Perte d’autonomie, “dépendance”

Le Monde.fr : Sur le grand âge, la stratégie des petits pas du gouvernement

Septembre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Sur le grand âge, la stratégie des petits pas du gouvernement

Les professionnels du secteur jugent l’enveloppe consacrée à la dépendance insuffisante dans le projet de loi de finances de la Sécurité sociale.

Par Béatrice Jérôme •

le 30 octobre 2019

Le « grand soir » financier pour le grand âge n’est pas pour cet automne. Les « budgets gigantesques » que suppose la prise en charge de la perte d’autonomie, selon les mots du premier ministre, Edouard Philippe, sont un casse-tête. Il sera bien temps d’aborder la question avec la « loi sur la dépendance » promise pour « décembre », estime l’exécutif. Le projet de loi de finances de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 ne serait donc qu’« une première étape », explique le gouvernement. Ce qui justifie qu’il ne réponde pas à lui seul – et de loin – aux besoins du secteur, laisse-t-on entendre au ministère des solidarités et de la santé.

Cette stratégie gouvernementale des petits pas inquiète les acteurs professionnels du grand âge. Nombreux sont ceux qui redoutent que les personnes âgées « ne fassent finalement les frais » de mesures d’économie pour combler les dérapages liés aux mesures pour les « gilets jaunes ». Le gouvernement peut pourtant se prévaloir d’ores et déjà d’un « effort réel ». « Ce PLFSS va dans le bon sens puisque nous investissons davantage pour le vieillissement », se réjouit Olivier Véran, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Si l’on inclut les 65 millions d’euros programmés pour éviter les transferts aux urgences trop systématiques des personnes âgées, l’enveloppe du PLFSS pour 2020 dépasse les 500 millions d’euros.

Une nouvelle allocation

Au-delà des crédits prévus, le PLFSS est d’abord marqué par une mesure phare : la création d’une allocation journalière pour tout salarié contraint de cesser de travailler pour prendre soin d’une personne âgée en perte d’autonomie. Calquée sur l’allocation pour parent d’enfant handicapé, cette compensation sera de plus de 43 euros pour un proche aidant s’il est en couple et de près de 52 euros s’il vit seul. Elle pourra être perçue pendant trois mois pour l’ensemble de la carrière de l’aidant. Son versement, mis en place d’ici à octobre 2020, ouvrira des droits à la retraite. Cinquante-cinq millions d’euros sont prévus à cet effet dans le PLFSS.

« Quelque 270 000 personnes pourraient y avoir recours dès cette année. Sachant que plus de la moitié des 8 à 11 millions d’aidants sont salariés, cette mesure répond à une vraie attente et augure un engagement plus large sur plusieurs années », se félicite Annie Vidal, députée (LRM) de Seine-Maritime. Mme Vidal a convaincu en décembre 2018 la ministre de la santé Agnès Buzyn de financer cette nouvelle allocation par la solidarité nationale. Le gouvernement devrait annoncer une nouvelle série de mesures pour les aidants mi-octobre.

Le nouveau PLFSS permet aussi à l’exécutif d’afficher sa volonté de renforcer « massivement » les personnels dans les maisons de retraite. La loi sur l’adaptation de la société au vieillissement votée en 2015 poursuivait cet objectif mais sans nouveaux moyens financiers à la clé. A travers le PLFSS, Mme Buzyn poursuit et amplifie la « feuille de route » présentée le 30 mai 2018, qui prévoit de créer 22 500 postes d’ici à 2021. Deux cent vingt-cinq millions d’euros ont été programmés depuis deux ans. Depuis 2017, près de 7 000 postes ont été financés. Cinq mille le seront dans le nouveau projet de loi pour 2020, avec 210 millions d’euros inscrits.

Postes supplémentaires en Ehpad

Si ces mesures traduisent « un effort certain », réagit Marc Bourquin, chargé de la stratégie à la Fédération hospitalière de France (FHF), « elles ne sont pas la hauteur des besoins ». La FHF et douze autres fédérations et syndicats d’employeurs estiment qu’il faudrait créer 10 000 postes supplémentaires dès 2020 dans les Ehpad et structures d’aide à domicile.

La « feuille de route » de Mme Buzyn équivaut à « créer un demi-poste uniquement dans les Ehpad », calcule Romain Gizolme, directeur de l’Association des directeurs d’établissement d’hébergement des personnes âgées (AD-PA). Au côté de l’intersyndicale créée depuis les mouvements de grève de 2017 et la journée de mobilisation du 30 janvier 2018 dans les Ehpad, l’AD-PA réclame 40 000 postes dès 2020, soit deux postes dans chaque maison de retraite et structure d’aide à domicile, pour un coût estimé à 1,5 milliard d’euros.

S’agissant des Ehpad, le PLFSS poursuit le soutien à l’investissement pour leur rénovation à hauteur de 100 millions d’euros. Le gouvernement négocie par ailleurs des prêts à taux bonifiés avec la Caisse des dépôts et consignations.

L’autre grand chapitre du PLFSS pour les personnes âgées vise à réformer le financement des services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD). Cinquante millions d’euros y sont consacrés, soit le même montant qu’en 2019. Le gouvernement souhaite réduire les très fortes disparités de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) selon les départements. Un décret paru en mai 2019 prévoit l’instauration progressive d’un tarif plancher national. Il serait de 21 euros pour la prise en charge d’une aide à domicile, assorti d’un bonus de 3 euros. Ce qui suppose que les départements – qui pratiquent un tarif inférieur et qui contribuent tous à hauteur de 60 % à l’APA – y soient prêts. Or leurs dépenses sociales sont contraintes par les objectifs de réduction de leur budget de fonctionnement fixés par le gouvernement.

« Vingt et un euros est un tarif trop modique pour permettre aux structures d’aide à domicile de subvenir à leurs charges tout en payant mieux leurs salariés. Les rémunérations sont pourtant aujourd’hui beaucoup trop modestes pour rendre le métier attractif », explique Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap). « Ce PLFSS est une très grande déception, réagit Thierry d’Aboville, secrétaire général de l’ADMR (aide à domicile en milieu rural). Une fois de plus, le secteur du domicile est le grand oublié. » Pour la première fois, la plupart des organisations d’employeurs dans le secteur du service à domicile devraient soutenir le mouvement de grève du 8 octobre lancé par l’AD-PA et les syndicats pour protester contre les « mesurettes » et « le saupoudrage » proposés, selon eux, par ce PLFSS.

Béatrice Jérôme