Industrie pharmaceutique

Le Monde.fr : Vaccins : la concertation citoyenne propose d’étendre l’obligation vaccinale

Décembre 2016, par infosecusanté

Vaccins : la concertation citoyenne propose d’étendre l’obligation vaccinale

Le rapport du comité d’orientation mis en place par la ministre de la santé pour lutter contre la défiance des Français envers la vaccination a été rendu mercredi.

LE MONDE

01.12.2016

Rendre obligatoires les vaccins recommandés… pour mieux lever ensuite l’obligation vaccinale, telle est l’une des principales mesures proposées par le rapport rendu public mercredi 30 novembre par le comité d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination. Celui-ci a pour mission de résoudre la difficile équation de la France, pays combinant une obligation de vaccination abandonnée par nombre de nos voisins, un taux de couverture vaccinale parmi les plus faibles d’Europe et une vive défiance vis-à-vis des vaccins.

Originalité de la démarche, ce débat public avait été confié à un comité indépendant de seize personnes représentant la société civile, des professionnels de santé, des chercheurs en sciences humaines et sociales. Présidé par le professeur Alain Fischer, spécialiste en immunologie pédiatrique, et coprésidé par Claude Rambaud, coprésidente du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), le comité a débattu pendant six mois.

Deux enquêtes d’opinion ont été réalisées, deux jurys (l’un de citoyens, l’autre de professionnels de la santé) ont auditionné 44 personnes, un espace ouvert en ligne a recueilli un peu plus de 10 000 contributions – le tout disponible en ligne. L’objectif du dispositif, voulu par la ministre de la santé, Marisol Touraine, était de restaurer la confiance envers la vaccination, très érodée en France.

Coexistence de deux statuts

Aujourd’hui, en France, seuls trois vaccins (contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite) sont obligatoires. Les autres ne sont que « recommandés ». Ce sont les vaccins contre la coqueluche, le virus de l’hépatite B, la bactérie Haemophilus influenzae, le pneumocoque, le méningocoque C et les virus de la rougeole, des oreillons, de la rubéole.

Pour l’ensemble des acteurs, la coexistence des deux statuts « n’a plus de sens ». « Le statu quo doit donc être écarté », avait préconisé Sandrine Hurel, ancienne députée (Parti socialiste) de la Seine-Maritime, qui avait remis un rapport en janvier sur le sujet à la demande de la ministre de la santé.

Le comité préconise donc de rendre obligatoires ces vaccins et leurs rappels, soit onze maladies en tout. Pour faciliter la mise en œuvre de cette mesure, il est préconisé une prise en charge intégrale du coût des vaccins par le régime obligatoire de l’Assurance-maladie, soit un montant d’environ 150 millions d’euros par an.

Il propose aux parents qui ne souhaitent pas faire vacciner leur enfant une clause d’exemption, motivée par leurs convictions. Ils devront signer un document écrit, courant le risque de voir leur enfant refusé à la crèche ou à l’école. Toutefois, si elle était trop utilisée, prévient Alain Fischer, « cette clause serait supprimée ».

La possibilité de lever l’obligation vaccinale, comme dans de nombreux pays (Royaume-Uni, pays nordiques), a été étudiée. Les avis sont partagés, mais il ressort des débats que « les conditions d’une telle suspension ne sont pas réunies », selon Alain Fischer. Une enquête récente indique qu’environ 20 % des jeunes adultes (entre 20 et 30 ans) ne vaccineraient pas leurs enfants si on levait l’obligation des vaccins DTP. La fin de l’obligation vaccinale est donc jugée trop risquée, mais « c’est l’objectif à atteindre dans quelques années », insistent les auteurs.

Il ne sera pas simple d’inverser la tendance tant la défiance est grande. Pays de Louis Pasteur, la France est le plus mauvais élève en Europe ; 41 % des Français déclarent douter de la sécurité des vaccins, 17 % de leur efficacité, selon une étude publiée en septembre par la revue EBioMedicine, qui a passé en revue les opinions des citoyens de 67 pays.

Lire aussi : Quatre Français sur dix estiment que les vaccins ne sont pas sûrs

Comment expliquer de telles réticences ? Le fiasco de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1, en 2009, dont le risque avait été surévalué par les autorités sanitaires, a marqué un tournant. Autre « spécificité française », les scandales sanitaires récurrents liés à l’industrie pharmaceutique. Les ruptures d’approvisionnement de certains vaccins ces derniers mois ont aussi jeté la suspicion – l’impossibilité de se procurer le DTP obligeait les parents à se tourner vers des vaccins combinant cinq ou six maladies (pentavalent ou hexavalent), plus chers et suscitant des interrogations sur le calendrier de vaccination.

« Reprendre la main sur la communication »

Plusieurs controverses ont aussi entouré le vaccin contre l’hépatite B, ou ceux contre les infections dues aux papillomavirus (HPV), destinés à prévenir le cancer du col de l’utérus. Et les adjuvants, présents dans la plupart des vaccins, suscitent beaucoup d’inquiétudes. Ils sont suspectés d’induire des effets secondaires, notamment le syndrome de fatigue chronique. « Les études disponibles n’établissent pas de lien causal », tranche toutefois le président du comité, Alain Fischer. Au cours du débat mercredi, Didier Lambert, porte-parole de la campagne « Pour des vaccins sans aluminium », s’est dit « choqué » que cette question de l’effet des adjuvants soit « écartée, au profit de mesures coercitives ».

Le rapport pointe aussi la diffusion sur Internet d’informations souvent négatives, parfois douteuses, qui trouvent bien plus d’échos que le discours des autorités sanitaires. « Il faut reprendre la main sur la communication à partir d’informations fiables », insiste la coprésidente Claude Rambaud. Et de rappeler les progrès de la vaccination, « pilier de l’action publique contre les maladies infectieuses ». Pour répondre à l’exigence citoyenne, le comité recommande une plus grande transparence de l’information et des experts.

Cette désaffection se traduit par une baisse de la couverture vaccinale, qui entraîne la résurgence de maladies infectieuses, comme la rougeole en France en 2008 et en 2012.

Comment la proposition principale du comité va-t-elle être accueillie ? Pour certains, c’est un retour en arrière. Le dernier vaccin rendu obligatoire l’a été en 1964, contre la poliomyélite. Dans un communiqué, Michèle Rivasi, député européenne (Europe Ecologie-Les Verts), qui avait déjà qualifié de « supercherie » ce débat public, s’oppose à la proposition d’étendre aux jeunes garçons la vaccination contre les HPV.

Anne Chailleu, présidente du Formindep, une association qui défend une formation et une information médicales indépendantes, craint que « la méthodologie biaisée » du comité « loin de rétablir la confiance ait précisément l’effet inverse ». « Etendre l’obligation vaccinale ? C’est un aveu d’échec », poursuit-elle.

La balle est dans le camp de la ministre de la santé. Ces propositions « doivent être étudiées évaluées juridiquement et financièrement ». A cinq mois de l’élection présidentielle, la fenêtre de tir est étroite.

Des recommandations pour encourager la vaccination

Outre l’extension du nombre de vaccins obligatoires à onze maladies, contre trois actuellement (diphtérie, tétanos, polio), le comité de la concertation citoyenne sur la vaccination recommande plusieurs mesures, dont certaines évoquées depuis plusieurs années. « La vaccination est un acte de prévention individuelle mais aussi un enjeu de prévention collective », martèle Alain Fischer, qui préside ce comité. L’enjeu étant de protéger les plus vulnérables, les nourrissons de moins de 3 mois, les personnes qui ont un traitement immunosuppresseur comme les chimiothérapies, les personnes âgées ou en situation précaire. « Malheureusement, cette idée n’est pas suffisamment entrée dans les esprits », déplore le professeur Fischer.

Une information fiable

Un site unique spécialisé doit être mis en place par les pouvoirs publics, à l’instar de Tabac infos services. Le site Vaccination-info-service, de Santé publique France, pourrait être la base, préconise le rapport, afin de répondre en temps réel à des questions d’actualité. Il doit aussi permettre la déclaration d’effets secondaires et/ou d’événements indésirables, en lien avec l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). « La politique de vaccination devrait faire l’objet d’un statut de grande cause nationale. »

Carnet de santé électronique

L’un des freins à la vaccination est que les Français ne connaissent pas leur statut vaccinal. Il est donc proposé de mettre en place un carnet de vaccination électronique, expérimenté en Aquitaine et Auvergne Rhône-Alpes. Annoncé il y a presque un an, ce dossier vaccinal pourrait être lié au dossier médical personnel (DMP), qui tarde à voir le jour, et au dossier pharmaceutique, qui existe déjà.

Faciliter le parcours vaccinal

Le rapport préconise aussi de « recourir de nouveau à l’école comme lieu de vaccination », notamment pour vacciner contre le papillomavirus (HPV), en ayant recours à des personnels extérieurs, notamment infirmiers. Ce qui suppose de renforcer les moyens consacrés, les manques étant criants dans la santé scolaire. Le comité appelle aussi à renforcer les personnels des centres de protection maternelle et infantile (PMI).

Le comité a aussi salué la mesure autorisant les pharmaciens à vacciner contre la grippe les patients munis d’une prescription d’un médecin.

Il est en outre proposé de renforcer l’enseignement sur la vaccination auprès des professionnels de santé, certains étant rétifs, et de renforcer la recherche sur les nouveaux vaccins et adjuvants.

Pascale Santi
Journaliste au Monde