Les retraites

Le Monde.fr : Retraites : un compromis entre syndicats et patronat sur le financement est-il possible ?

Janvier 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Retraites : un compromis entre syndicats et patronat sur le financement est-il possible ?

Le premier ministre s’est déclaré « disposé à retirer » de sa réforme des retraites l’âge pivot, fixé à 64 ans en 2027. Il confie aux partenaires sociaux le soin de trouver une solution pour assainir les comptes.

Par Cédric Pietralunga , Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières •

Publié le 13/01/2020

Un compromis entre les syndicats et le patronat est-il possible, d’ici à la fin avril, pour combler le déficit du système de retraites en 2027 ? C’est désormais la question qui se pose à la suite du courrier envoyé, samedi 11 janvier, par Edouard Philippe aux partenaires sociaux. Dans cette lettre, le premier ministre se déclare « disposé à retirer » du projet de loi sur la réforme des retraites l’âge d’équilibre (ou âge pivot) fixé à 64 ans en 2027 – une disposition qui avait sa préférence pour ramener dans le vert nos régimes de pension.

Mais les organisations d’employeurs et de salariés devront, en contrepartie, se mettre d’accord sur d’autres moyens permettant d’assainir les comptes dans sept ans. L’exercice s’annonce ardu : les parties en présence n’ont, en effet, pas la même approche du problème et les solutions pour le résoudre ont été balisées par l’exécutif. « C’est la quadrature du cercle », comme le résume Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).

Aucun « sous-texte »

M. Philippe propose désormais que soit mise en place une « conférence sur l’équilibre et le financement du système de retraite », dont le concept avait été soufflé, le 5 janvier, par Laurent Berger, le numéro un de la CFDT. Les partenaires sociaux sont ­invités à y participer, afin d’élaborer des mesures de nature à restaurer « l’équilibre ­financier en 2027 ».

La conférence, précise M. Philippe, devra rendre « ses conclusions d’ici à la fin du mois d’avril ». Si les protagonistes topent sur un deal dans le temps imparti, « le Parlement pourra en tenir compte lors de la seconde lecture et le gouvernement prendra une ordonnance transcrivant cet accord dans la loi ». Dans l’hypothèse inverse, l’exécutif, « éclairé par les travaux de la conférence », « prendra par ordonnance les mesures nécessaires pour atteindre l’équilibre en 2027 et financer les nouvelles mesures de progrès social ». « Je prendrai mes responsabilités », insiste M. Philippe.

A Matignon, on affirme que le message du chef du gouvernement aux organisations de salariés ne recèle aucun « sous-texte ». « Dans l’esprit du premier ministre, le retrait de l’âge pivot n’est pas provisoire. Il part du principe que les partenaires sociaux vont trouver une autre solution pour équilibrer financièrement le système », explique un conseiller. Comprendre : il n’y a pas de piège, contrairement à ce que soutiennent les syndicats contestataires, qui accusent le gouvernement d’avoir d’ores et déjà prévu de réintroduire l’âge ­pivot à l’issue des tractations.

« Jeu de dupes »

M. Philippe trace également une feuille de route pour les acteurs de la conférence. Ce qui en ressortira ne devra entraîner « ni baisse des pensions pour préserver le pouvoir d’achat des retraités ni hausse du coût du travail pour garantir la compétitivité de notre économie ». « On ne nous laisse aucune marge de manœuvre, s’indigne Catherine Perret, la numéro deux de la CGT. C’est un jeu de dupes. » La centrale dirigée par Philippe Martinez doit très prochainement décider si elle s’implique, finalement, dans la conférence de financement.

A peine la lettre de M. Philippe avait-elle été reçue, samedi après-midi, que les syndicats dits « réformistes » se félicitaient, dans des communiqués, du geste fait par le premier ministre. « Enfin le retrait de l’âge pivot ! », a ­salué l’UNSA. « La CFDT a obtenu le retrait de l’âge pivot », a clamé, de son côté, la confédération de Laurent Berger. Celui-ci, dans une interview au Journal du dimanche, est allé jusqu’à crier « victoire ». Au sein de la centrale cédétiste, on veut croire qu’« un compromis est toujours possible mais jamais certain ». « Ce n’est pas gagné d’avance », reconnaît cependant l’un de ses dirigeants.

Le plus dur est, en effet, à venir. Les syndicats vont devoir trouver un terrain d’entente avec le patronat, ce qui est loin d’être acquis. Dès samedi, en fin après-midi, le Medef a précisé dans quel état d’esprit il aborde la conférence de financement : pour lui, il s’agit de définir « les mesures d’âge justes, assurant l’équilibre financier du système de retraites à court, moyen et long terme ». Autrement dit, la première organisation d’employeurs est prête à discuter, mais seulement d’un ajustement de l’âge pivot ou d’un autre mécanisme concourant à augmenter la durée de cotisation. « On n’y échappera pas, martèle-t-on avenue Bosquet à Paris, où se situe le siège du Medef. Mais Laurent Berger est-il prêt à assumer dans trois mois ce qu’il n’assume pas aujourd’hui ? Ça risque d’être une victoire à la Pyrrhus pour lui. S’il ­estime que dans trois mois, après les municipales, le premier ministre se dégonflera et n’osera pas remettre l’âge pivot, il ne fait pas le bon calcul. »

M. Chevée (CPME) développe une analyse similaire : « Il y aura une mesure d’âge, c’est obligatoire, dit-il. On ne trouve pas 12 milliards d’euros [le montant estimé du déficit du système de pensions en 2027] sous le ­sabot d’un cheval. » Alain Griset, le président de l’Union des entreprises de proximité ­(artisans, commerçants, professions libérales), se montre moins catégorique : « On ne doit pas être bloqués sur la question de l’âge pivot », confie-t-il.

Dans le Journal du dimanche, M. Berger souhaite examiner d’autres pistes pour trouver des ressources supplémentaires, comme le « fonds de réserve des retraites » (FRR), actuellement doté d’un peu plus de 30 milliards d’euros, ou « l’emploi des seniors » qui, s’il augmente, se traduit par un surcroît de cotisations (payées par les personnes prolongeant leur activité). Dans Le Parisien de dimanche, Laurent Escure, le secrétaire général de l’UNSA, recommande, lui aussi, de puiser dans le FRR ; il cite par ailleurs une autre hypothèse consistant à « prélever durablement [à partir de 2024] 1 milliard ou 1,5 milliard sur ce que dégage la CRDS », la contribution créée en 1996 pour résorber la dette sociale. « Dans ce cas, pourquoi ne pas rétablir l’ISF ?, ironise un bon connaisseur du dossier. On peut aussi ouvrir le concours Lépine des solutions mais vu la façon dont la conférence est bâtie, on ne peut que finir avec une mesure d’âge. »

« Climat propice »

Chacun a aussi en tête la réforme de l’assurance-chômage que les organisations d’employeurs et de salariés avaient été invitées à négocier à partir de l’automne 2018, avec l’objectif, fixé par le gouvernement, de réaliser entre 3 milliards et 4 milliards d’euros d’économies en trois ans. Une exigence si forte que les parties en présence avaient été incapables de ficeler un compromis, conduisant l’exécutif à reprendre la main. « Faire le parallèle avec la négociation sur l’assurance-chômage, qui a échoué en février 2019, ne paraît pas véritablement pertinent, objecte-t-on à Matignon. Chaque négociation est différente. Nous avons fait un pas en direction de la CFDT et de ses alliées, elles aussi à notre égard. Et les représentants des employeurs se sont aussi inscrits dans cette démarche. Le climat est donc propice pour que cette conférence sur le financement réussisse. »

La tâche ne s’annonce sans doute pas facile, admet-on à Matignon, « mais ce serait un bon signal si les partenaires sociaux parvenaient à trouver un accord, permettant d’initialiser le régime universel sans qu’il n’y ait le moindre déficit ». Cyril Chabanier, le président de la CFTC, pense, lui aussi que le contexte n’a rien à voir avec celui qui prévalait lors des pourparlers sur l’assurance-chômage : il y avait, à l’époque, un « cadrage » très contraignant, alors qu’aujourd’hui, on sent « la volonté de reprendre nos propositions », indique-t-il.

Au demeurant, les syndicats et le patronat « ont démontré qu’ils étaient capables de conclure des accords dans les deux champs où la démocratie sociale s’exerce encore : l’assurance-chômage et le régime des retraites complémentaires du privé Agirc-Arrco, rappelle Bruno Palier, directeur de recherche au CNRS. Ça n’a pas toujours été simple, notamment quand il s’est agi de prendre des mesures d’économie, mais ils l’ont fait. Dès lors, on ne peut pas présumer qu’ils n’y parviendront pas, à l’occasion de cette conférence sur l’équilibre et le financement des retraites. »

S’il compte s’engager dans la conférence sur le financement, Yves Veyrier, le secrétaire ­général de FO – l’une des confédérations qui exige l’enterrement de la réforme –, se montre passablement agacé. A la question de savoir si un compromis est possible, il répond : « Ça dépend entre qui et qui et de ce qui a été préparé en coulisses puisque manifestement, il y a eu des discussions en coulisses. » Pour François Hommeril, président de la CFE-CGC, il sera « impossible » de se mettre d’accord. « Cette lettre est assez scandaleuse, c’est le gouvernement qui creuse le trou et il nous impose la forme et le résultat [de la discussion], critique-t-il. Et tout cela dans le cadre d’un conflit qui ne porte absolument pas sur l’atterrissage en 2027 mais sur le futur système. »

Reste à savoir si le mouvement contre le régime universel de retraites, animé par l’intersyndicale CGT, FO, CFE-CGC, Solidaires et FSU, va s’étioler. Dimanche, au journal télévisé de France 2, M. Philippe a lancé un appel à la « responsabilité » en direction des grévistes. Au sein de l’exécutif, on se dit persuadé que le geste de samedi « rend plus fort le gouvernement ». « Politiquement, ce qui vient de se passer va nous aider pour les semaines et les mois à venir, veut croire un conseiller du chef du gouvernement. Imposer un nouveau système de retraite contre tous les syndicats aurait été compliqué. Là, on peut avancer. La décision du premier ministre est une décision très “Acte II” qui va apaiser les choses. »

Samedi, la mobilisation à l’appel de l’intersyndicale était en baisse : 149 000 manifestants ont défilé dans toute la France selon le ministère de l’intérieur (500 000 personnes d’après la CGT). Mais les protestataires ­continuent d’afficher leur combativité. « Non seulement l’âge pivot n’est pas retiré mais en plus le premier ministre confirme sa détermination à reculer l’âge de départ à la retraite en refusant toute augmentation de cotisation sociale », ont-ils dénoncé en donnant rendez-vous, jeudi 16 janvier, pour une ­nouvelle journée d’action.

Cédric Pietralunga , Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières