Le système de santé en France

Le Monde.fr : Urgences débordées, cabinets médicaux fermés ou engorgés, laboratoires mobilisés… : un « janvier noir » pour le système de santé

Janvier 2023, par infosecusanté

Le Monde.fr : Urgences débordées, cabinets médicaux fermés ou engorgés, laboratoires mobilisés… : un « janvier noir » pour le système de santé

Face à une saturation de la prise en charge des patients, les revendications des médecins et autres professionnels se multiplient. Ils attendent des réponses d’Emmanuel Macron, qui doit présenter ses vœux aux acteurs de la santé vendredi.

Par Mattea Battaglia

Publié le 06/01/2023

La saturation du système de soins se joue du calendrier. L’année 2023 a débuté, pour les soignants, sous les mêmes auspices que 2022 s’était terminée : des services de réanimation franciliens auSAMU de Rouen, des urgences de Metz-Thionville – celles-là même où exerçait François Braun avant d’être nommé ministre de la santé – aux centres de SOS Médecins, les voyants, les uns après les autres, ont viré au rouge en ces premiers jours de janvier. Et même au « rouge vif », commente-t-on dans les services et les cabinets médicaux pris d’assaut.
La période courant entre Noël et le jour de l’An avait été qualifiée de « semaine de tous les dangers » par le ministre de la santé lors d’un déplacement, le 28 décembre, au centre hospitalier Annecy-Genevois (Haute-Savoie). En cause, la conjonction reconnue commeinédite de plusieurs facteurs : une « triple vague » épidémique – mêlant Covid, grippe et bronchiolite – venant peser sur des services hospitaliers déjà surchargés, un mouvement de grève parmi les médecins libéraux, prenant de court les autorités, et, toujours, des lits fermés à l’hôpital, des soignants en nombre insuffisant, en dépit des appels à l’« union sacrée » réitérés par le gouvernement. En dépit, aussi, des avertissements lancés, dès l’automne, par les professionnels en première ligne – à commencer par les pédiatres.

« La mobilisation des personnels est absolument complète et le système arrive à tenir », a tenu à rassurer, le 28 décembre toujours, François Braun. Et après ?« Tiendra-t-il » encore en janvier ? La question résonnait, sur le terrain, à la veille des vœux d’Emmanuel Macron au monde de la santé, vendredi 6 janvier. Alors que la situation sanitaire reste tendue sur les fronts de la grippe et du Covid-19, avec l’irruption de nouveaux variants, que les foyers de contestation chez les professionnels se multiplient et se durcissent, le contexte appelle une réponse politique « urgente », martèle-t-on dans les rangs des syndicats et collectifs de santé.
« On aura un plan, où on va, comment on y va, quelles sont les étapes », a promis François Braun, jeudi matin, sur le plateau des « 4 Vérités » de France 2, en référence aux annonces présidentielles à venir. En attendant la « refondation » promise, les soignants évoquent – et redoutent – un mois de « janvier noir ». A de nombreux niveaux.
Aux urgences, la fièvre des chiffres
L’affluence dans les services d’urgence, porte d’entrée de l’hôpital public, a trouvé, ces dernières semaines, de nombreuses traductions chiffrées. On y a compté les « passages quotidiens » et le « capacitaire », les appels « en amont » et les lits « en aval », les heures passées en salle d’attente, les patients« triés », accueillis, transférés… Une statistique nouvelle vient d’être versée au débat : celle des « décès inattendus » recensés par le syndicat SAMU Urgences de France – anciennement présidé par François Braun – et déclarés par son réseau d’adhérents. « Ça peut sembler macabre, mais c’est le moyen ultime que nous avons trouvé pour renforcer nos innombrables alertes », explique Dominique Savary, membre du conseil d’administration de l’organisation. Entre le 1er décembre et le 4 janvier, le décompte est monté à 34, mais « il est vraisemblablement très sous-estimé », poursuit ce médecin exerçant à Angers : seulement une quarantaine de services d’urgences, sur plus de 600 en France, ont participé à la « collecte ». Jusqu’à présent, SAMU Urgences de France comptabilisait les « patients brancard » contraints de passer la nuit dans un couloir. Cela a concerné, en un an, 26 390 personnes.

Un autre chiffre fait grand bruit, ces derniers jours, parmi les urgentistes : celui des 55 soignants – infirmiers et aides-soignants – qui, sur le site mosellan des urgences de Bel Air, relevant du CHR de Thionville (Metz), se sont fait porter pâles aux derniers jours de décembre. Cinquante-cinq personnels sur un total de 76, précise-t-on à la direction du centre hospitalier, et non sur 59, comme cela a pu être relayé dans la presse. Il n’empêche : cette vague d’arrêts-maladie, parfois sur décision des médecins des urgences eux-mêmes, a contraint l’établissement à déclencher son « plan blanc » et à modifier, jusqu’au 6 janvier, le fonctionnement de certains services. Le recrutement de douze soignants – six infirmiers, six aides-soignants – a été annoncé, mardi, par le directeur par intérim de l’hôpital – un nouveau devant être nommé d’ici la fin du mois. Des soignants interrogés ont fait part de leur « épuisement physique et psychologique » . D’aucuns ont aussi fait état d’un patient de 90 ans resté « plus de quatre-vingt-dix heures » sur un brancard.

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« Peut-on jeter la pierre à des collègues qui refusent de participer à un système aussi maltraitant ?, interroge Olivier Milleron, cardiologue à l’hôpital Bichat et membre du Collectif Inter-Hôpitaux. Le risque, c’est que cela fasse boule de neige, et que sans changement rapide de paradigme politique, il y ait, même parmi les personnels qui ont tenu bon jusqu’à présent, la tentation du renoncement. » Des actions comme celles de Thionville, avec des équipes paramédicales se mettant à l’arrêt, avaient fait parler d’elles, ces derniers mois, à Orléans, en région francilienne… « Voilà où en sont réduits les collègues : soit à jeter l’éponge pour se protéger, soit à opter pour des modes d’action qui font polémique, relève Christophe Prudhomme, médecin urgentiste et délégué de la CGT Santé. On tire sur la corde, on tire sur la corde, et à un moment, ça craque ! »
Chez les médecins libéraux, l’heure de la mobilisation
« Médecin généraliste, espèce en voie de disparition », « On vous soigne, soignez-nous » : les pancartes ont coloré la marée de blouses blanches qui a défilé, jeudi après-midi, du Panthéon au ministère de la santé, pour réclamer, entre autres, une revalorisation de la consultation pour les médecins libéraux.
Sur France 2, quelques heures plus tôt, le ministre avait donné le ton : « Je suis prêt à augmenter [la]consultation dès lors que les besoins des François sont remplis » – autrement dit, s’ils trouvent un médecin traitant, et s’ils accèdent aux soins « la nuit, le week-end », selon le« principe du gagnant-gagnant », a défendu M. Braun. Mais pas à hauteur des 50 euros demandés par les médecins mobilisés depuis plusieurs semaines.

Le doublement du tarif de base de la consultation (de 25 à 50 euros) est la principale revendication – ou, en tout cas, la plus médiatisée – mise en avant par le jeune collectif Médecins pour demain qui,pour la deuxième semaine consécutive, du 2 au 8 janvier, a appelé à débrayer, soutenu par plusieurs syndicats (la FMF, l’UFML, le SML et Jeunes Médecins). De quoi créer un « choc d’attractivité » vers une médecine de ville écrasée par les tâches administratives et qui n’attire plus les jeunes, avance Christelle Audigier, généraliste dans la région lyonnaise, à l’initiative du collectif.
Apparu en septembre sur les réseaux sociaux, celui-ci a réussi à fédérer 16 000 membres. Il a aussi réussi un premier coup d’éclat, les 1er et 2 décembre : son appel à fermer les cabinets a été suivi par 60 à 80 % des libéraux, selon les organisateurs, quand l’Assurance maladie a fait état d’une baisse d’activité de 30 %.
Mardi 3 janvier, déjà, la cheffe du gouvernement a rappelé à l’ordre les intéressés : « Je peux entendre qu’ils peuvent rencontrer des difficultés, qu’ils peuvent souhaiter des améliorations, a souligné Elisabeth Borne sur France Info. Mais ça n’est vraiment pas responsable de faire grève, notamment dans cette période de fêtes, où ça a augmenté les tensions sur l’hôpital. » François Braun a lui aussi jugé « pas acceptable que l’accès à la santé des Français soit ainsi mis à mal » dans une période compliquée.
« Mauvais procès », réagit-on dans les cercles des manifestants : ils étaient 3 000 à 4 000, ce jeudi, selon les organisateurs, dont beaucoup de jeunes – des trentenaires –, et beaucoup de femmes. « C’est avec regret et amertume que nous poursuivons cette grève, explique la docteure Audigier. Chez beaucoup d’entre nous, la culpabilité coexiste avec le sentiment d’être arrivés, au quotidien, à un point de rupture. » « C’est une étape vers un mouvement qui va grossir encore, veut croire Jérôme Marty, président de l’UFML (Union française pour une médecine libre), en tête du cortège. On envisage un nouveau mouvement fin février, avec possiblement une convergence des luttes avec nos confrères et consœurs hospitaliers. »

Difficile de mesurer l’impact de cette grève sur la longue durée : elle marque l’opinion, qui n’avait pas vu les médecins défiler depuis 2015, mais divise la profession, engagée depuis novembre dans des négociations conventionnelles avec l’Assurance-maladie, en vue d’arriver, d’ici à la fin février, à la signature d’un contrat les liant pour les cinq prochaines années. La bascule peut-elle venir d’une mobilisation des syndicats majoritaires – MG France, CSMF, Avenir Spé… –, qui restent, à ce stade, plutôt en retrait ? A voir. S’ils disent comprendre le « désarroi » et l’« inquiétude » de leurs jeunes collègues, ils ne partagent ni leurs revendications ni les modalités d’action.
Les organisations de médecins font, en revanche, front commun contre les propositions de loi qui se multiplient pour restreindre leur liberté d’installation afin de repeupler en praticiens les déserts médicaux. Ou pour développer un partage des tâches avec les autres soignants, notamment les infirmiers : une proposition de loi en ce sens, portée par la députée Renaissance Stéphanie Rist, arrive à l’Assemblée ces prochains jours.
« Appeler à la grève, on ne l’exclut pas si le gouvernement soutient la démarche de parlementaires qui entendent limiter la liberté d’installation ou promouvoir l’accès direct [à d’autres professionnels] sans coordination par le médecin traitant », avertit Agnès Giannotti, présidente de MG France. Dans les rangs de la CSMF-Généralistes, on pose aussi des jalons : « Si les négociations avec l’Assurance-maladie ne répondent pas à nos attentes, il y aura une vraie volonté d’amplifier le mouvement », acte Luc Duquesnel, son président.
Le patron de l’Assurance-maladie, Thomas Fatome, s’est engagé, le 15 décembre, à une hiérarchisation en trois niveaux, selon la complexité des consultations réalisées,sans encore livrer de chiffres. Le suspense sera peut-être de courte durée : les réunions bilatérales doivent reprendre la semaine prochaine.
Dans les laboratoires d’analyse, un « bis repetita »
Janvier est marqué par une autre mobilisation : celle des biologistes médicaux – là encore, un « bis repetita », après une première grève très suivie mi-novembre. Estimant le « dialogue bloqué » avec l’Assurance-maladie, avec laquelle ils mènent leur négociation propre, les laboratoires de biologie médicale ne font plus remonter, depuis lundi, les résultats des tests de dépistage du Covid-19.
« Nos patients peuvent continuer à se faire tester, nous leur rendons leurs résultats, mais le gouvernement ne reçoit plus de remontée de données » dans le fichier national, explique Alain Le Meur, porte-parole de l’Alliance des professionnels de la biologie médicale. C’est un janvier noir pour éviter des années noires. » Et ce pourrait n’être qu’un début :« Si cela ne suffit pas, nous envisageons une nouvelle grève sur plusieurs jours [une fermeture des « labos », possiblement dès lundi prochain]et l’arrêt total des actes Covid pour une durée indéterminée, ont averti les professionnels du secteur dans un communiqué, le 2 janvier. Nous aimerions ne pas en arriver là pour l’accès aux soins de nos patients, [c’est] désormais au gouvernement de prendre ses responsabilités et de ne pas prendre la population en otage ».

Renvoi de balle de la part du ministre de la santé : « Les laboratoires sont un secteur qui a fait des bénéfices hors norme, a-t-il rappelé sur France 2, jeudi. Le droit de grève, je le soutiens, (…) mais toute grève qui prend en otage la santé des Français n’est pas normale. »
Les biologistes, qui ont augmenté leurs profits avec les tests Covid, contestent le montant des économies qui leur est demandé en retour. Si un compromis semble en vue sur la ponction budgétaire pour l’année 2023, à hauteur de 250 millions d’euros, les négociations bloquent sur la période 2024-2026. Ils ont fixé leur ligne rouge en matière de baisses de tarifs : pas plus de 145 millions d’euros par an.« On est d’accord pour rendre 685 millions d’euros sur quatre ans, explique M. Le Meur. Cela représente 80 % des bénéfices réalisés sur la période Covid. Mais aller au-delà conduirait à la fermeture d’au moins 400 laboratoires. »
Dans les centres du 15, l’effervescence
Autre effervescence perceptible : celle des assistants de régulation médicale des SAMU. Débordés par les appels au 15, les « ARM », selon l’acronyme en vigueur, réclament des renforts et une revalorisation. La profession est « au bord de l’implosion », a écrit, dans un communiqué mardi, l’Association française des assistants de régulation médicale. Ces personnels sont en première ligne pour faire fonctionner la « régulation » en amont des urgences, l’une des mesures soutenues par François Braun pour permettre à ces services de passer l’été 2022, et pérennisées cet hiver. Ils ont demandé audienceà leur ministre et n’excluent pas, s’ils n’étaient pas entendus, un « mouvement sans précédent ».

Mattea Battaglia