Les retraites

Le Monde.fr : Retraites : souvent présenté comme modèle, l’exemple suédois malgré tout critiqué

Décembre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Retraites : souvent présenté comme modèle, l’exemple suédois malgré tout critiqué

Adopté à la fin des années 1990, le système suédois des retraites sert d’inspiration aux réformes du gouvernement français. S’il est considéré comme un des plus soutenables financièrement au monde, il est critiqué pour générer des inégalités et de la précarité.

Par Anne-Françoise Hivert Publié le 19/12/2019

Depuis près de vingt ans, les fonctionnaires des ministères à Stockholm se sont habitués à l’étrange ballet des délégations françaises défilant dans la capitale suédoise. Membres du gouvernement, députés, partenaires sociaux, experts… Ils débarquent en quête d’idées, pour tenter d’accomplir en France ce que la Suède a réalisé dès la fin des années 1990, avec un système des retraites qui sert aujourd’hui d’inspiration au gouvernement d’Edouard Philippe, mais fait l’objet de critiques dans le royaume scandinave.

Votée en 1998, les bases de la réforme ont été posées en 1994. La Suède sort alors d’une grave crise, qui a laminé son économie et ses finances publiques. Dans la pure tradition scandinave du consensus, sociaux-démocrates, conservateurs, libéraux, centristes et chrétiens-démocrates, rejoints depuis par les Verts, forment le « pensionsgruppen » (groupe des pensions), chargé de proposer une alternative à un système dont la pérennité financière est menacée, alors que le vieillissement de la population s’accélère.
Depuis 1959, la Suède dispose d’un régime universel des retraites. Il est maintenu. Mais alors que le niveau des pensions était basé sur les quinze meilleures années de salaire, le législateur introduit la retraite par points, dans laquelle chaque année compte.

Indexé sur l’espérance de vie
Le système est traditionnellement présenté sous la forme d’une pyramide. Le régime général en constitue le socle. Il est financé par les cotisations retraite à hauteur de 18,5 % du revenu, partagées par les salariés et les employeurs. Quatre-vingt-six pour cent sont versés au système de répartition, le reste est capitalisé dans des fonds de pension. Une « retraite minimale garantie », ainsi qu’une allocation logement sont prévues pour ceux qui n’ont pas suffisamment travaillé.

Au deuxième niveau de la pyramide se trouve la pension professionnelle, financée par l’employeur et négociée dans le cadre des accords collectifs. Neuf salariés sur dix en bénéficient. Elle représente environ 15 % de la retraite des Suédois. Le troisième niveau est constitué de l’épargne personnelle et des placements, auxquels les actifs sont fortement incités à recourir. En 2018, les Suédois ont touché une retraite moyenne de 19 265 couronnes brut (1 850 euros).

Deux mécanismes assurent la stabilité financière du système. D’abord, la valeur des points varie en fonction de la conjoncture économique et du succès en Bourse des fonds de pension publics. Si les cotisations et les taux de rendements de ces fonds sont trop faibles, un système de « freinage » est enclenché, qui réduit le montant des pensions, comme ce fût le cas en 2010, 2011 et 2014.

Le niveau des retraites est également indexé sur l’espérance de vie : plus elle augmente, plus les Suédois doivent travailler longtemps. Au lieu d’un âge légal de départ à la retraite, le royaume s’est doté d’un système flexible, avec un âge minimal à partir duquel les Suédois peuvent commencer à toucher une partie de leur pension, et un âge maximal au-delà duquel ils n’ont plus le droit aux allocations chômage s’ils perdent leur emploi.

« Symétrie »
Chaque année, le Pensionsmyndigheten (office suédois des pensions) fixe un âge pivot, qui varie en fonction de l’année de naissance et de l’espérance de vie, ce que les Suédois appellent l’« âge réel » de départ à la retraite, à partir duquel ils pourront toucher leur pension à taux plein. Actuellement, il est à 67 ans. Pour les enfants nés en 2019, il devrait atteindre 70 ans, selon les prévisions.

Ce système présente plusieurs avantages, selon Joakim Palme, professeur de sciences politiques à l’université d’Uppsala : « D’abord, il a résolu le problème du financement, puisqu’il est complètement déconnecté des finances de l’Etat. Ensuite, sa symétrie lui donne de la lisibilité : chaque couronne cotisée offre les mêmes droits. Il augmente aussi les incitations à travailler plus longtemps, en prenant en compte le fait que nous vivons en meilleure santé plus longtemps. »

En théorie, en tout cas. Car dans la pratique, « l’idée selon laquelle les Suédois partiraient plus tard pour augmenter leur retraite n’a pas vraiment fonctionné », reconnaît Ole Settergren, analyste auprès du Pensionsmyndigheten. Au lieu de 67 ans, les Suédois partent à 64 ans. Résultat : le niveau des pensions, dépendant du régime général, est désormais inférieur de moitié à leur salaire de fin de carrière, contre 60 % en 2000.

Pour y remédier, les députés ont dû intervenir : à partir du 1er janvier 2020, l’âge minimum va passer de 61 à 62 ans, puis continuer à augmenter, pour atteindre 64 ans, d’ici à 2026. Une réforme qui n’a provoqué ni grève ni manifestation, mais a été accueillie avec une certaine résignation. « A force d’entendre que nous devrions travailler plus longtemps, nous nous sommes habitués », commente Kerstin Nilsson, professeur de santé publique à l’université de Lund.

Elle fait partie des 54 chercheurs, spécialistes de la santé au travail, qui ont mis en garde, en décembre 2017, contre l’élévation constante de l’âge du départ à la retraite, qui ne prend pas en compte la pénibilité au travail. Le problème, explique-t-elle, est qu’« on parle de l’âge chronologique, c’est-à-dire du nombre d’anniversaires célébrés, mais pas de l’âge biologique, qui varie d’une personne à l’autre ».

Les femmes grandes perdantes
« C’est un système qui a transféré la responsabilité de l’Etat vers l’individu, qui doit désormais assumer les coûts et les risques, ce qui nécessite de faire tous les bons choix »
Ingemar Hamskär, expert auprès de l’organisation de retraités Pro, approuve : « On considère les retraites comme une unité. Or, si certains veulent et peuvent travailler au-delà de 65 ans, ce n’est pas possible pour tous. C’est d’autant plus injuste que tout le monde n’a pas la même espérance de vie. » Dans ce système, « si toute la carrière compte, les dernières années sont essentielles », rappelle Anna Eriksson, porte-parole de l’organisation SPF Seniorerna. En moyenne, les Suédois qui travaillent jusqu’à 69 ans au lieu de 65 ans peuvent augmenter leur retraite de 18 %, selon Pensionsmyndigheten. Ceux qui partent plus tôt, au contraire, se verront imposer une décote.
« C’est un système qui a transféré la responsabilité de l’Etat vers l’individu, qui doit désormais assumer les coûts et les risques, ce qui nécessite de faire tous les bons choix », note Ingemar Hamskär. Le modèle fonctionne très bien, dit-il, « pour ceux qui ont des salaires moyens ou élevés, une pension professionnelle, et une carrière linéaire ».
C’est beaucoup moins le cas pour les faibles revenus et les carrières morcelées. Parmi les grands perdants, les femmes, dont beaucoup ont opté pour le temps partiel et qui ont des salaires en moyenne 12 % plus faibles que ceux des hommes – les Suédoises perçoivent 600 euros de moins que les Suédois à la retraite. Autre critique : l’écart entre les retraites des personnes qui ont cotisé toute leur vie, mais sur la base de revenus faibles, et ceux qui bénéficient de la « retraite minimale garantie » est quasiment inexistant, « ce qui réduit l’incitation à travailler », observe Anna Eriksson.

Pourtant, malgré la défiance croissante des Suédois, personne ne remet en cause le système. Le débat se focalise plutôt sur la hausse des pensions et le moyen d’y arriver : en baissant les taxes, ou en relevant le niveau des cotisations. Les sociaux-démocrates ont promis une revalorisation de 60 euros par mois, d’ici la fin de leur mandat en 2023.