L’hôpital

Le Quotidien du médecin - « ll y a bien des mises en danger d’enfants », alerte le responsable du Smur pédiatrique de Necker

Novembre 2022, par Info santé sécu social

PAR JULIEN MOSCHETTI - PUBLIÉ LE 07/11/2022

Responsable du Smur pédiatrique à l’hôpital Hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP), le Dr Laurent Dupic participe aussi à la régulation régionale pédiatrique au sein du centre de réception et de régulation des appels (CRRA) 75. Face à la situation « catastrophique » en Île-de-France – qui a déjà conduit à 38 transferts de patients graves en réanimation loin de leur domicile – il alerte sur les « mises en danger d’enfants ».

LE QUOTIDIEN : Quel regard portez-vous sur la crise de la pédiatrie  ?

DR LAURENT DUPIC  : Nous sommes dans une position de tour de contrôle et de vigie. Nous avons lancé l’alerte il y a quinze jours, quand on a commencé à transférer des enfants en province. Nous en sommes aujourd’hui à 38 transferts de patients graves en réanimation, à plus de 200/250 km de leur domicile. Et ce sont les seuls transferts comptabilisés. Je n’ai pas de visibilité sur les transferts hors Île-de-France de patients peu gravement malades. Mais je sais que certains patients ne trouvent pas de place en pédiatrie générale ou en unité de surveillance continue, car le niveau de saturation du système touche chacune des couches du système hospitalier.

Ces transferts provoquent-ils des pertes de chance, des mises en danger  ?

Il y a bien des mises en danger d’enfants, même si ces transferts sont faits par des équipes médicalisées. On génère des conditions de transfert avec un maximum de sécurité, dans la mesure de ce que l’on peut faire. Mais, comme la bronchiolite nécessite un support respiratoire, le transport représente une phase d’instabilité.

Il ne faut pas se tromper de focale. Est-ce que les Smur pédiatriques franciliens sont compétents pour transférer les patients instables  ? Bien sûr que oui ! Est-ce qu’un système hospitalier fonctionne bien lorsqu’il est incapable de proposer une place de réanimation à proximité du domicile d’un enfant gravement malade  ? La réponse est non.

Tout cela ne correspond pas à ce qu’on attend d’une prise en charge de qualité au XXIe siècle. Cela ne devrait pas générer les mêmes dysfonctionnements que durant la crise du Covid. Or, on se retrouve à utiliser les mêmes outils pour une épidémie banale, même si elle est un peu plus intense et précoce cette année.

Quid des enfants qui ne peuvent être transférés en réanimation  ?

Quand un enfant nécessitant une réanimation est pris en charge en pédiatrie générale ou aux urgences, une ventilation non invasive (VNI) est nécessaire. Mais quand vous laissez des patients instables en VNI ou sous Optiflow en pédiatrie générale avec des ratios « soignant par patient » insuffisants, la qualité de la surveillance est forcément moins bonne. S’il y a une perte de chance, c’est bien à ce niveau-là. Ces prises en charge dégradées augmentent la probabilité de générer des mises en danger, et donc des drames potentiels.

Est-ce que cette crise de la pédiatrie était prévisible  ?

Oui, nous avons tiré la sirène d’alarme il y a plusieurs mois. Nous savions que nous ne serions pas en capacité de faire face à une augmentation du nombre de patients car nous avons entre 20 et 25 % des lits fermés. Aujourd’hui, nous adaptons notre organisation au détriment des autres enfants : déprogrammations, fermeture de blocs pour pouvoir transposer les personnels dans les « réas » et ouvrir des lits, etc. Certains soignants ne trouvent plus aucun sens à leur métier, ils vont sans doute partir.

Que pensez-vous des mesures annoncées par le gouvernement  ?

Les 400 millions débloqués ne vont pas permettre de recruter plus de personnel. Cela va simplement permettre aux professionnels du secteur, qui bénéficieront de majorations, de tenir. Des réformes structurelles doivent être prises : instaurer des ratios soignants/patients, reconnaître la spécificité de la pédiatrie, augmenter l’Ondam [objectif national de dépenses d’assurance-maladie] pour réorganiser l’hôpital public de façon durable… Pour l‘instant, le gouvernement n’a pas fourni de réponse adaptée. Et c’est justement cela, le drame.

Comment voyez-vous les semaines à venir  ?

Je suis au front, je continuerai à l’être jusqu’au bout. Mais la situation est absolument catastrophique. Je n’ai jamais vu ça, c’est un désastre.