Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Quotidien du Médecin - Contribution « Les médicaments contre le Covid-19 et les vieux démons de la recherche clinique en France » : le diagnostic sans concession du Pr Jean-François Bergmann

Mai 2020, par Info santé sécu social

Contribution
« Les médicaments contre le Covid-19 et les vieux démons de la recherche clinique en France » : le diagnostic sans concession du Pr Jean-François Bergmann

PUBLIÉ LE 15/05/2020

« Il est temps de créer une structure publique agile et aidante pour la réalisation des essais thérapeutiques. » Dans une tribune, l’ancien vice-président de la Commission d’AMM de l’Agence du médicament revient sur les handicaps français en matière de recherche clinique. Il estime que les lourdeurs et les lenteurs et l’absence de cadre pour motiver les chercheurs sont un des problèmes de l’Hexagone. En période de pandémie, c’est là, pense-t-il, un « terrain fertile pour voir émerger les sorciers, les gourous, les complotistes et la pseudo-science »...

CONTRIBUTION

Il faut quelques semaines pour découvrir une nouvelle maladie infectieuse, la décrire, découvrir son origine microbienne et expliquer sa transmission. Dans l’urgence d’une épidémie, on espère la même vitesse pour les découvertes thérapeutiques et on comprend mal les délais nécessaires à l’obtention d’un nouveau traitement efficace. Pourtant, en dehors du VIH et des hépatites B et C, la plupart des maladies virales n’ont pas de traitement curatif. Nous ne savons pas traiter une poliomyélite, une rougeole, ou une variole. Dans l’exemple de la grippe, plus de 20 ans de recherches n’ont permis de mettre sur le marché que deux médicaments spécifiques raccourcissant de quelques heures le portage viral et les symptômes mais n’ayant jamais pu démontrer, malgré des essais sur des milliers de malades, d’effet sur les formes graves ou sur la mortalité.

Pour soigner le Covid-19, les meilleures chances de succès d’un traitement curatif passeront d’abord par une compréhension du virus, de ses gènes, de ses protéines, de son métabolisme afin de trouver des médicaments spécifiques ciblés sur ce virus. Puis viendra le temps de l’évaluation clinique de l’efficacité du nouveau traitement que seul l’essai contrôlé permettra d’affirmer.

De croire que la résurrection d’un vieux médicament du paludisme (chloroquine), du VIH (lopinavir-ritonavir), des ulcères (famotidine), des psychoses (chlorpromazine) ou des poux (ivermectine) puisse guérir du Covid-19 tient plus du pari magique que du rationnel scientifique. Et les résultats du grand essai DISCOVERY risque d’être bien décevants…

Mais quand bien même un de ces médicaments serait un bon candidat, cela ne le dispense pas de l’essai contrôlé avec tirage au sort (randomisation) entre ceux qui recevront le nouveau traitement et ceux qui constitueront le groupe contrôle. L’essai randomisé est probablement un des grands succès thérapeutiques des cinquante dernières années permettant de s’assurer de la réelle efficacité de tous les nouveaux traitements et d’empêcher la mise sur le marché de produits sans effet bénéfique. S’en affranchir, c’est refuser l’obtention de la preuve.

Mais construire ces essais, c’est écrire un protocole, obtenir les autorisations technico-réglementaires, recruter les malades, recueillir sur plusieurs semaines les données à étudier, en faire l’analyse statistique puis les publier. Tout ça prend des mois, et dans un climat de pandémie mortelle, l’attente est insoutenable. Terrain fertile pour voir émerger les sorciers, les gourous, les complotistes et la pseudo-science.

Le refus du débat scientifique

Didier Raoult en est le maître absolu par plusieurs aspects : une communication à la soviétique sur son site personnel en préparant lui-même les questions qu’on lui pose et en refusant tout débat scientifique, une condescendance systématique pour ceux qui ne pensent pas comme lui, l’argument du nombre pour remplacer la preuve, une partialité scientifique inexcusable préférant citer une petite étude chinoise de mortalité non publiée mais positive sur 48 malades traités par chloroquine en occultant les études publiées dans les prestigieux « New England Journal of Medicine » et autre « JAMA » ayant étudié respectivement 811 et 1 006 malades ayant reçu de la chloroquine mais négatives…

Didier Raoult est un microbiologiste, ce n’est pas un clinicien, il fait une recherche descriptive ou explicative d’une richesse considérable mais l’essai clinique n’est pas dans sa zone d’expertise. Qu’il le laisse aux autres ! Mais dans son institut marseillais, il interdit d’inclure le moindre malade dans ces essais collaboratifs multicentriques qu’il dénigre. Il nuit donc à l’obtention de la vérité avec la bénédiction directe ou indirecte de certains médias, d’un public acquis à la cause des pseudo-héros atypiques, d’hommes et femmes politiques peu scrupuleux qui préfèrent le sensationnel immédiat à la lente mais solide preuve scientifique. Mais Marseille n’est pas le centre du monde, les essais peuvent et doivent être menés ailleurs.

La recherche clinique, une course d’obstacles

Mais c’est là qu’un deuxième démon français surgit, l’épuisante course d’obstacles de la recherche clinique française. D’abord une lourdeur et une lenteur technico-réglementaire où, par exemple, la CNIL et les garants de l’éthique et des libertés s’érigent en contrôleurs moralisateurs mais surtout freinateurs. Dans le climat actuel d’urgence vitale, ces structures ont su travailler vite et efficacement mais il y a fort à parier que la bureaucratie va vite reprendre le dessus et qu’on va revenir à ces essais internationaux au cours desquels la plupart des autres pays incluent rapidement alors que la France est à la peine pour démarrer.

En parallèle, on note une disparition de la motivation financière à la recherche : la légitime lutte contre les conflits d’intérêts a conduit à dévier les honoraires destinés aux investigateurs. Autrefois, ceux-ci permettaient d’aider les plus jeunes à participer à des congrès médicaux et amélioraient l’ordinaire des services hospitaliers. Gérés désormais par l’hôpital lui-même, ils ne reviennent que partiellement à ceux qui ont fait le travail et leur utilisation est tellement contrainte qu’elle n’incite plus à faire de la recherche clinique.

Un bien triste bilan dans le cadre du Covid

Tout ceci a conduit à une perte du poids de la France dans les essais internationaux sur les cinq dernières années. Dans le cadre du Covid 19, l’étonnante décision de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris de ne pas mettre de signatures nominatives dans les publications des études promues par l’AP-HP, ne donne pas envie aux plus jeunes de s’impliquer dans la recherche clinique. Si on ajoute à cela le fait que la coordination des grands essais Covid ait été confiée à l’INSERM, honorable maison qui excelle en recherche fondamentale ou translationnelle ou en épidémiologie mais qui n’a vraiment pas la culture de l’essai clinique, si on rajoute un hôpital public en souffrance et débordé, des patients fascinés par le gourou marseillais réclamant cette chloroquine vraisemblablement inefficace mais refusant dès lors de participer à des essais cliniques prospectifs, si on se désespère des couacs d’égo dans la communication des résultats préliminaires d’essais AP-HP, on arrive à un bien triste bilan.

Restent les projets hospitaliers de recherche clinique (PHRC), bel outil à crédit ministériel mais sans soutien logistique et médical fort, pris en étau entre la recherche expérimentale non clinique bien plus aisée et productive en publications et le rouleau compresseur des grands essais promus par les industriels du médicament. Il est temps de créer une structure publique agile et aidante pour la réalisation des essais thérapeutiques offrant un vrai soutien intellectuel, financier et logistique. Une coordination évitant les redondances et empêchant les trop petits essais voués à l’échec est nécessaire.

Mais plus qu’une nouvelle structure, il faut surtout militer pour que la participation aux essais clinique soit mieux reconnue pour la carrière hospitalière ou universitaire des plus jeunes. Il faut que la motivation des acteurs de terrain ne soit ébranlée ni par le démon du sensationnel sans rigueur ni par le démon du réglementaire bureaucratique sans bon sens médical. Sinon ils iront faire de la bonne recherche clinique ailleurs ou ils n’en feront plus. La connaissance y perdra beaucoup, mais encore plus l’hôpital et in fine les malades.

Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.

Pr Jean-François Bergmann, médecin des hôpitaux, professeur émérite à l’Université de Paris. Ancien vice-président de la commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM) à l’Agence du médicament. Ancien président du jury du PHRC Île-de-France