Maternités et Hopitaux publics

Le Monde.fr : Valognes teste un modèle d’urgences allégées

Mars 2016, par infosecusanté

Valognes teste un modèle d’urgences allégées

LE MONDE

05.03.2016

Par François Béguin (Valognes, Cherbourg (Manche), envoyé spécial)

Sur le panneau à l’entrée de la salle d’attente, un morceau de sparadrap a simplement été collé pour masquer le mot « urgences ». Dans le couloir, devant les boxes de consultation, des cartons remplis de matériels de soin attendent d’être déballés… Le service d’accueil des urgences de l’hôpital de Valognes (Manche), qui avait brutalement été fermé le 7 août 2015 en raison d’un nombre insuffisant de médecins pour le faire fonctionner, ne rouvrira pas ses portes. Après sept mois d’inactivité, il va laisser place, lundi 7 mars, à un centre de soins non programmés, une structure inédite en France.

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Seuls les patients sans urgences vitales pourront se rendre dans ce centre, après avoir appelé le 15 pour obtenir le feu vert du SAMU. Les cas lourds ou complexes nécessitant un plateau technique seront, eux, directement orientés vers l’hôpital de Cherbourg, à vingt-cinq minutes de route. Bémol de taille : ce site expérimental sera – au moins dans un premier temps – fermé la nuit (à partir de 18 h 30), les week-ends et pendant les petites vacances scolaires. « C’est une formule intermédiaire entre la médecine de ville et les vraies urgences », explique Maxime Morin, le directeur du centre hospitalier public du Cotentin, qui regroupe les hôpitaux de Cherbourg et de Valognes.

Cette évolution, un temps envisagée pour les urgences de l’Hôtel-Dieu, sur l’île de la Cité, à Paris, pourrait préfigurer celle de nombreux petits services en France réalisant moins de 10 000 consultations par an, comme le préconisait le Dr Jean-Yves Grall, dans un rapport remis en juillet 2015 à la ministre de la santé, Marisol Touraine. Le ministère explique aujourd’hui que Valognes est une « possible illustration des nouvelles organisations » sur lesquelles travaille la mission de l’inspection générale des affaires sociales chargée de définir d’ici l’été « les modalités de mise en œuvre des recommandations » de ce rapport.

Horaires de bureau

Sur la presqu’île du Cotentin, où la mobilisation des habitants et des élus pour sauver les urgences de la ville de 7 400 habitants avait trouvé cet été un écho national, ce dispositif, ouvert pour l’instant aux seuls horaires de bureau, suscite beaucoup de questions. Certains s’interrogent sur la sécurité. L’équipe chargée 24 heures sur 24 de traiter dans l’ambulance les cas d’urgence vitale (SMUR) a bien été réactivée à Valognes depuis le 15 août.

« Mais le SMUR ne peut pas toujours être là. Ce n’est pas ça qui va garantir la sécurité de tous les patients. On va avoir des catastrophes », redoute, par exemple, Eric Labourdette, le secrétaire général de la Fédération autonome de la fonction publique hospitalière.

« C’est une étape », veut croire Jacques Coquelin, le maire (sans étiquette) de Valognes, qui fait part d’un sentiment « mitigé » en se souvenant de la promesse du ministère de la santé d’une ouverture de ce service sept jours sur sept, jusqu’à 22 heures, de façon continue tout au long de l’année. « L’amplitude horaire est pour l’instant inacceptable. Elle doit être étendue », demande l’élu.

« Comme les horaires ne correspondent pas aux besoins, les chiffres de l’évaluation ne seront pas bons. On dira que le besoin n’existe pas et le centre va fermer », prédit Rémi Besselièvre, le président de l’association de défense du centre hospitalier public du Cotentin. Plus de 1 200 personnes se sont rassemblées derrière la bannière de l’association, le 20 février à Cherbourg, pour « défendre la qualité des soins ».

L’objectif de la direction du groupe hospitalier est pourtant bien d’accueillir dans le nouveau centre au moins 20 des 35 patients qui venaient chaque jour auparavant aux urgences de Valognes et de désengorger ainsi le site de Cherbourg, où plusieurs médecins estiment qu’ils viennent de vivre « l’enfer » en termes de charge de travail. Depuis la fermeture de Valognes, la fréquentation a connu une hausse d’environ 20 %, avec environ 20 patients de plus chaque jour. Et des pics beaucoup plus élevés cet hiver.

« Détresse profonde »

Le 15 février, Fabienne Blotin, la cheffe de service, a présenté sa démission pour alerter sur l’état de « détresse profonde » du service, contraint de fonctionner sans le nombre de médecins nécessaires : 10 postes de temps plein sur un total de 24 sont vacants. « Il y a encore deux médecins qui me disent qu’ils veulent passer à temps partiel et un qui s’interroge sur son départ », s’inquiète le Dr Blotin, qui prédit une « catastrophe sanitaire si on ne change pas les lois qui régissent les façons de s’installer des médecins ».

Direction et syndicats s’accordent pour reconnaître la difficulté de faire venir des médecins à Cherbourg, à trois heures de train de Paris.

« Un jeune médecin ne va pas choisir de venir où les conditions d’exercice sont extrêmement dures. Après être venus chez nous, les remplaçants nous disent que nous sommes fous de travailler comme ça », raconte le Dr Jean-Christophe Mariotti.

Chef du service des urgences pendant dix-neuf ans et délégué départemental de l’Association des médecins urgentistes de France, il se dit sceptique sur l’efficacité du nouveau dispositif.

Seul le recours à des médecins urgentistes intérimaires – payés 650 euros la journée – permet de continuer à faire tourner le service. « Mais même l’intérim n’est pas un puits sans fond, constate Xavier Biais, directeur adjoint du groupe hospitalier. A certains moments, comme en août, il ne reste plus que ceux dont plus personne ne veut pour des raisons de compétence ou de comportement. » Le premier bilan du nouveau centre est attendu fin juin, quelques jours avant que 1,5 million de visiteurs n’arrivent dans le département pour les trois premiers jours du Tour de France.

François Béguin (Valognes, Cherbourg (Manche), envoyé spécial)