Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Vaccins contre le Covid-19 : médecins et scientifiques demandent plus de transparence

Décembre 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Vaccins contre le Covid-19 : médecins et scientifiques demandent plus de transparence

Des vaccins élaborés en pleine pandémie due au coronavirus, une campagne de vaccination de masse amorcée sans données scientifiques exhaustives… Pour de nombreux spécialistes, la situation est inédite.

Par Elisabeth Pineau

Publié le 09 décembre 2020 à 03h51 -

Des vaccins contre le Covid-19 élaborés en pleine pandémie et des campagnes de vaccination de masse amorcées sans que des données scientifiques exhaustives aient été rendues publiques. Pour de nombreux scientifiques, la situation est inédite.

« On est dans l’excès de précipitation, dans l’emballement », commente le professeur Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, dont les propos sur les vaccins sur France Inter mardi 8 décembre ont suscité de vives réactions parmi ses pairs. « Quand on me demande mon avis, je réponds que je ne peux pas le donner car je n’ai pas les données en main, de même que les autorités, qui font comme si l’autorisation [de mise sur le marché] était acquise », déplore-t-il alors que l’Agence européenne du médicament doit faire connaître sa réponse au plus tard le 29 décembre à la demande déposée par le tandem Pfizer-BioNTech et d’ici au 12 janvier 2021 pour Moderna.

Mardi, le vaccin développé par AstraZeneca et l’université britannique d’Oxford est le premier à avoir vu ses résultats d’efficacité validés par une revue scientifique, The Lancet. La publication de ces résultats d’essais cliniques de phase 3 confirme que ce vaccin est efficace à 70 % en moyenne, conformément à ce qu’avait annoncé AstraZeneca le 23 novembre.

La publication scientifique des résultats de phase 3 de Pfizer et Moderna, en revanche, se fait encore attendre, même si la Food and Drug Administration, l’autorité de santé américain, a rendu publics, mardi, sur son site, plusieurs documents de l’essai de Pfizer, dont une analyse de 100 pages. « Je ne me ferai pas vacciner [pour l’un de ces vaccins] avant d’en savoir plus », prévient le professeur Caumes, même s’il salue une méthode – des vaccins à base de matériel génétique (ARN messager) – « révolutionnaire ».

Données manquantes
Un manque de recul que le « Monsieur vaccin » du gouvernement, Alain Fischer, a lui-même reconnu le 3 décembre au moment du dévoilement de la stratégie vaccinale et de son calendrier à compter de janvier. Pour le moment, « nous ne disposons que de communiqués de presse de la part des industriels, nous attendons avec impatience des publications scientifiques, avait-il souligné. Il y a probablement des dossiers très complets qui ont déjà été adressés aux autorités réglementaires mais dont nous n’avons pas connaissance ».

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Parmi les données manquantes à ce stade et considérées comme cruciales figurent l’efficacité chez les personnes âgées et les personnes présentant des comorbidités, la durée de protection et si le vaccin, dont on sait simplement qu’il diminue le nombre de cas symptomatiques, protège contre l’infection et/ou la transmission. « Or, c’est extrêmement important quand on imagine une stratégie sanitaire pour stopper la pandémie. Les gouvernements ont manqué l’opportunité d’exiger des sociétés pharmaceutiques de le démontrer alors même qu’ils ont préacheté des doses de vaccins, ils auraient pu leur mettre la pression », estime Els Torreele, chercheuse en santé publique.

La communication des résultats au sein de revues scientifiques, « c’est la responsabilité des industriels, on n’a pas le pouvoir aujourd’hui de le leur imposer, mais ils ont tout intérêt à le faire », estime pour sa part Odile Launay, infectiologue et membre du comité scientifique vaccin Covid-19.

Parmi ceux qui dénoncent un manque de transparence, certains y voient avant tout les conséquences d’une logique de compétition entre industriels : « C’est ce qui nous inquiète dans la course aux vaccins actuelle, Pfizer veut aller plus vite que Moderna qui veut aller plus vite que Sanofi, etc. Le problème, c’est que ça nuit aux outils de santé qu’on est en train de développer », estime Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OT-Med). Et de souligner que, si les industriels avaient fait preuve d’une plus grande transparence dès les premiers mois des protocoles, les Etats auraient pu construire leur stratégie vaccinale au printemps ou à l’été et ainsi « réfléchir à des vaccins complémentaires et non similaires ».

D’autres ne partagent pas ce point de vue d’une « rétention d’informations ». « En sciences, on a intérêt à publier le plus vite possible », rappelle ainsi Eric Caumes, formulant l’hypothèse d’un simple « retard à la publication… » Un argument aussi avancé par Odile Launay, pour qui les industriels « ont focalisé leurs efforts sur les dossiers transmis aux autorités réglementaires, c’est un peu plus long de publier dans des revues scientifiques ».

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« Cette transparence est primordiale »
Pour certaines voix scientifiques, il aurait été d’autant plus utile de se montrer le plus transparent possible sur les données cliniques que, dans cette crise inédite, les processus sont accélérés et donc que, d’une certaine manière, les autorités acceptent de prendre plus de risques. « Pour avoir la confiance de la population et des scientifiques, cette transparence est primordiale. Il n’est pas normal que l’on n’ait pas accès aux données qui prouvent l’innocuité et l’efficacité des vaccins. Ça veut dire que le monde scientifique et médical doit avoir une confiance aveugle dans les autorités, qui subissent des pressions politiques énormes, ce serait le bon moment pour changer la donne », avance Els Torreele.

La publication dans The Lancet des résultats de phase 3 d’AstraZeneca est « une avancée », même si, selon elle, « elle aurait dû intervenir au même moment que la publication de leur communiqué de presse en novembre ».

Au-delà de la publication scientifique des données cliniques, chercheurs comme médecins sont nombreux à réclamer la conduite d’une étude comparative entre les différents vaccins afin de déterminer notamment si certains sont plus adaptés à des types de populations en particulier. « On aurait pu faire une phase 3 combinée avec les différents vaccins, regrette Els Torreele. Cette fois, il est urgent de s’y atteler. »