L’hôpital

Le Monde.fr : Tribune : « L’hôpital public n’est plus capable d’amortir la moindre crise sanitaire, même si elle est prévisible »

Décembre 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Tribune : « L’hôpital public n’est plus capable d’amortir la moindre crise sanitaire, même si elle est prévisible »

Un collectif de plus de 5 000 médecins, soignants et agents hospitaliers s’adresse à Emmanuel Macron, dans une tribune au « Monde », et présente « quatre propositions concrètes pour sauver l’hôpital public ».

Publié le 21 décembre 2022

Les pouvoirs publics, à commencer par le chef de l’Etat lui-même, doivent avoir conscience que l’hôpital public est en train de se fissurer et bientôt de s’écrouler. Aujourd’hui, il s’agit ni plus ni moins d’empêcher qu’il ne redevienne l’hospice du XIXe siècle. Les alertes ont été nombreuses et notamment la démission de leurs fonctions administratives de plus de 1 000 chefs de service en janvier 2020. Depuis, il y a eu le Covid-19 et l’hôpital s’est organisé et a fait face.

Le Ségur de la santé, en juillet 2021, a suscité de grands espoirs, mais n’a rien réglé. Les 19 milliards d’euros attribués à cette occasion sont prévus sur dix ans, alors que, depuis quinze ans, l’hôpital public doit subir plusieurs milliards d’économies chaque année.

La fuite massive des soignants de l’hôpital se poursuit, malgré la revalorisation financière qui a permis de faire passer le salaire des infirmières de la vingt-septième place – sur les vingt-neuf Etats membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques –, à tout juste la moyenne de ces pays. Près de 20 % des lits sont fermés par manque d’effectifs. L’hôpital public n’est plus capable d’amortir la moindre crise sanitaire, même si elle est prévisible, comme la chaleur en été et la bronchiolite en hiver.

La priorité est d’agir sur les conditions de travail. Nous renouvelons avec force quatre propositions concrètes pour sauver l’hôpital public, qu’il est possible de mettre en œuvre très rapidement.

Tarir l’hémorragie de soignants
Premièrement, la sécurisation des soignants dans un service défini avec un horaire défini et un ratio maximal de patients par infirmière. La mutualisation des soignants au sein de grands pôles ou départements, et avec des horaires variables, doit cesser. Chaque soignant doit être affecté dans un service, cellule de base de l’hôpital, grâce auquel il peut trouver une reconnaissance et donner un sens à son travail.

Une charte nationale doit être mise en place indiquant que l’objectif d’ici à trois ans est d’avoir un ratio maximal de patients par infirmière, par exemple pas moins d’une infirmière pour huit patients dans un service de médecine adulte. La mise en place de ratios a démontré son efficacité dans d’autres pays, avec une diminution de la mortalité hospitalière dans les services qui les avaient appliqués.

Pour appliquer ces ratios, il est nécessaire d’embaucher environ 100 000 infirmières. Il est tout à fait envisageable de proposer un plan sur trois ans pour les recruter. Le coût a été estimé, dans une chronique récente du Monde, par la sociologue Dominique Méda, à 5 milliards d’euros. Ce coût important est acceptable par la société française, qui place la santé en priorité numéro un. C’est grâce à un plan clair d’amélioration de leurs conditions de travail avec un objectif chiffré à trois ans que l’on arrivera à tarir l’hémorragie de soignants en place, et à en attirer d’autres.

Ensuite, la poursuite de la revalorisation financière amorcée par le Ségur de la santé. Il faut poursuivre ce rattrapage salarial avec deux priorités : valoriser le travail de nuit et de week-end, et prendre en compte le coût élevé du logement des soignants travaillant dans les centres des grandes villes.

Garantie de financement
Puis : un vrai changement de gouvernance. Tout le monde répète que le service doit être la base de l’organisation de l’hôpital. Cependant, les décisions appartiennent toujours au directeur, aidé d’un comité exécutif constitué de responsables médicaux de pôles ou de départements, superstructures regroupant plusieurs services. L’objectif principal des pôles est la gestion financière et donc la mise en œuvre de restrictions budgétaires.

Chaque service doit rester libre de se regrouper ou pas en pôle ou en département, et ce sur des arguments médicaux ou de recherche, sans considération de gestion financière. Chaque service doit être libre de proposer son organisation, ses horaires de travail et doit pouvoir gérer le recrutement de son personnel avec les ratios indiqués plus haut.

Un trinôme, composé du directeur d’hôpital, du responsable médical et du responsable paramédical, associé à une commission médicale d’établissement intégrant tous les personnels de l’hôpital, doit pouvoir interagir avec chaque chef de service et cadre de service, même s’il y a trente ou quarante services dans l’hôpital.

Enfin, un changement du mode de financement s’impose. Tant que celui de l’hôpital sera essentiellement basé sur la tarification à l’activité, la prime à la rentabilité de chaque séjour perdurera avec son côté inflationniste et dévastateur sur les conditions de travail.

Pendant la crise du Covid-19, l’activité hospitalière, focalisée sur une seule pathologie avec des reports de prise en charge pour les autres maladies, a baissé. En raison des lits fermés, l’activité de 2022 n’a pas retrouvé le niveau de 2019. Malgré cela, le financement des hôpitaux a été maintenu en 2020, 2021, 2022 grâce à la garantie de financement permettant de renouveler le budget de 2019. Sans cela, de très nombreux hôpitaux auraient été en cessation de paiement.

Il y a urgence
Plutôt qu’une tarification à l’activité qui nécessite beaucoup de ressources en personnel éloigné du patient pour l’appliquer et la contrôler, ne pourrait-on pas poursuivre sous une forme adaptée cette garantie de financement ? Il faudrait la moduler d’une année sur l’autre sur des critères simplifiés mais robustes d’activité, comme le nombre d’admissions, le nombre de consultations, d’actes opératoires, d’accouchements. Toutes ces données sont générées automatiquement sans besoin de personnel administratif.

De même, grâce aux progrès de la médecine, certaines pathologies devraient bénéficier d’une diminution du recours à l’hospitalisation. Aujourd’hui, les directions ne l’encouragent pas, car des séjours en moins correspondent à des recettes en moins. On pourrait proposer une incitation en partageant à parts égales les ressources épargnées par des séjours hospitaliers en moins entre la Sécurité sociale et l’hôpital, qui a réalisé ces économies pour améliorer les conditions de travail et l’innovation.

Les mesures déjà prises à l’initiative du président de la République sont loin d’être négligeables, mais elles ont été insuffisantes pour corriger quinze ans de restrictions. Dix-huit mois après le Ségur de la santé, la situation s’est encore aggravée et la confiance des soignants s’est profondément dégradée.

L’hôpital public est le socle commun indispensable auquel tous les citoyens sont attachés. Le système hospitalier français était à la fin du XXe siècle un des fleurons de notre pays permettant un égal accès à des soins de qualité à chacun, quels que soient ses revenus et sa condition. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La triple épidémie actuelle de Covid-19, de grippe et de bronchiolite épuise son personnel et amène à annuler ou à repousser beaucoup d’autres soins, ce qui entraîne des pertes de chances importantes pour beaucoup de malades.

Face à cette dégradation sans précédent de notre système hospitalier, l’engagement et l’action du chef de l’Etat, qui a si bien qualifié l’hôpital public de « trésor de la République », sont devenus indispensables. Il y a urgence.

Parmi les signataires : Sadi Bencherif, brancardier, Fondation Rothschild, Paris ; Amel Boulkour, aide-soignant, centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes ; Florence Canton, cadre de santé, centre hospitalier (CH) de Pau ; Arnaud Chiche, anesthésiste-réanimateur, polyclinique d’Hénin-Beaumont ; Aude Couput-Magdelaine, pharmacienne, hôpital du Pays salonais, Salon-de-Provence ; Fabienne Deschamps, infirmière, CHU de Grenoble ; Isabelle Desguerre, pédiatre, hôpital Necker, AP-HP, Paris ; Danielle Devillard, sage-femme, CHU de Clermont-Ferrand ; Anne Gervais, hépatologue, hôpital Bichat, AP-HP, Paris ; David Grabli, neurologue, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris ; Bérangère Jouhier, kinésithérapeute, CH de Vannes ; Jean-Luc Jouve, chirurgien pédiatre, hôpital de la Timone, Marseille ; Marie Lagrange-Xélot, infectiologue, CHU de Saint-Denis de La Réunion ; Xavier Mariette, immuno-rhumatologue, hôpital Bicêtre, AP-HP, Le Kremlin-Bicêtre ; Léa Rifflade, puéricultrice, CHU de Nancy ; Sylvie Schoonberg, médecin de soins palliatifs, CH d’Agen-Nérac