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Le Monde.fr : « Une crise sanitaire à venir » : menaces sur les urgences pédiatriques d’Ile-de-France

Octobre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : « Une crise sanitaire à venir » : menaces sur les urgences pédiatriques d’Ile-de-France

Treize hôpitaux vont se retrouver avec un nombre insuffisant d’internes pour pouvoir maintenir une ouverture continue, à cause d’une erreur d’appréciation des autorités.

Par François Béguin • Publié le 18/10/2019

C’est une crise sans précédent que s’apprêtent à vivre cet hiver plusieurs services pédiatriques d’Ile-de-France. A la suite d’une erreur d’appréciation des autorités sanitaires, treize hôpitaux de la grande couronne parisienne vont se retrouver, à partir du 4 novembre, avec un nombre insuffisant d’internes de médecine générale pour pouvoir maintenir – à ce stade – l’ouverture sept jours sur sept et 24 heures sur 24 des urgences pédiatriques.

Dans la région, c’est un tiers de l’offre de soins d’urgence pour les enfants qui se retrouve ainsi en grande difficulté, faute de pouvoir s’appuyer ces six prochains mois sur ces médecins en formation.

« Fiasco »

Alors que les hôpitaux s’apprêtent à faire face, comme chaque hiver, à un quasi-doublement du nombre de passages aux urgences en raison des épidémies de bronchiolites aiguës et de gastro-entérites, les chefs de service concernés n’ont pas de mots assez forts pour dénoncer cette situation. Dans un communiqué publié mercredi 16 octobre, 28 d’entre eux alertent sur une « crise sanitaire à venir », prédisent une « catastrophe » et en appellent à la « responsabilité du gouvernement afin de trouver une solution rapide » pour y pallier.

Ce « fiasco complet » risque « d’aboutir à une véritable implosion de la médecine hospitalière pédiatrique en Ile-de-France », juge même Jean-Christophe Mercier, l’ancien chef de service des urgences pédiatriques de l’hôpital Robert-Debré, à Paris.
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A Mantes-la-Jolie (Yvelines), le service de pédiatrie n’a été choisi par aucun interne de médecine générale alors que douze postes étaient ouverts. L’hiver dernier, il en avait accueilli sept. Pour assurer les gardes de nuit et ne pas fermer ses urgences, Béatrice Pellegrino, la chef de service, explique qu’elle va devoir « recentrer toutes les forces » – c’est-à-dire neuf médecins titulaires – sur cette activité, quitte pour cela à fermer provisoirement d’autres offres de soins, comme les consultations programmées. « Les pédiatres seniors qui viennent chez nous pour faire autre chose que les urgences vont fuir nos services », redoute-t-elle.

« Une erreur d’appréciation collective »

Cette crise survient dans un hôpital public déjà vacillant, avec des services de pédiatrie qui se trouvent souvent affaiblis par des départs et peinent à recruter suffisamment de praticiens. « Un tel accident ne devrait pas déstabiliser une structure si elle fonctionnait parfaitement par ailleurs ; les conséquences sont décuplées par la fragilité du terrain sur lesquelles il survient », note Vincent Gajdos, chef du service de pédiatrie à l’hôpital Antoine-Béclère à Clamart (Hauts-de-Seine) et coordonnateur du DES de pédiatrie d’Ile-de-France.

Selon lui, entre 20 % et 50 % des postes de médecins titulaires seraient non pourvus dans plusieurs services. « Pendant longtemps, l’accession à un poste de praticien hospitalier a été un Graal, ce n’est plus le cas aujourd’hui », constate-t-il.

Dans un contexte aussi tendu, comment a-t-on pu priver d’internes en médecine générale pratiquement un tiers des services pédiatriques d’Ile-de-France ? « C’est une erreur d’appréciation collective, aussi bien en volume qu’en répartition », assure Didier Jaffre, le directeur de l’offre de soins à l’agence régionale de santé (ARS) Ile-de-France, en réponse à ceux qui voudraient faire porter la responsabilité de ce ratage à la seule agence.

Lors de sa réunion du 4 octobre, la commission de répartition des postes d’interne en médecine générale a choisi de proposer 327 postes de stage en pédiatrie pour le semestre d’hiver contre 204 lors de l’hiver 2008, soit une augmentation de 60 %. La commission mise alors sur un nombre suffisant de candidats. D’autant que les internes eux-mêmes souhaitaient avoir davantage de possibilités de stages. Mais quelques jours plus tard, seuls 159 postes sont pourvus, essentiellement dans les hôpitaux parisiens et de la petite couronne. Des établissements comme Melun-Sénart, Poissy-Saint-Germain-en-Laye, Rambouillet, Arpajon, Eaubonne ou Beaumont-sur-Oise se retrouvent sans un seul interne de médecine générale.

Appel à la bonne volonté d’internes

Dès lors, comment rattraper une telle situation ? A l’issue d’une réunion de crise, lundi 14 octobre, dans les locaux de l’ARS, l’hypothèse d’une nouvelle répartition et d’un nouveau choix des internes est rapidement écartée face au risque de recours devant la justice administrative. Dans l’impossibilité de redistribuer les cartes, l’agence tente par tous les moyens d’éviter des fermetures. « A ce stade, on est dans la construction de solutions qui permettent de laisser ouverts tous les services », assure M. Jaffre.

« Si des urgences ferment, on va avoir des émeutes, parce que l’hiver est une période hypertendue et qu’il y a déjà des temps d’attente importants », dit craindre Arnaud Chalvon, chef du service pédiatrique à Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne). Comme tous ses homologues chefs de service, il se demande comment un service pédiatrique parviendrait à encaisser 20 % à 30 % de fréquentation supplémentaire si l’un des sites voisins venait à fermer au cours de l’hiver.

Parmi les solutions officiellement mises sur la table par l’ARS pour éviter d’en arriver à une telle extrémité : l’appel à la bonne volonté d’internes ayant déjà fait leur choix, avec le versement d’une « prime » pour les encourager à changer de lieu de stage. Une quarantaine d’étudiants susceptibles de changer d’affectation auraient déjà été identifiés.

« C’est du jamais-vu »

Les préfectures ont également été invitées à faciliter les démarches administratives des internes étrangers. Officieusement, dans les treize établissements concernés, « la surenchère aurait déjà commencé au niveau des équipes seniors », explique un bon connaisseur de l’univers hospitalier.

Et si certains établissements publics situés loin du centre de Paris peinent à recruter des médecins, ceux de la capitale ou de la proche banlieue souffrent eux d’une pénurie de personnel soignant qui les contraint à fermer des lits d’hospitalisation.

A l’hôpital Bicêtre, selon les informations du Monde, six lits de réanimation pédiatrique étaient par exemple fermés le week-end du 12 et 13 octobre, l’établissement n’ayant pas réussi à recruter les trois à quatre infirmiers nécessaires à leur fonctionnement.

A l’hôpital Necker, le même week-end, huit lits de surveillance continue en pédiatrie étaient fermés pour les mêmes raisons. En réanimation pédiatrique, en fin d’année, il devrait manquer dix infirmiers dans ce prestigieux hôpital parisien. « C’est du jamais-vu », dénonce un pédiatre, qui dit craindre cet hiver une hausse du nombre d’enfants hospitalisés transférés dans des hôpitaux éloignés du domicile des parents, voire même hors de l’Ile-de-France.

François Béguin