Le droit à la santé et à la vie

Le Monde.fr : « Restreindre l’accès à l’aide médicale d’Etat pour les sans-papiers n’aura que des conséquences néfastes »

Octobre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : « Restreindre l’accès à l’aide médicale d’Etat pour les sans-papiers n’aura que des conséquences néfastes »

Tribune

Alors qu’a débuté le débat parlementaire sur l’immigration, un collectif de chercheurs, dans une tribune au « Monde », met en garde le gouvernement sur une réforme visant à réduire l’aide médicale d’Etat. Elle est tout sauf un luxe pour les migrants.

Publié hier à 15h12, mis à jour à 08h18

« En permettant des soins de prévention et des prises en charges précoces, l’AME limite les surcoûts liés à la prise en charge de pathologies à un stade avancé ou aux hospitalisations prolongées. » (Photo : Manifestation de soutien aux migrants devant le commissariat du 18e arrondissement en juin.) ANTONIN SABOT / LEMONDE.FR
Tribune. Le gouvernement prépare une réforme de l’aide médicale d’Etat (AME). Ce dispositif d’accès aux soins destiné aux personnes en séjour irrégulier, sous conditions de ressources (moins de 746 euros par mois) et de résidence en France depuis plus de trois mois, pourrait subir une restriction à l’occasion de l’examen du budget 2020, à l’automne.
Une mission d’évaluation commandée auprès de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des finances (IGF) recommanderait la mise en place d’un ticket modérateur, la réduction du panier de soins pris en charge ou encore le renforcement du contrôle administratif des personnes.
Aucun fondement scientifique
Nous, chercheurs et chercheuses spécialistes des thématiques de santé et de migrations, sommes opposés à ce projet de réforme, qui ne repose sur aucun fondement scientifique.
Rappelons tout d’abord que l’idée selon laquelle l’AME attire un flux important de migrants venant se faire soigner en France ne résiste pas à l’épreuve des faits : toutes les enquêtes disponibles montrent que la santé est un motif de migration très marginal, bien moins fréquent que les autres. C’est après leur arrivée que la plupart des immigrés soignés en France sont tombés malades.
Représentant une part infime des dépenses publiques de santé (0,5 % des dépenses de l’Assurance-maladie), l’AME permet à des personnes particulièrement vulnérables du fait de leur précarité administrative et sociale de se soigner. La restreindre accentuerait le non-recours aux soins alors que celui-ci est déjà très fréquent chez les populations concernées.
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Nos travaux ont clairement établi que l’accès à une couverture maladie est un des déterminants majeurs de l’accès aux soins pour ces personnes, soumises à des risques de santé importants en raison de leurs parcours de migration et de leurs conditions de vie sur le territoire.
C’est ce que montrent l’enquête Parcours pour l’exposition au VIH, l’enquête Dsafhir pour l’exposition aux violences, la cohorte « PreCARE » pour les risques de morbidité maternelle et périnatale chez les femmes sans papiers, l’enquête Migsan sur la santé des migrants et l’enquête « Premiers pas » sur l’accès à l’AME. Restreindre l’accès aux soins pour les sans-papiers aurait pour conséquence d’augmenter le risque de morbidité et mortalité chez les migrants, mais également, pour les pathologies transmissibles, les risques liés à la diffusion de celles-ci.
Moins de suivis à long terme
Dans le domaine de la santé mentale, les étrangers ont moins accès aux soins psychiatriques que les natifs et les reçoivent plus souvent en situation de crise ou sous contrainte. Ils bénéficient moins de suivis à long terme, malgré les risques psychiques auxquels les expose le parcours migratoire. Que deviendront ces malades si leur accès aux soins psychiatriques devait être encore plus réduit ?
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Enfin, l’AME est fondamentale pour la réduction des risques et des coûts de santé publique. L’accès aux soins primaires pour tous est « coût-efficace » pour le système de santé : elle favorise le diagnostic et la prise en charge précoce des maladies, notamment infectieuses, comme la tuberculose, le VIH ou l’hépatite B, ainsi que des pathologies de la grossesse susceptibles d’évoluer vers des maladies graves responsables de prématurité et de handicap pour les enfants à naître.
En permettant des soins de prévention et des prises en charges précoces, l’AME limite les surcoûts liés à la prise en charge de pathologies à un stade avancé ou aux hospitalisations prolongées.
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L’étude « Equi-Health », menée comparativement dans quatre Etats européens, a démontré que l’accès aux soins de santé primaire pour les étrangers sans papiers permet une économie de 49 % à 100 % par rapport à une prise en charge purement hospitalière. Une restriction de l’AME entraînera une charge supplémentaire pour les finances hospitalières déjà fragilisées et les urgences déjà en grande difficulté.
La réforme de l’aide médicale d’Etat doit s’appuyer sur les résultats de nos études, produites par la recherche publique pour éclairer la décision politique. Elles montrent que l’aide médicale d’Etat est tout sauf un luxe pour les sans-papiers et n’enlève rien aux autres. Bien au contraire elle concourt à ce que l’ensemble de la population vivant en France puisse être en bonne santé. Réduire le panier de soins auquel elle ouvre n’aura que des conséquences néfastes en matière économique et sanitaire.
Les signataires : Armelle Andro, sociodémographe, université Paris-I-Panthéon-Sorbonne ; Elie Azria, épidémiologiste, UMR1153 EPOPé, université de Paris, maternité du groupe hospitalier Paris Saint-Joseph ; Johann Cailhol, infectiologue, laboratoire éducations et éducations et pratique de santé (LEPS)-Paris-XIII et APHP ; Jean-Baptiste Combes, chercheur en économie de la santé, Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) ; Annabel Desgrees Du Lou, démographe, Institut de recherche pour le développement (IRD), Institut convergence migrations ; François Héran, démographe, professeur au Collège de France, Institut convergence migrations ; Céline Gabarro, sociologue, Eceve, UMR Inserm 1123 ; Anne Gosselin, docteure en santé publique, Institut convergence migrations, ERES/IPLESP Inserm 1136 ; Anne-Cécile Hoyez, géographe, CNRS, UMR6590 ESO Espaces et sociétés ; Laurence Kotobi, socioanthropologue, université de Bordeaux-Faculté d’anthropologie, BPH U 1219-Inserm, Institut convergence migrations ; Maria Melchior, épidémiologiste, Inserm, Institut convergence migrations ; Valéry Ridde, directeur de recherche, Centre population et développement (EPED)/Institut de recherche pour le développement (IRD) ; Nicolas Vignier, docteur en médecine, spécialiste en maladies infectieuses et tropicales, GHSIF/ERES, Iplesp, Inserm UMR 1136.
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