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Le Quotidien du médecin - Détresse psychologique, maltraitance en stage : le « J’accuse » des étudiants en santé et leur ordonnance pour changer

Décembre 2020, par Info santé sécu social

PAR SOPHIE MARTOS - PUBLIÉ LE 08/12/2020

27,7 % des étudiants en médecine présentent des signes de dépression, un tiers des futures infirmières prennent des anxiolytiques, 80 % des étudiants en maïeutique se sentent plus stressés depuis qu’ils sont entrés dans la formation. Ces chiffres, parmi beaucoup d’autres, traduisent l’urgence d’agir pour la santé mentale.

Pas à la hauteur

Depuis fin novembre déjà, dans le cadre de leur campagne #PronosticMentalEngagé qui vise à alerter sur la croissance des risques psychosociaux, 13 associations d’étudiants et internes* pointent du doigt la dégradation de leur formation. Ce mardi, dans une lettre ouverte intitulée « Moi, étudiant en santé, J’accuse », tous dénoncent « la détresse psychologique touchant nombre d’entre nous », « l’omerta qui règne à l’hôpital » ou encore la « maltraitance en stage » et les « drames dont chaque année nous sommes les témoins impuissants ». Cette lettre est complétée par un nouveau rapport complet sur la santé mentale de 70 pages.

Le diagnostic est sévère : en dépit des beaux discours, peu de choses ont bougé depuis la grande enquête de 2017 sur la santé mentale dégradée des étudiants en santé. « Les mesures annoncées ces trois dernières années ne sont, soient pas à la hauteur, soient pas mises en place, résume Jeanne Dupont Deguine, en charge des études médicales à l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF). La crise sanitaire a encore dégradé la situation. Avec ce rapport, on remet une couche pour que ça bouge. »

La vertu des petits groupes

Pour briser le tabou qui règne autour de la santé mentale, les associations étudiantes formulent une centaine de recommandations.

Côté formation théorique, les juniors réclament des modules spécifiques sur la santé mentale, le repérage des discriminations ou la relation soignant/soigné. « Tous les étudiants en santé, quelle que soit leur filière, sont voués à se retrouver face à des patients en situation de mal-être. Or, ce mal-être affecte directement les étudiants, souvent non entraînés à y faire face », notent-ils.

En début du cursus, les cours magistraux en amphi sont à nouveau épinglés. Pour les carabins, la pédagogie devrait intégrer davantage de travaux pratiques et d’enseignements par petits groupes afin de favoriser les interactions. Le cursus doit inclure systématiquement la prise en charge de patients fictifs avec l’aide de patients experts ou de professionnels de santé.

Autre proposition : en finir partout avec le système de partiels semestriels, source de stress, au profit d’un contrôle continu. Le suivi du projet professionnel devrait être intégré tout au long du cursus pour que les jeunes « puissent se projeter dans leur future profession ».

Numéro vert national pour déclarer les violences

Côté stages, toutes les filières plaident pour un encadrement accru (a fortiori en période de crise sanitaire) et pour la diversification des terrains hors hôpital. Les étudiants considèrent aussi que les formations de management doivent s’accentuer. « Il y a eu des formations sur le bien-être auprès des coordonnateurs de DES grâce au CNA [Centre national d’appui, NDLR], confirme Morgan Caillault, président des internes de médecine générale (ISNAR-IMG). Ça commence à prendre mais le plus dur c’est de l’appliquer sur le terrain ! »

Dénigrement, humiliation, harcèlement : la « maltraitance » en stage reste très présente. Les thèses récentes des Drs Amélie Jouault et Sara Eudeline publiées en octobre sur la banalisation de la violence, notamment dans les hôpitaux universitaires, l’ont encore rappelé. « Peu de choses ont changé. On veut du concret, insiste Jeanne Dupont Deguine (ANEMF). Il existe beaucoup de cellules d’accompagnement et d’écoute à différents endroits, il faut tout recenser sur le CNA pour aider les étudiants à s’y retrouver ou créer un numéro vert national accessible 24h/24 pour tous. »

Les fédérations se prononcent en faveur d’une plateforme pour évaluer l’ensemble des terrains de stage, faire remonter les situations de violences et signaler les événements graves. Cet outil servirait à réviser l’agrément après plusieurs signalements.

Temps de travail, éternel problème

Les bonnes conditions d’accueil mais aussi le strict respect du temps de travail sont des impératifs aux yeux des jeunes. Les chambres de garde sont parfois insalubres, le repos de sécurité reste trop aléatoire, certains étudiants ne sont pas rémunérés pour les lignes de garde ou astreintes. « Ces situations fréquentes sont exacerbées par la crise mais persistent depuis trop longtemps », insistent les associations.

Ces derniers mois, nombre de services sous tension n’ont pas hésité à remplacer des praticiens par des étudiants. Ces « situations d’exercice illégal » se sont même « généralisées », accusent les jeunes. Ils réclament des sanctions contre les hôpitaux hors-la-loi et une visite médicale de synthèse à chaque changement de statut des étudiants (externat, internat, assistanat). « Nous estimons que c’est une urgence et pourtant les groupes de travail ne sont pas prévus avant janvier 2021 pour le temps de travail et mars 2021 pour la qualité de vie », déplore Morgan Caillaut (ISNAR-IMG).

Les fédérations souhaitent enfin la création d’un recueil national de données sur les suicides, le burn-out ou le taux de fuite au cours des études de santé.

* ANEMF (médecine), ANESF (sages-femmes), ANEPF (pharmacie), ANEP (psychomotricité), FFEO (orthoptistes), FNEA (audioprothésistes), FNEO (orthophonistes), FNEK (kinés), FNEP (podologie), FNESI (infirmières), Unaee (ergothérapie), UNECD (chirurgiens dentistes), ISNAR-IMG (internes de médecine générale).