Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr Trafic de faux passes sanitaires : des méthodes et des profils variés

Décembre 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr Trafic de faux passes sanitaires : des méthodes et des profils variés

Les 182 000 faux passes découverts depuis juin mettent en lumière des pratiques qui vont de l’acte artisanal isolé à l’escroquerie en bande organisée.

Par Lucie Soullier

Publié le 21/12/2021

Il y a celui qui maquille son propre QR code et le revend en ligne, celle qui feint de vacciner un ami dans le centre où elle travaille, ou encore celui qui pirate directement le site Web de l’Assurance-maladie. Il y a ceux qui expliquent aux enquêteurs l’avoir fait gratuitement, « par conviction », et ceux pour qui c’était « du pur business ». Il y a les trafics de « vrais faux » passes sanitaires, utilisables, et ceux de « faux faux » passes inexploitables.

Parmi les 400 enquêtes ouvertes et la centaine d’interpellations dénombrées par le ministère de l’intérieur, les profils des faussaires et des détenteurs sont aussi divers que les méthodes utilisées. De l’escroquerie en bande organisée à l’arnaque artisanale, à combien de personnes ce trafic a-t-il permis d’aller au restaurant, au cinéma, de travailler au contact du public ou de voyager sans vaccin ni test négatif ?

Toujours selon Beauvau, 182 000 faux passes sanitaires en circulation ont été découverts depuis l’été. Bien plus auraient donc circulé. Au parquet de Nanterre, une information judiciaire ouverte le 25 novembre a notamment permis d’en détecter plusieurs milliers délivrés par les mêmes faussaires. « De la production de masse à base de piratage informatique », précise une source judiciaire. Mais nombre d’enquêtes révèlent des actes plus isolés, et moins organisés.

Incohérences détectées
« Il faut ramener les choses à leurs justes proportions », insiste ainsi le procureur de la République de Béziers (Hérault), Raphaël Balland, en relatant l’histoire d’une infirmière renvoyée devant le tribunal correctionnel le 28 février 2022. « Pour rendre service » à un ami musicien antivaccin travaillant dans l’éducation nationale, cette femme de 55 ans l’a accueilli au centre de vaccination de Béziers où elle travaille et « a fait semblant de lui administrer une première dose », en juin.

Comment les faussaires et leurs « clients » sont-ils repérés ? En l’occurrence, à Béziers, le faux vacciné s’est un peu trop vanté, et s’est fait dénoncer. Dans la plupart des autres affaires, ce sont les autorités sanitaires – Assurance-maladie en tête – qui détectent des incohérences et saisissent la justice. Au Plan-de-la-Tour, dans le Var, une médecin avait ainsi facturé près de 2 000 vaccinations, alors qu’elle n’avait reçu que 530 doses. Elle a été mise en examen pour « faux et usage de faux », « escroquerie au préjudice d’un organisme de santé », mais également pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

« Plusieurs de ses patients ont en effet porté plainte en expliquant avoir véritablement cru se faire vacciner », souligne le procureur de Draguignan, Patrice Camberou. Même type d’anomalie dans la Haute-Garonne, où un vaccinodrome de Muret délivrait davantage de certificats qu’il ne recevait de vaccins. L’enquête a fini par identifier une opératrice du centre et deux autres personnes impliquées.

Parmi leurs près de 140 « clients » : des aides-soignantes, un employé d’Ehpad, deux préparatrices en pharmacie, un dirigeant d’entreprise spécialisée dans la « désinfection Covid », du personnel assurant la sécurité en milieu hospitalier, un gendarme… Eux achetaient leur « vrai faux » passe entre 100 et 380 euros, détaille le parquet de Toulouse, soit par le bouche-à-oreille, soit en passant par une « annonce publicitaire » sur l’application Snapchat.

« T’as pas un passe ? »
C’est sur ce même réseau social qu’un couple de trentenaires roubaisiens vendait ses « faux faux » passes. « C’était quoi l’idée, gagner des sous en profitant de l’air du temps ? », résume le président de la 8e chambre du tribunal correctionnel de Lille, devant laquelle Mohammed M. et Nathalie D. comparaissaient, vendredi 17 décembre. Lui travaille dans un fast-food pour 1 000 euros par mois, dont 500 euros au noir. Elle tentait de compléter son RSA en vendant des roses éternelles sur Snapchat, et d’autres petites choses. Ou plutôt pas grand-chose, ces derniers temps.

Pire, Nathalie D. recevait de plus en plus de demandes pour un bien plus recherché que les fleurs en ces temps de crise : « On me disait tout le temps : “Je m’en fous de tes roses, t’as pas un passe ?” Il y avait beaucoup de monde qui demandait, alors voilà, ça a commencé comme ça. » Mohammed M. se met alors à colorier quelques cases de son propre QR code valide pour revendre 100 euros un « faux faux » passe inutilisable qui permettrait, selon lui, de ne mettre en danger personne.

Après une dizaine d’envois par la poste, le couple finit même par prendre l’argent sans plus rien envoyer. « Avec le temps, on s’est aperçu qu’envoyer un faux, c’était comme leur envoyer rien du tout. Autant ne rien leur envoyer », explique Nathalie D. à la barre. « Escroc pour escroc… », lâche le président, en rappelant que la petite affaire tournait « plutôt bien », avec près de 6 000 euros récoltés en trois mois. Sur le banc voisin, mais poursuivi lui aussi, l’un de leurs acheteurs « pigeonné ». « Oui, lui j’ai dû l’escroquer », convient Mohammed M. en s’excusant.

« C’est le jeu, j’ai joué, j’ai perdu », répond le client, Malek D., que l’arnaque n’a pas arrêté. Il a même fini par trouver un autre faux, mais « fonctionnel », pour 400 euros celui-là. « Ça n’aurait pas été plus simple de se faire vacciner, finalement ? », interroge le président du tribunal. Malek D. hésite et baragouine : il n’est pas vraiment « antivaccin de base », mais « contre le fait qu’on [le] force ». Le président l’arrête pour lui demander de rappeler sa profession : « Infirmier. » Il sera condamné à quatre mois de prison avec sursis, six avec sursis pour les vendeurs.

Statut de repenti
« Dans ce dossier, vous avez l’illustration de l’appât du gain d’un marché né de la crise sanitaire. (…) On a vu les situations dramatiques auxquelles ça pouvait conduire », avait tenu à rappeler le procureur dans ses réquisitions. Le 1er décembre, une femme de 54 ans est morte du Covid-19 à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), faux passe sanitaire en poche. Son mari a porté plainte contre X. Le nom du médecin niçois qui apparaît sur son certificat vaccinal a résonné dans plusieurs parquets, dont celui de Nice, où ce même médecin avait déposé plainte pour usurpation d’identité il y a déjà plusieurs semaines.

« Elle aurait pu bénéficier d’un traitement plus adapté si elle avait dit qu’elle n’était pas vaccinée. Dites-le à votre médecin, il ne va pas prévenir la police, nous sommes tenus par le secret médical », insiste le chef du service de réanimation de l’hôpital, Djillali Annane. Le ministre de la santé, Olivier Véran, et le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, ont quant à eux évoqué l’idée d’un statut de repenti, promettant aux fraudeurs qui voudraient finalement se faire vacciner « l’abandon des poursuites » pour M. Véran, ou de bénéficier de « l’indulgence » de la justice pour M. Darmanin.

« Une très bonne idée », estime Carole Ichai, chef de service au CHU de Nice, selon qui 30 % des malades du Covid-19 en réanimation dans son service détiendraient un faux passe sanitaire. Un procureur, lui, soupire : « Il va falloir qu’on m’explique comment on va pouvoir appliquer ça, parce que moi, j’en croise tous les jours, des repentis. »

Lucie Soullier