Les retraites

Le Parisien.fr : Réforme des retraites : « Je ne transigerai pas sur l’objectif », annonce Delevoye

Novembre 2019, par infosecusanté

Le Parisien.fr : Réforme des retraites : « Je ne transigerai pas sur l’objectif », annonce Delevoye

Le Haut-commissaire aux retraites estime qu’il porte « un projet d’espérance » et appelle « celles et ceux qui sont favorisés par le système actuel » à accepter un « effort de redistribution ».

Par Séverine Cazes, Marc Lomazzi et Nathalie Schuck

Le 6 novembre 2019

A moins d’un mois de l’appel à la mobilisation et à la grève reconductible lancé pour le 5 décembre par la CGT, FO, FSU et Solidaires contre la réforme dont il a la charge, Jean-Paul Delevoye, 72 ans, Haut-commissaire aux retraites, s’il dit ressentir « l’inflammabilité de l’opinion », garde le cap d’une réforme qui sera « votée en juin 2020 ». Il considère également que « les corporatismes sont aujourd’hui un facteur de fragmentation de la société française ».


Quel est précisément le calendrier de la réforme ? On est un peu perdu : le projet de loi sera-t-il voté avant ou après les municipales de mars 2020 ?

JEAN-PAUL DELEVOYE. Les choses sont claires. Quand le président de la République m’a demandé de mettre en place un système universel des retraites, il a été acté une période longue de concertation citoyenne en deux étapes : d’abord l’élaboration d’un rapport sur les principes et la faisabilité puis, à partir de ce rapport, le Premier ministre a fixé un cap en disant que la loi serait votée en juin 2020.

Ce calendrier ne bougera plus ?

Je porte un projet de société qui concerne les 30 à 40 prochaines années. S’il y a des assouplissements nécessaires de quelques mois, cela ne pose aucune difficulté mais un projet aussi ambitieux ne souffre aucune interrogation de contingences électorales ou de timing politique lié aux municipales ou à la fin du quinquennat.


Dans la majorité, beaucoup disent justement qu’une réforme comme celle-là aurait dû être faite au début du quinquennat !

Pour une réforme classique de recul de l’âge de départ ou d’allongement de la durée de cotisation, j’aurais été le premier à dire qu’il fallait la faire tout de suite et en six mois. Là, la logique politique consistant à dire je décide et vous obéissez car j’ai la majorité et donc la légitimité, n’est pas du tout adaptée à un tel projet de société.


Le mouvement social du 5 décembre s’annonce fort, avec un parfum d’hiver 1995. Vous dites aux grévistes qu’en aucun cas vous ne céderez ?

On voit bien qu’il y a un trouble à la SNCF, dont la réforme a créé une forme de ressentiment qui a besoin de s’exprimer, c’est peut-être aussi le cas d’EDF et à la RATP. S’il s’agit de salariés qui s’interrogent sur le devenir de leur entreprise, je peux l’entendre ! Mais il est faux de dire que les retraites font partie du statut. Moi, je ne transigerai pas sur l’objectif. Si la grève du 5 décembre est une crispation catégorielle, si elle vise à s’opposer au régime universel, je ne l’entends pas. Cela voudrait dire que les intérêts corporatistes et la capacité de nuisance l’emportent sur l’intérêt supérieur du pays. C’est ma position personnelle. Après, c’est au Premier ministre d’arbitrer.

Le gouvernement semble désigner à l’opinion les « privilégiés » des régimes spéciaux…

J’ai toujours refusé de stigmatiser telle ou telle catégorie. La question est la suivante : dans un régime universel où on a les mêmes règles pour tous, est-il pertinent de garder des systèmes qui permettent à métiers identiques aux uns de partir à 52 ou 57 ans, aux autres à 62 ans ? La réponse est non. Les cheminots et ceux qui bénéficient du système actuel savent qu’une évolution est nécessaire vis-à-vis des générations futures. Il ne s’agit pas de les agresser, mais de dire à ceux qui bénéficient de ces 42 régimes que nous devons aller vers un régime universel si nous voulons éviter que notre société se déchire.


L’idée a été mise sur la table d’instaurer une « clause du grand-père », réservant la réforme aux nouveaux entrants sur le marché du travail. Vous semblez assez seul à vous y opposer

Parce qu’il n’y a pas de brutalité dans le système que nous proposons : ceux qui ont vingt-sept années de service et qui ont gagné le droit de partir en retraite vont garder ce droit ; pour les autres, qui représentent plus de la moitié des salariés, la transition se ferait sur quinze ou trente ans.

Redoutez-vous un embrasement social ?

Je ressens bien l’inflammabilité de l’opinion. La France est aujourd’hui un peuple qui a un regard sur lui-même extrêmement négatif. Moi je porte un projet d’espérance et je note que l’opinion adhère au fait que nous proposons un système qui sera plus redistributif, plus favorable aux femmes, plus favorable aux carrières heurtées et courtes. Celles et ceux qui sont favorisés par le système actuel doivent accepter un effort de redistribution. Si la solidarité c’est « chacun pour soi », la France deviendra une espèce d’archipel d’intérêts catégoriels. Les corporatismes sont aujourd’hui un facteur de fragmentation de la société française.

Mais alors pourquoi avoir mis la « clause du grand-père » dans le débat ? D’autant que ce n’est pas la piste que vous privilégiez…

J’ai toujours dit que si on appliquait de façon généralisée la « clause du grand-père », cela reviendrait à créer un quarante-troisième régime. C’est impossible ! Si on fait la « clause du grand-père » pour une profession, il faut la faire pour tout le monde, question d’équité, ça veut dire que l’on renonce à la réforme.


Pourquoi certains dans la majorité, y compris des proches d’Emmanuel Macron, font-ils alors cette proposition ? Cela vous agace-t-il ?

Non… Je me souviens d’une conférence très intéressante d’un penseur influent qui évoquait les qualités des dirigeants du monde moderne. Parmi elles, la vision, le charisme, le management, etc. mais surtout, disait-il, la qualité première, c’est de maîtriser ses nerfs.

La CGT et FO sont contre un régime par points. Seule la CFDT y est favorable. Or son n°1, Laurent Berger, fustige la récente réforme de l’Assurance chômage. Il menace, si la CFDT n’obtient rien sur ce point, d’appeler à la mobilisation en janvier. Cela ne vous coupe-t-il pas de votre principal allié ?

L’assurance chômage n’est pas mon domaine. Il y a des arbitrages que l’on peut comprendre ou pas, mais qui reposent la question de la place du travail dans la société. Moi, j’écoute Laurent Berger, que j’entends, sur la problématique des retraites. La CFDT met l’accent sur un sujet auquel je crois : la pénibilité. Avec le régime universel, nous allons embarquer la pénibilité dans le secteur public. Nous allons aussi apporter beaucoup de solidarité au niveau des femmes. Aujourd’hui, trois millions de femmes bénéficient de la majoration pour enfant. Note proposition, c’est huit millions. Par ailleurs 20 % des femmes vont jusqu’à 67 ans pour annuler la décote. Nous proposons de l’annuler à partir de 64 ans pour répondre à la problématique de celles et ceux qui rentrent tard sur le marché du travail à cause des études longues. Enfin, nous allons relever le minimum contributif dont 70 % des bénéficiaires sont des femmes.