Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Le Monde.fr : Une expertise conclut à l’irresponsabilité pénale du terroriste présumé de Romans-sur-Isère

Janvier 2023, par infosecusanté

Le Monde.fr : Une expertise conclut à l’irresponsabilité pénale du terroriste présumé de Romans-sur-Isère

Cette contre-expertise fait suite à une autre qui avait conclu à l’altération du discernement de M. Ahmed-Osman au moment des faits, en avril 2020 dans la Drôme, mais pas à son abolition.

Par Christophe Ayad

Publié le 06 janvier 2023

L’auteur présumé de l’attaque au couteau de Romans-sur-Isère (Drôme), qui avait causé deux morts et cinq blessés le 4 avril 2020, va-t-il être déclaré pénalement irresponsable ? Révélée par Le Parisien et consultée par Le Monde, une contre-expertise psychiatrique d’Abdallah Ahmed-Osman, le réfugié soudanais de 36 ans mis en examen et détenu pour ces faits qualifiés de terroristes, conclut à l’abolition de son discernement au moment de son passage à l’acte.

Le document, rendu le 7 novembre 2022, est signé par deux psychiatres de renom exerçant aux hôpitaux de Saint-Anne (Paris) et de Villejuif (Val-de-Marne). Cette contre-expertise fait suite à une première expertise en date du 5 décembre 2020, qui avait conclu à l’altération du discernement de M. Ahmed-Osman au moment des faits mais pas à son abolition, le rendant ainsi justiciable et accessible à une sanction pénale.

La nouvelle expertise vient complexifier une affaire qui se trouve à la lisière de la psychiatrie et du terrorisme. Le 4 avril 2020 dans la matinée, en plein premier confinement, Abdallah Ahmed-Osman sort de chez lui, dans la vieille ville, et se rend dans un bureau de tabac où il agresse le buraliste et son épouse au couteau. Il se rend ensuite dans une boucherie où il passe par-dessus l’étal pour s’emparer d’un hachoir. Il agresse et tue un client. Dans la rue, il demande à un passant s’il est musulman ; ce dernier répond qu’il est français et est blessé dans le dos. Dans une rue adjacente, il croise un individu sorti ouvrir ses volets : il le tue sous les yeux de son enfant. Plus loin, il blesse un homme qui se trouve à sa fenêtre, puis s’en prend à une femme dans l’entrée de son domicile. La police l’appréhende 20 minutes après le début de son périple meurtrier. Elle le trouve prosterné en train de réciter la profession de foi musulmane. Les enquêteurs retrouveront chez lui un court texte en arabe où il implore le « pardon » dû à tout « combattant » et dit ne plus pouvoir vivre « dans ce pays de mécréants ».

« Hallucinations auditives »
En garde à vue, Abdallah Ahmed-Osman n’exprime aucun remords. Il évoque « un drame », « une catastrophe » ou « un accident ». Il parle de « destin » et explique s’être défendu contre une agression. Aux psychiatres, il explique « avoir recommencé à présenter des hallucinations auditives depuis un mois avant les faits » selon le rapport. « C’est devenu de plus en plus présent, raconte-t-il. Au début, elles étaient là le soir puis ensuite toute la journée J’avais très peur chez moi. »

Le rapport note que « les hallucinations auditives qu’il présentait, appelées acoustico-verbales, envahissaient tout son espace psychique ». Il entend des voix, celles de connaissances, de ses frères restés au Soudan, qui l’appellent et lui disent de se libérer. « Je n’arrivais plus à penser, déclare le réfugié aux experts psychiatres. J’étais très angoissé (…) je me disais que les gens allaient me tuer. J’entendais ces voix au point de trembler. (…) J’avais des idées qui venaient dans mon esprit qui disaient que cela allait être la fin de la vie, la fin de l’humanité. » Le confinement dû au Covid a beaucoup pesé dans le déclenchement de cet épisode psychotique. Le rapport décrit aussi des symptômes dépressifs et suicidaires.

Ce n’était pas la première fois que l’auteur présumé entendait des « voix » menaçantes. En 2018, il avait consulté les urgences psychiatriques à Grenoble pour la même raison. Un traitement avait mis fin aux symptômes et il avait cessé de le prendre au bout de six mois.

En juin 2020, trois mois après le début de sa détention, Abdallah Ahmed-Osman a fait un nouvel épisode délirant majeur, qui a débouché sur neuf mois d’hospitalisation dans une unité spécialement aménagée (UHSA). Cette « hospitalisation sous contrainte [a] permis de mettre en évidence un trouble mental majeur, psychotique comme thymique », notent les experts.

« Aucun souvenir précis »
Les auteurs du rapport estiment que l’« épisode psychotique aigu au moment des faits est à l’origine de troubles majeurs du jugement et de troubles du comportement. Il existe un lien déterminant, direct et exclusif, entre les faits reprochés et cet état psychiatrique aigu », écrivent-ils.

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Le rapport d’expertise livre un récit inédit des faits vus par l’auteur présumé. Il y explique ne pas se souvenir clairement des événements et n’en avoir pris conscience que bien plus tard. « Je suis incapable de faire ça. Je n’aime pas la violence. Je cherche à comprendre ce qui s’est passé. Je n’ai aucun souvenir précis. C’est comme un cauchemar… Au début, j’ai pensé que ce n’était pas moi… Maintenant je sais que c’est moi qui l’ai fait… » Il raconte : « Quand j’ai quitté mon logement, je ne me rappelle même pas comment j’ai pu avoir ce couteau. Les commerces et les lieux où j’ai attaqué ces gens, je ne les connaissais même pas. Lors de la reconstitution, (…) je ne me souvenais pas de ces lieux. D’ailleurs, je ne voyais pas très bien les gens. Il y avait une sorte de brouillard qui les enveloppait. »

Les auteurs de la contre-expertise répondent indirectement à la première expertise qui estimait que maladie mentale et motivation terroriste n’étaient pas exclusives l’une de l’autre : « Chez les sujets croyants, l’investissement religieux est souvent vécu comme une échappatoire à une souffrance dépressive, en l’absence de possibilité psychique pour le sujet de trouver une solution alternative pour ne pas sombrer. »

Au terme de leur expertise les deux psychiatres concluent : « Le sujet était atteint au moment des faits d’un trouble neuropsychique (état psychotique aigu) ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes au sens du premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal. Le sujet n’est pas accessible à une sanction pénale. » Ils ajoutent toutefois qu’« en cas de nouvelle décompensation, le sujet est susceptible de présenter une dangerosité psychiatrique. Il relève d’une prise en charge et d’un traitement au long cours. »

Pour les avocats d’Abdallah Ahmed-Osman, Mes Antoine Ory et Dimitri Grémont, « cette expertise prend toute la mesure de la fragilité psychiatrique de M. Ahmed-Osman et de la lourdeur de sa pathologie, établie de longue date ».

Désormais, les juges d’instruction ont la possibilité de demander une nouvelle contre-expertise ou de s’en tenir là. Ils peuvent prononcer un non-lieu pour irresponsabilité pénale ou renvoyer M. Ahmed-Osman devant un tribunal. Une déclaration d’irresponsabilité pénale ne serait pas une première en matière de terrorisme : cela a déjà été le cas d’Alexandre Dhaussy, qui avait poignardé à La Défense un militaire sans le tuer, le 25 mai 2013. Mais, étant donné que l’une des deux expertises conclut à la responsabilité pénale d’Abdallah Ahmed-Osman, un procès peut avoir lieu. S’il y avait renvoi, la défense de M. Ahmed-Osman ne manquerait pas de le contester devant la chambre de l’instruction.

Christophe Ayad