Environnement et facteurs dégradant la santé

Le Quotidien du médecin - Le vin, un alcool comme les autres ? L’Élysée désavoue Buzyn, les acteurs de la santé publique s’indignent

Février 2018, par Info santé sécu social

Coline Garré 23.02.2018

Le vin est-il un alcool comme un autre ? La polémique ne cesse d’enfler entre défenseurs de la santé publique et partisans du monde viticole, jusqu’à l’Élysée, où l’avant-veille de l’ouverture du Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron réitère son opposition à tout durcissement de la loi Évin. Une déclaration qui sonne comme un désaveu de sa ministre de la Santé, Agnès Buzyn.

Début 2018, la filière viticole se félicitait déjà de l’écoute qu’elle recevait de la part de l’Elysée, où officie comme conseillère à l’Agriculture Audrey Bourolleau, ancienne déléguée générale de Vin et société. « Emmanuel Macron sépare bien les consommations excessives et raisonnables et nous propose de participer à une politique de prévention », se réjouit Jean-Marie Barillère, le président du Conseil comité national des interprofessions des vins (CNIV) sur le site Vitisphère, le 30 janvier.

Zéro différence du point de vue du foie, selon Buzyn

Mais le 7 février, Agnès Buzyn, qui a fait de la lutte contre le binge drinking et l’alcoolisation fœtale une priorité, fait entendre une voix dissidente. Elle déclare sur France 2, dans une émission intitulée « l’Alcool, un tabou français » : « L’industrie du vin laisse croire aujourd’hui que le vin est différent des autres alcools. En termes de santé publique, c’est exactement la même chose de boire du vin, de la bière, de la vodka, du whisky, il y a zéro différence ! On a laissé penser à la population française que le vin serait protecteur, qu’il apporterait des bienfaits que n’apporteraient pas les autres alcools. C’est faux. Scientifiquement, le vin est un alcool comme un autre. »

Une quinzaine d’associations de la santé* et des experts de santé publique Gérard Dubois (Académie de médecine), Irène Frachon, Serge Hercberg, Catherine Hill, et Albert Hirsch, saluent un discours très ferme et un positionnement sans ambiguïté. Les associations partagent les doutes de la ministre quant à la capacité du monde viticole à faire de la prévention. Reprenant les paroles d’Agnès Buzyn, elles déplorent le refus des producteurs d’alcool d’une meilleure visibilité du pictogramme Femmes enceintes, et de l’extension aux boissons alcoolisées des obligations en matière d’étiquetage nutritionnel.

À front renversé, le monde viticole fulmine. Le 15 février, la sénatrice de Gironde (viticultrice de profession) Nathalie Delattre (Parti radical) prend à témoin le Premier ministre Edouard Philippe lors de la séance de questions au gouvernement : « Allez vous reconnaître l’existence d’une consommation responsable ou souhaitez-vous suivre votre ministre de la Santé qui veut faire de la France le pays de la prohibition ? », demande-t-elle.

Les deux faces de la même pièce, pour Philippe

« Vous dites que le gouvernement, par la voix de la ministre des Solidarités et de la Santé, se serait engagé dans je ne sais quelle croisade contre le vin […] Votre propos m’apparaît outrancier », se défend le Premier Ministre. Edouard Philippe ménage les deux parties, jugeant « irresponsable de ne pas voir les deux faces de la même pièce » : « Nous allons à la fois respecter cette place particulière à laquelle nous sommes tous attachés du vin dans la culture et l’agriculture françaises (il venait de rappeler que le gouvernement soutient la filière dans les négociations internationales, et n’a pas modifié la fiscalité applicable au vin, N.D.L.R.), mais nous n’allons pas faire semblant qu’il n’y aurait pas de problème de santé publique. »

Le 19 février, Agnès Buzyn plaide l’information et la prévention, sur « Public Sénat » : Une consommation modérée qui peut être sans danger ? « Scientifiquement, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. C’est proportionnel (...) Dans le vin, il y a une molécule d’alcool, il faut boire avec modération. Plus on boit d’alcool, plus c’est dangereux. Moins on en boit, mieux c’est. »

Nouvelle salve des lobbies ce jeudi 22 février, dans « le Figaro », où une tribune de « l’Académie du vin de France » appelle Agnès Buzyn à cesser « de diaboliser le vin, qui est une part de la civilisation française ».

Un alcool pas fort, selon Castaner

« Ne nous emballons pas sur ce sujet », tente de calmer sur BFMTV et RMC Christophe Castaner, secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement. Et de caresser les terroirs dans le sens de la vigne : « Évidemment qu’il y a de l’alcool dans le vin, mais c’est un alcool qui n’est pas fort et qui du coup fait partie de notre tradition, de notre culture, de notre identité nationale, il n’est pas notre ennemi, mais l’alcoolisme est toujours notre ennemi. » Et d’ajouter : « C’est une question de niveau de consommation. »

Emmanuel Macron, à deux jours de l’inauguration du Salon de l’Agriculture, sort de cette prudence et promet que lui, Président, il n’y aurait pas « d’amendement pour durcir la loi Evin ». Une loi Evin qu’il avait lui-même assouplie considérablement en faisant voter en 2016 dans la loi Santé un amendement distinguant publicité et information, au désespoir des addictologues et de la Conférence nationale de santé.

« Moi, je bois du vin le midi et le soir. Je crois beaucoup à la formule de (Georges) Pompidou : "n’emmerdez pas les Français" », a indiqué le chef de l’État à la presse régionale en marge d’une rencontre avec des agriculteurs. « Il y a un fléau de santé publique quand la jeunesse se saoule à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière, mais ce n’est pas avec le vin », ajoute Emmanuel Macron.

Sur Twitter, les acteurs de santé publique ne désarment pas pour rappeler les dangers et décès de l’alcool. À suivre...