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Le Monde.fr : « Toute personne menacée d’expulsion sans possibilité de relogement ne devrait pas pouvoir être expulsée »

Avril 2016, par infosecusanté

« Toute personne menacée d’expulsion sans possibilité de relogement ne devrait pas pouvoir être expulsée »

LE MONDE

02.04.2016
Par Collectif

Chaque année, le 1er avril marque la fin de la trêve hivernale et, avec elle, le retour du bal funeste des expulsions locatives. Chaque année, cette date représente pour un grand nombre de familles la reprise du cauchemar : celui de perdre son toit et, avec lui, ses droits les plus élémentaires à la dignité.

Par le passé, un certain nombre de maires progressistes, communistes et républicains mais aussi socialistes et écologistes, ont signé des arrêtés conditionnant toute expulsion sur notre territoire à une solution de relogement.

C’est une mesure visant à assumer notre responsabilité de maintien de l’ordre public. C’est une mesure visant à protéger nos populations, déjà confrontées à de nombreuses difficultés, du traumatisme de l’expulsion. C’est une mesure visant à protéger le droit au logement, comme un droit fondamental de l’être humain.

Pourtant, ces arrêtés ont été, sur demande des préfets, systématiquement cassés par les tribunaux administratifs.

Notre objectif n’a jamais été de disconvenir à la loi. Bien au contraire. Il s’agit d’en assurer son plus strict respect.

L’Etat dédouané de ses obligations

La France est signataire, comme bon nombre d’autres pays, de traités internationaux qui, par l’article 55 de notre Constitution, ont « une autorité supérieure à celle des lois ». Et notamment du pacte des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels, dont l’article 11 stipule que « les Etats parties au présent pacte reconnaissent le droit de toute personne et sa famille à un niveau de vie suffisant, comportant nourriture, vêtement et logement, et à l’amélioration constante de ses conditions de vie et s’engagent à prendre les mesures nécessaires ».

La France, qui a publié ce pacte au Journal officiel du 1er février 1981 avec la mention « entrera en vigueur pour la France le 4 février 1981 » reconnaît donc, par une autorité supérieure à celle des lois du pays, le droit au logement et doit s’engager à prendre les mesures nécessaires à son respect.

Il en résulte que l’engagement pris par l’Etat aux termes de l’article 11 lui est opposable, puisqu’un droit proclamé est reconnu, et que toutes les autorités de l’Etat sont tenues d’y conformer leurs décisions.

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Mais force est de constater que sur ce sujet, encore plus que sur d’autres, l’Etat manque à ses plus simples obligations. En votant la loi sur le droit au logement opposable (DALO), la France a implicitement officialisé la négation du droit au logement en tant que tel. La loi DALO renverse donc le rapport entre principe et exception.

S’il existe un droit qui serait opposable et des conditions auxquelles on peut en bénéficier, alors cela signifie qu’il y a en face un droit au logement qui serait non opposable. La loi DALO n’est donc pas une loi qui rend le droit au logement opposable, mais bien une loi qui en réduit l’opposabilité aux conditions qu’elle édicte. Elle dédouane l’Etat de ses obligations internationales. Et oblige les citoyens à démontrer, par une longue procédure, l’opposabilité de leur droit.

Hypocrisie

Que dit cette loi concernant les expulsions locatives ? Que toute personne menacée d’expulsion sans possibilité de relogement peut être reconnue DALO. Une circulaire de 2012, cosignée par votre prédécesseur Cécile Duflot et par Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, reconnaît même le caractère « paradoxal » pour le préfet de procéder à l’expulsion tout en ayant la charge du relogement des personnes reconnues prioritaires, et demande à ce que les préfets veillent « à mettre en œuvre systématiquement le relogement effectif du ménage dans un délai tel qu’il intervienne avant la date à laquelle le concours de la force publique sera mis en œuvre ».

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Toute personne menacée d’expulsion sans possibilité de relogement ne devrait donc pas pouvoir être expulsée de son logement. C’est le sens des arrêtés que nous signons depuis des années. C’est le sens des engagements de l’Etat au niveau international. C’est le sens du droit au logement, reconnu comme droit fondamental.

Il est temps que l’Etat mette fin à cette hypocrisie qui consiste à demander à chaque citoyen de démontrer l’opposabilité de son droit au logement. Alors qu’il reste 150 000 personnes sans domicile en France. Il est temps d’établir le droit au logement pour tous. Il est temps que plus une seule famille menacée d’expulsion sans possibilité de relogement ne soit victime d’expulsion.

Cela demande le respect des engagements de l’Etat au niveau international. Cela demande le respect des engagements du gouvernement en termes de places d’hébergement, la relance de la construction de logements, et notamment de logements très sociaux, par le rétablissement des aides à la pierre, la réquisition des logements vides, l’application de la loi SRU [loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains] partout et la condamnation, voire la destitution des maires hors la loi.

Nous ne pouvons accepter que le 1er avril marque une année de plus, une année de trop, le jour anniversaire d’une telle indignité nationale.

Les signataires de l’appel

Les premiers maires signataires de l’appel lancé à Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l’habitat durable :

Azzédine Taïbi, maire de Stains, Gilles Poux, maire de La Courneuve, Meryem Derkaou, maire d’Aubervilliers, Carine Juste, maire de Villetaneuse, Patrick Douet, Maire de Bonneuil-sur- Marne, Stéphanie Daumin, maire de Chevilly-Larue, Charlotte Blandiot-Faride, maire de Mitry-Mory, Syvlie Altman, maire de Villeneuve-Saint-Georges, Didier Paillard, maire de Saint-Denis, Marie Hélène Amiable, maire de Bagneux, Patricia Tordjman, maire de Gentilly, Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers, Jean Claude Kennedy, maire de Vitry-sur-Seine, Michel Lefebvre, maire de Douchy-les-Mines, Renzo Sulli, maire d’Echirolles, Michèle Picard, maire de Vénissieux, Annick Matighello, maire de Louvroil, Joël Marion, maire de Compans, Dominique Lesparre, maire de Bezons, Jean-Marc Lespade, maire de Tarnos, Gilles Leproust, maire d’Allonnes, Sébastien Jumel, maire de Dieppe, Patricia Fernandes-Pedinieli, maire de Port-de-Bouc, Marie-France Beaufils, maire de Saint-Pierre-des-Corps, Stéphane Barre, maire d’Oissel-sur-Seine, Franck Demaumont, maire de Chalette-sur-Loing, Maryvonne Hautin, maire de Saran, Christine Morel, maire d’Harfleur, Sylvie Thomassin, maire de Bondy.