur les futures règles d’indexation précisées dans le projet de loi, alors que l’indicateur statistique annoncé n’existe pas encore.

Par Audrey Tonnelier et Raphaëlle Besse Desmoulières

Publié le 12/02/2020

L’exécutif ne parvient toujours pas à faire preuve de pédagogie sur son projet de loi retraites. Depuis le 7 février, il est sommé de s’expliquer sur un aspect en apparence technique, mais central de la réforme : l’évolution de la valeur du point servant au calcul de la retraite.

Mardi 11 février, Laurent Pietraszewski, secrétaire d’Etat chargé du dossier, a de nouveau été interrogé, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale. La valeur du point, a-t-il affirmé, « ne pourra jamais être inférieure à l’inflation et donc (…) ça ne peut être que favorable pour l’ensemble des futurs retraités ».
De quoi parle-t-on ? Jusqu’à présent, les choses semblaient relativement claires : le premier ministre, Edouard Philippe, avait assuré, le 11 décembre 2019, devant le Conseil économique, social et environnemental, que non seulement « la loi prévoira une règle d’or pour que la valeur des points acquis ne puisse pas baisser » à l’avenir mais aussi qu’elle ira « au-delà puisqu’elle prévoira une indexation progressive non pas sur les prix, comme aujourd’hui, mais sur les salaires, qui, dans notre pays, augmentent plus vite que l’inflation ».

Si la mention de l’indexation sur les salaires est reprise dans l’étude d’impact publiée le 24 janvier, l’article 9 du projet de loi indique, lui, qu’elle suivra « l’évolution annuelle du revenu moyen par tête ». Une formulation devenue « revenu d’activité moyen par tête » après adoption d’un amendement gouvernemental en commission spéciale au Palais Bourbon.

« Dans l’inconnu »
Problème : le 7 février, devant la bronca des députés de l’opposition taxant l’exécutif d’« amateurisme », M. Pietraszewski a reconnu que cet indicateur « aujourd’hui n’existe pas » et reste « à créer ». Cette mission serait confiée à l’Insee. Pourquoi ce changement ? « Il est intéressant de le créer, parce que (…) le point ne va pas concerner que les salariés, mais l’ensemble des Français, les revenus des indépendants, des fonctionnaires, avait justifié le secrétaire d’Etat. Il est donc juste et objectif de constituer un indicateur qui concerne toutes ces populations. »
Pas de quoi faire taire les critiques. « C’est révélateur de tout le reste, déplore Pierre Roger (CFE-CGC). Cela montre la totale impréparation du gouvernement sur le sujet. » D’autant, estime-t-il, que cela revient à « prendre le contre-pied de tout ce qu’a dit l’exécutif depuis deux ans, lui qui n’a cessé de claironner qu’il n’y aurait pas de baisse des pensions car la valeur du point serait fondée sur l’évolution du salaire moyen ».
Au contraire, selon Frédéric Sève (CFDT), « il faut indexer sur l’ensemble des revenus qui concourent au système, juge-t-il. Indexer sur une partie d’entre eux serait une manipulation. » Pour Regis Mezzasalma (CGT), « c’est cohérent avec l’esprit de ce que le gouvernement veut faire ». « Mais comme on n’a pas de visibilité sur ce que ce nouvel indicateur va être, on est totalement dans l’inconnu sur ses incidences », regrette-t-il.

Si les fonctionnaires sont déjà considérés comme salariés par l’Insee, ce n’est pas le cas des indépendants (artisans, commerçants, professions libérales, autoentrepreneurs, gérants de société…), dont les revenus représentent, en masse, environ un dixième de ceux des salariés, selon l’Institut. Reste à savoir comment ce « revenu d’activité moyen » sera construit.

« Légitime d’intégrer les revenus des différents actifs »

A l’Insee, on reconnaît « avoir appris par la presse l’existence de ce sujet ». Jean-Luc Tavernier, son directeur général, indique que pour l’heure, l’institut statistique « n’a pas été saisi » d’une demande de construction d’un nouvel indicateur. Même si « le gouvernement et le Parlement sont autorisés à demander des productions statistiques, comme l’est la société civile, cela est de toute façon réalisé de façon indépendante », rappelle M. Tavernier.

Pour Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), « cette revalorisation devrait être plus favorable que l’inflation mais moins que le salaire moyen du secteur marchand ». « En effet, le gel régulier du point d’indice de la fonction publique conduit à une dynamique des salaires des fonctionnaires moins favorable que ceux du privé, souligne-t-il. Et depuis dix ans, le revenu des indépendants est moins dynamique que celui des salariés du privé. »
Tous les experts ne sont pas aussi alarmistes. « A partir du moment où l’on passe à un système universel, et où l’on veut que les revenus des retraités ne décrochent pas par rapport à ceux des actifs, il est légitime d’intégrer les revenus des différents actifs », pointe Philippe Martin, patron du Conseil d’analyse économique. « Techniquement, je ne vois pas où est le loup, glisse un bon connaisseur du sujet. Mais d’un point de vue de communication politique, ce débat tombe mal à un moment où le gouvernement essaie de rassurer les gens sur la valeur de leur retraite. »