Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Sous la pression du variant anglais, Dunkerque voit flamber l’épidémie de Covid-19

Février 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : Sous la pression du variant anglais, Dunkerque voit flamber l’épidémie de Covid-19

Par Camille Stromboni

Publié le 20/02/2021

REPORTAGE

Le taux d’incidence est trois fois plus élevé que la moyenne nationale, et la part du variant « B.1.1.7 » estimée à 72 % des cas. L’hôpital voit affluer de nombreux patients, souvent plus jeunes.

Arrivé trois quarts d’heure avant l’ouverture, il est le premier dans la file d’attente qui s’allonge devant le Kursaal, le palais des congrès de Dunkerque (Nord), transformé dans l’urgence, jeudi 18 février, en centre de dépistage du Covid-19. Le retraité Jean-François Dehaene, comme beaucoup de Dunkerquois venus effectuer un test antigénique à deux pas de la plage de Malo-les-Bains, veut avant tout « se rassurer », alors que l’épidémie flambe dans sa ville depuis deux semaines.

« Le Covid-19, c’est une chose, mais le variant britannique, c’est très anxiogène, et ça s’est centralisé à Dunkerque », dit l’homme de 59 ans, avant de passer sous l’une des tentes blanches pour le prélèvement nasopharyngé. « Je n’ai aucun symptôme, et on ne voit quasiment plus personne, mais c’est un virus qui nous fait peur, ça va à une vitesse folle », abonde, à quelques mètres, Evelyne Hecquet, 67 ans, venue elle aussi pour lever toute inquiétude.

Comme une traînée de poudre, le variant britannique s’est imposé en quelques semaines seulement dans la cité portuaire de Jean Bart. Si le pays se situe aux alentours de 36 % de cas positifs « criblés » au variant « B.1.1.7 » au 18 février, d’après le ministère de la santé, c’est le cas de 72 % des tests des Dunkerquois.

Cette progression s’est accompagnée d’une envolée des contaminations, avec un taux d’incidence qui a franchi depuis plusieurs jours déjà les 600 cas pour 100 000 habitants sur une semaine, soit trois fois plus que la moyenne nationale. Il a atteint 713 cas dans la communauté urbaine de Dunkerque, vendredi 19 février. Le taux de positivité dépasse également de 5 points les chiffres nationaux, à 11 %.

« Ça a explosé en dix jours, ça part de partout, ça va très vite », décrit le maire (divers gauche) de Dunkerque, Patrice Vergriete. Clusters au commissariat, au tribunal, dans les écoles, hôpital saturé de patients Covid-19… Le scénario ressemble à celui redouté de toutes parts face au variant à la contagiosité plus forte.

« On essaie de rassurer »
« On sent que l’étau se resserre, on connaît de plus en plus de personnes qui ont le virus avec le variant, dit Alexandra, 30 ans, venue se faire tester après sa semaine d’isolement, ayant été cas contact à la suite d’un déjeuner avec une amie. On a forcément peur de l’attraper, jusqu’à maintenant avec toutes les précautions qu’on prenait, ça marchait, mais là, on a l’impression que ça va nous tomber dessus quand même… »

A côté d’elle, assis dans l’espace réservé à l’attente des résultats, José Coppey, harnaché de son habit de travail aux bandes jaunes fluorescentes, a vu la moitié des collègues du centre d’entretien routier voisin, à Loon-plage, touchés par le Covid-19.

« On est aussi inquiets pour les enfants, ils seraient plus porteurs et vecteurs de transmission », dit Nathalie Rosendal, 37 ans. Dans l’école de son fils, la grande section a fermé – et 10 % des classes ont dû fermer ces dernières semaines pour des cas de Covid-19, selon la mairie. La jeune femme est venue se faire dépister par sécurité, avant la venue de sa mère chez qui son fils passera finalement les vacances, en Dordogne. « La mairie nous a conseillés, si on pouvait, de trouver un autre mode de garde que le centre de loisirs », dit-elle.

A la fin de la journée, jeudi, sur les 240 personnes testées au Kursaal, huit se sont révélées positives, dont sept avec le variant britannique. Elles ont été accompagnées par des agents de l’agence régionale de santé (ARS), pour leur expliquer les mesures d’isolement et effectuer un « contact tracing flash », afin de remonter les cas contacts.

A quelques kilomètres de la mer, dans les locaux de la caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) des Flandres, on ne chôme pas pour effectuer ce tracing au quotidien, avec des appels vers les personnes diagnostiquées positives et les cas contacts qui se sont concentrés ces dernières semaines à Dunkerque. On y a bien vu monter le variant britannique qui suppose, une fois le test de la personne « criblé », de la rappeler une seconde fois, dans les vingt-quatre heures.

« On sent plus d’inquiétude chez les personnes qui ont le variant, reconnaît Marie Merlier, responsable de la plate-forme. On essaie de rassurer, en expliquant que ce n’est pas plus grave, mais que c’est beaucoup plus contagieux. » « Nous insistons encore plus sur le fait que les contaminations peuvent être plus importantes, sur les mesures d’isolement, ou encore sur la liste des cas contacts », ajoute le sous-directeur, Laurent Duplessy.

« Nos soignants sont épuisés »
Depuis cette recrudescence brutale de l’épidémie, la pression ne retombe pas sur la ville du Nord. « La situation sanitaire est intense, on est encore sur le gril », reconnaît le directeur de l’ARS des Hauts-de-France, Benoit Vallet. Le professeur espère voir rapidement les effets des nouvelles mesures prises depuis quelques jours. « Si la situation continue à se tendre, des mesures supplémentaires devront être envisagées », dit-il.

Pendant deux jours, le personnel de santé va réaliser une campagne de dépistage au Kursaal. Dunkerque, le 18 février 2021.
Pendant deux jours, le personnel de santé va réaliser une campagne de dépistage au Kursaal. Dunkerque, le 18 février 2021. AIMÉE THIRION POUR « LE MONDE »
Outre l’encouragement à se faire tester avec quatre centres supplémentaires, la préfecture a annoncé, samedi 13 février, la mise en place d’arrivées et de sorties des classes en horaires décalés à l’école, le passage des collèges et lycées en mode mixte (présentiel/distanciel), une obligation du port du masque élargie, ainsi qu’un renforcement des contrôles du respect des règles à la frontière avec le Royaume-Uni et la Belgique. Quelque 2 400 vaccins supplémentaires ont également été promis à la ville.

Des mesures « totalement déconnectées », estime le maire de Dunkerque, Patrice Vergriete, installé dans l’imposant bâtiment en brique de la communauté urbaine, qu’il préside. L’élu avait tiré la sonnette d’alarme dès le 10 février. « Je voyais le taux d’incidence bondir, et j’apprends que le variant était six fois supérieur chez nous qu’au niveau national… »

L’hôpital était déjà saturé de patients atteints du Covid-19. Sa vidéo, dans laquelle il alerte les Dunkerquois et les appelle à la prudence et à faire preuve de « responsabilité » en respectant les gestes barrières et en évitant tout regroupement, est suivie d’une communication de l’ARS qui confirme la « dégradation très rapide de la situation épidémiologique ».

Avec l’ensemble des maires de la communauté urbaine, il demande alors la fermeture des collèges et lycées, pour la dernière semaine avant les vacances, avec un passage en distanciel et le maintien des écoliers à la maison pour ceux qui le peuvent. En vain. « Je ne demandais pas le confinement, simplement de s’attaquer à tous les motifs de regroupements, l’école et les transports scolaires, c’est le point de fragilité qui restait », estime-t-il.

Cela aurait surtout constitué, selon lui, un « signal » de l’Etat qui lui semblait indispensable pour convaincre les citoyens de la gravité de la situation : « Je vous le dis, samedi [20 février], il y aura des anniversaires avec dix gamins, il y aura des matchs de foot entre collégiens », peste le maire. « L’erreur du gouvernement, c’est de considérer qu’il n’y a qu’une seule épidémie, il y a plusieurs épidémies, la différenciation devient indispensable, dit-il. Je suis très inquiet de la situation, nos soignants sont épuisés… »

« La boule au ventre »
Au centre hospitalier de Dunkerque, on ne sort pas la tête de l’eau. En dix jours, plutôt qu’une vague, c’est une « marée » qui a déferlé sur l’hôpital, « avec des coefficients au-delà de ce qu’on a pu connaître », dit le chef des urgences, Christophe Couturier. Et elle ne descend pas : dans le bâtiment gris, les services sont remplis en permanence, avec toujours une soixantaine de patients atteints du Covid-19, dont dix en réanimation, au 19 février. « La digue subit des pressions énormes », image le médecin, les traits tirés, alors que le pic de novembre 2020 est déjà dépassé dans l’hôpital.

Les transferts se sont multipliés à des niveaux inédits, avec 51 patients de réanimation envoyés vers d’autres hôpitaux du territoire depuis le 1er février, et quatorze patients de médecine. « Ce sont trois à quatre personnes que l’on doit transférer chaque jour ! », assène Christophe Couturier. Jusqu’à quand cela sera-t-il possible ?, s’inquiète-t-on chez les soignants. La prochaine étape, si la poussée se poursuit, c’est la déprogrammation d’autres patients. « On est au bout du bout, maintenant il faut que l’ensemble des Dunkerquois aient un comportement exemplaire, pour nous aider, et s’aider eux-mêmes », dit l’urgentiste.

Lire notre décryptage :
pourquoi un virus très contagieux est plus dangereux qu’un virus très létal
Cette tension sur les places en hôpital n’est pas sans conséquence, confie Julie Jacquemart, infirmière dans le secteur réservé aux patients contaminés par le virus. « Parfois, on sait qu’il ne reste plus qu’un lit de réanimation, et on a plusieurs patients sur le fil… Donc on travaille avec la boule au ventre, raconte-t-elle. Même si la solution sera trouvée ailleurs, c’est un stress supplémentaire. » Ce rebond épidémique est également plus difficile au niveau « psychologique », car les patients contaminés sont « plus jeunes » que lors des précédentes vagues, rapporte-t-elle.

Cette nouvelle « vague variant », comme l’appelle la médecin hygiéniste, Isabelle Durand-Joly, a d’autres particularités : « Le virus se transmet très vite », pointe-t-elle, évoquant un patient positif qui peut, dès le lendemain, être très contagieux, alors qu’un délai de quelques jours pouvait exister auparavant.

Elle voit beaucoup de clusters familiaux, « avec des familles entières, pas les enfants, mais les parents, les grands-parents… ». « Evidemment, avec ce niveau de contamination, on se pose des questions sur ce qu’il se passe en ville », reconnaît la médecin.

« Les carnavaleux sont extrêmement responsables »
Car le variant britannique n’explique pas tout. Sans surprise, Dunkerque étant, avec le port de Calais (Pas-de-Calais), l’une des deux portes d’entrée de la Grande-Bretagne, les premiers cas identifiés laissent penser que « cela vient d’échanges avec le Royaume-Uni », confirme le professeur Benoit Vallet, citant des travailleurs qui passent d’un côté à l’autre de la Manche, ou des relations familiales.

Mais « la confirmation que le variant est associé à l’augmentation virale reste à faire », dit-il. Sur d’autres territoires, ce variant peut ainsi avoir fortement progressé sans engendrer une telle situation. « L’incidence virale peut être rattachée au variant, mais aussi à un moindre respect des mesures barrières », reprend le directeur de l’ARS.

Derrière cette inquiétude, la question sensible du carnaval est dans toutes les têtes. Annulé, le rendez-vous phare de la ville du Nord aurait dû battre son plein à Dunkerque à partir du 14 février. Si aucun événement n’a eu lieu − hormis en ligne, comme le « championnat du monde du cri de la mouette », en vidéo − certains craignent les « chapelles clandestines » qui pourraient se tenir dans le cadre privé, du surnom de ces rassemblements qui entourent habituellement les festivités chez les habitants.

« Les carnavaleux sont extrêmement responsables, ils mettent un point d’honneur à ne pas écorner l’image du carnaval, écarte l’urgentiste Christophe Couturier. Mais il y a forcément eu une hausse des contacts entre personnes, dans le cercle amical, professionnel, familial. Après un an de contraintes, il y a peut-être eu un relâchement. » « Je connais ma ville, il n’y a rien eu pour le carnaval, assure le maire Patrice Vergriete. Après, comme partout, il y a des gens qui ne respectent pas la loi, bravent le couvre-feu, on appelle ça une “chapelle” ou une soirée “binouze” [bière], mais il n’y en a pas plus à Dunkerque qu’ailleurs. »

La progression du variant ne s’arrête pas, en tout cas, aux portes de la ville. A entendre le responsable de l’un des principaux laboratoires de la région, Biopath, qui traite 10 000 à 15 000 tests par jour, soit un tiers des PCR des Hauts-de-France, le variant britannique se répand déjà au-delà des frontières du Dunkerquois.

« Le sujet maintenant, ce n’est plus Dunkerque », dit le biologiste Hugues Leroy. D’après les tests criblés par son laboratoire, le taux de variant se situe à 90 % dans la ville. « De proche en proche, ça se diffuse comme une tache d’encre sur la Côte d’Opale, vers le Sud… Calais a triplé son taux de variant, pour atteindre 75 %, Lille également est passée de 35 % il y a dix jours, à 64 %. »