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Le Quotidien du Médecin - Plus de forfait, moins d’actes, la moitié des généralistes sont d’accord... sans y croire vraiment

Février 2019, par Info santé sécu social

Contrairement aux idées reçues, presque la moitié des médecins généralistes (45 %) se déclarent en faveur d’une augmentation de la part forfaitaire de leurs revenus (l’autre moitié y étant opposée). C’est ce que révèle l’enquête réalisée par le Dr Alexandre Dehestru dans le cadre de sa thèse de médecine générale, soutenue à l’Université de Strasbourg. L’objet de son étude* était précisément de savoir si les médecins sont intéressés par l’évolution de la part forfaitaire de leur rémunération, sur le modèle de la capitation par exemple, et s’ils sont satisfaits de leur rémunération actuelle (ultra-prédominante à l’acte).

Sur ce sujet délicat de l’évolution de la rémunération, au cœur des réformes actuelles (rapport Aubert), la profession affiche une prudence de Sioux.

S’ils ne sont pas hostiles a priori à l’idée d’accroître la part de forfaits, les médecins n’y voient guère de bénéfices pratiques évidents, en matière de simplification administrative notamment. Pire, 82 % associent la forfaitisation de la rémunération à une vulnérabilité accrue face à l’organisme payeur et une perte d’indépendance, voire des contreparties subies (permanence de soins, objectifs de santé publique). La perte de contrôle partielle de la rémunération est redoutée par 73 % d’entre eux. La moitié des médecins pensent qu’une rémunération forfaitaire (capitation par exemple) augmenterait la concurrence. Une autre moitié estime que cela pourrait faciliter l’emploi de personnel.

Médecin référent, clause de sauvegarde : un passif

Ce sentiment contrasté, voire ambivalent, sur la structure de rémunération se retrouve dans l’opinion des médecins sur les forfaits actuels – trois quarts des généralistes sondés en sont insatisfaits. Quelque 60 % ne sont pas favorables au système de rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), et seule une moitié pensent que le forfait structure est une bonne idée.

Autrement dit, il existe un passif autour des forfaits. « Cette peur est légitime quand on analyse les précédents, que ce soit la ROSP en avril 2018 avec le déclenchement de la cause de sauvegarde pour faire face à une baisse importante des revenus pour un travail égal, ou, plus anciennement, le forfait médecin référent introduit en 1997 et supprimé ensuite », explique au « Quotidien » le généraliste de 34 ans auteur de la thèse.

Pour une hausse de la consultation

Dans ces conditions, le paiement à l’acte reste de très loin la valeur refuge, sous forme de valorisation de la consultation ou de la création de nouveaux actes. Près de huit médecins sur dix souhaitent que le paiement à l’acte reste très majoritaire, le contingent principal de médecins réclamant un équilibre de 80 % de paiement à l’acte versus 20 % de forfaits (contre 87 % d’actes et 13 % de forfaits actuellement). Sous-entendu : si accroissement des forfaits il doit y avoir, cela doit se faire à dose filée.

Car la priorité des généralistes n’est pas là. Une immense majorité jugent que leur rémunération à l’acte actuelle n’est pas à la hauteur de leur formation et de leur charge de travail : 76 % estiment que l’acte est « inadéquat par rapport à leur qualification et leur temps de travail », 57 % qu’il ne favorise pas l’éducation thérapeutique et la prévention et 94 % qu’il ne prend pas en compte les actes chronophages. En tout, les trois quarts des médecins n’en sont pas satisfaits.

Dépasser les freins

« La rémunération actuelle est décriée et la nécessité d’une évolution de la rémunération est soulignée par une majorité des sondés », résume le Dr Alexandre Dehestru, qui fait le lien avec « la désaffection de la médecine générale libérale par les jeunes générations ».

Mais pour le jeune médecin, si les généralistes mesurent les avantages du paiement à l’acte (effet incitatif, autonomie, responsabilisation), ils ne sont pas encore convaincus des bénéfices des forfaits en termes de simplification administrative, d’emploi de personnel ou de diminution du nomadisme médical. Du coup, les réformes qui visent à renforcer la part de forfaits « risquent de se heurter à de nombreux freins de la part des médecins », met en garde l’auteur. « Les effets bénéfiques d’une telle rémunération devraient être démontrés, mieux expliqués et des zones d’expérimentation mises en place, plaide le jeune thésard. Une étude réalisée à cette occasion et portant sur la satisfaction de la rémunération forfaitaire serait très informative ».

Pour le médecin, un paiement forfaitaire majoré permettrait de « s’affranchir de l’obligation de réaliser quantitativement beaucoup d’actes pour maintenir sa rémunération » et permettrait de mieux travailler en coopération avec les nouveaux acteurs médicaux ou paramédicaux « sous conditions de fiabilité et stabilité de ces rémunérations ».