Maternités et Hopitaux publics

Le Parisien magazine - Nos médecins : 20 % d’étrangers pas très bien traités

Mars 2016, par Info santé sécu social

Venus pallier la pénurie de praticiens en France, les diplômés hors Union européenne se heurtent à des obstacles administratifs et financiers.

Anne-Claire Genthialon | 18 Mars 2016,

Sans eux, bon nombre de Français ne pourraient pas se soigner et des services hospitaliers entiers fermeraient. Selon le Conseil national de l’ordre, le nombre de médecins nés à l’étranger et exerçant en France s’élevait à 54 168 en 2014, soit près de 20 % de l’ensemble des médecins officiant dans l’Hexagone.

Parmi eux, les titulaires d’un diplôme de médecine obtenu en dehors de l’Union européenne font face aux plus grandes difficultés.

Des enjeux de santé publique

Alors que le Conseil de l’ordre pointe l’avancée des déserts médicaux et le nombre alarmant de départs à la retraite, ces docteurs venus de loin doivent suivre un parcours du combattant pour exercer en France : concours sélectif, années probatoires, commission spécifique… Si les diplômes européens sont reconnus automatiquement, les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) mettent quatre ans, en moyenne, pour obtenir leur autorisation d’exercice. Et gagneraient, « à échelon égal et responsabilités égales », 40 % de moins que leurs collègues français. « Evaluer les capacités des médecins étrangers est nécessaire, il y a des enjeux de santé publique », défend Hocine Saal, vice-président du SNPADHUE (Syndicat national des Padhue), qui réclame cependant une procédure moins longue et un numerus clausus (nombre de places) adapté à la réalité. Témoignages de ces indispensables docteurs venus d’ailleurs.

« Après douze ans d’études, je n’ai ni statut ni reconnaissance »
Kais Ben Hassen, tunisien, anesthésiste-réanimateur à la Pitié-Salpêtrière (Paris 13e)

A compétences égales, Kais Ben Hassen gagne «  40 % de moins  » que ses confrères français. – Sébastien Leban

Assister à l’arrivée d’un cœur au bloc opératoire, être témoin de sa transplantation et voir le patient revivre. L’acte impressionne toujours autant Kais Ben Hassen, 34 ans, anesthésiste-réanimateur tunisien à l’Institut de cardiologie de la Pitié-Salpêtrière (Paris 13e). Quand il parle de son service, « où l’on bosse beaucoup », sa fierté d’exercer ici est palpable. « Depuis le début de mes études, je veux passer ici, raconte-t-il. Pour trouver un bon poste dans un centre hospitalier universitaire (CHU) ou dans une clinique en Tunisie, une expérience européenne est obligatoire. Et la médecine française est de haut niveau. Tous mes professeurs se sont formés en France. »

Pour réaliser son rêve, il a quitté un poste de chef de clinique à Genève (Suisse) et un salaire confortable, pour un statut précaire. En 2012, il a fait partie des douze lauréats, sur 400 candidats, qui ont réussi le concours d’autorisation d’exercice en anesthésie-réanimation. Mais, malgré ses douze années de médecine en Tunisie, il est « praticien attaché » et doit encore valider trois années probatoires. En Suisse, sa période d’essai avait duré trois mois. « Concrètement, je fais le même travail que n’importe quel praticien hospitalier français, mais je suis payé moins. » Ici, il gagne entre 2 600 et 3 000 euros par mois, soit « 40 % de moins » que ses confrères français. Sa période probatoire se termine en octobre. Soulagement ? « Il faudra encore attendre un an avant que la commission examine mon dossier pour que j’exerce normalement, soupire ce père de deux enfants. En attendant, je n’aurai toujours pas de statut, pas de reconnaissance. Je ne peux pas me projeter professionnellement. »

La maison médicale est postée sur le parking de l’Intermarché, à proximité d’un lotissement. Au volant de sa voiture, le Dr Ada Ruiz-Rodriguez rentre d’une visite. Avec sa trentaine de patients par jour, c’est toujours « la course ». « Le nombre de médecins n’est pas suffisant, je suis débordée », lance-t-elle. Depuis un peu plus d’un an, cette Cubaine de 42 ans est installée à Saint-Denis-de Pile, commune de plus de 5 000 habitants, en Gironde. C’est une agence privée spécialisée dans le placement de médecins étrangers qui lui a trouvé la place. « Comme beaucoup de généralistes, mon prédécesseur est parti à la retraite et ne trouvait pas de successeur, raconte-t-elle. Et je ne suis pas la seule Cubaine, j’ai plusieurs confrères dans les communes avoisinantes ! »

Diplômée de médecine en 1996 à Cuba, elle est arrivée en 2007 en France, le pays de son ex-mari. « Je ne pensais pas que ce serait si compliqué de faire reconnaître mes diplômes, soupire-t-elle. Pourquoi y a-t-il autant de barrières, alors qu’il y a des besoins ? » Elle travaille d’abord comme aide-soignante dans une maison de retraite, puis démarre un cursus d’infirmière avant d’aller en Espagne, où ses diplômes sont reconnus. Elle passe cinq ans à Madrid, à travailler dans des cliniques privées où elle pratique des examens de santé pour les soldats qui partent en Irak. En 2014, elle revient en France avec l’envie d’exercer en libéral. Elle s’installe en Dordogne, en plein désert médical, mais n’y reste pas. « Malgré les aides de la commune, je ne gagnais pas ma vie. Il n’y avait pas de travail. Certains mois, je ne gagnais même pas assez pour me payer à manger. » A Saint-Denis-de-Pile, le Dr Ruiz-Rodriguez se sent bien. « J’aime mon métier. Et ici, je me sens utile. »

« Nous devons être plus efficaces que les Français »
Yendoubane Nandiegou, togolais, chef du service de chirurgie orthopédique au centre hospitalier d’Auxerre (Yonne)

Méthodique, il consigne tous ses documents officiels dans un épais classeur. Yendoubane Nandiegou, 55 ans, d’origine togolaise, est, depuis 2003, chef du service de chirurgie orthopédique au centre hospitalier d’Auxerre (Yonne). Avant cela, au cours de sa carrière en France, il a connu tous les statuts imaginables. « J’ai été étudiant, puis assistant associé à titre étranger faisant fonction d’interne, puis praticien adjoint contractuel… », égrène-t-il en feuilletant son dossier. En 1987, bien classé après son internat, le Dr Nandiegou a l’occasion de parfaire sa formation en France. « Les études médicales au Togo sont calquées sur le cursus français, explique-t-il. J’ai passé un concours et j’ai atterri au CHU de la Timone, à Marseille. Sur le terrain, je devais suivre les jeunes internes, alors que j’avais bien plus d’expérience qu’eux ! »

En 2000, il exerce en Corrèze en tant que praticien hospitalier, après avoir réussi un concours national. Pourtant, en 1998, déçu par le manque de reconnaissance, il a failli partir au Canada. « Là-bas, le parcours est bien cadré, alors qu’en France nous évoluons dans un flou artistique », raconte-t-il. Finalement, il a envisagé un retour au Togo. « J’ai postulé après mon diplôme de spécialiste, mais les postes n’étaient ouverts qu’aux locaux. Ils considéraient que nous n’étions plus togolais après un cursus en France ! »

Dans le service du Dr Nandiegou, sur quatre postes d’interne, trois sont pourvus par des étudiants tunisiens. « Je suis très exigeant avec eux. Je suis sur leur dos tout le temps, je les bouscule. Quand on est médecin étranger, on a le devoir d’être mille fois plus efficace que les Français, c’est comme ça. » Favorable à des « concours organisés directement dans les pays francophones » pour recruter des médecins étrangers, il se montre pessimiste sur l’évolution de la situation des praticiens à diplôme hors Union européenne. « Pourtant, les hôpitaux ont besoin d’eux. Hormis les centres hospitaliers universitaires, 80 % des services de chirurgie tournent grâce à eux », détaille-t-il.


Des praticiens mal répartis

+ 60% : C’est l’augmentation du nombre de médecins titulaires d’un diplôme étranger en France entre 2007 et 2014.

281 087 : C’est le nombre de praticiens inscrits à l’Ordre des médecins au 1er janvier 2015. Si la France n’en a jamais compté autant, certains territoires, baptisés « déserts médicaux », continuent pourtant d’en manquer.

5 000 : C’est le nombre de médecins étrangers actuellement en cours de procédure d’autorisation d’exercice. A ce titre, ils ne sont pas encore inscrits à l’Ordre des médecins. Sources : Conseil national de l’ordre des médecins, SNPADHUE.