L’hôpital

Le blog de Médiapart - Chroniques de Sophie Buys, 48 ans, médecin réanimateur.

Avril 2021, par Info santé sécu social

Publié dans Médiapart (blog d’Yves Faucoup)

Chroniques de Sophie Buys, 48 ans, médecin réanimateur :

Bon, si j’ai bien lu le résumé de l’allocution du Président Macron que je n’ai pas écoutée, en ce qui concerne les hôpitaux :

 les soignants, il va falloir faire un effort (c’est vrai que jusqu’à présent, on jouait à la belote) ;

 on va créer 3000 lits de réanimation en 4 jours ;

 en transformant les blocs opératoires en Réanimation tout en continuant à opérer tout le monde ;

 et faire tourner les blocs et les réas avec des "renforts" (qui seront donc formés au bloc et à la Réanimation en 4 jours ? C’est à se demander pourquoi l’internat dure 5 ans). Du coup c’est dommage que les collèges soient fermés parce qu’on aurait pu recruter des 3èmes pour qu’ils fassent leur stage chez nous ;

 avec du matériel, qu’on n’a pas encore. En fait vendredi, le ministère de la santé a validé le budget prévisionnel de notre hôpital pour l’ouverture de 4 lits de Réanimation temporaire. On a donc 4 jours pour acheter 4 respirateurs, 4 lits, 18 pousse-seringues, 1 échographe....

On prend une option sur Macron : il est devenu médecin en 4 mois, il peut devenir réanimateur en 4 jours.

Vaccinodrome en milieu rural

Le déploiement des vaccinodromes dans les départements ruraux s’accompagnent d’une fermeture des centres de vaccination de proximité, faute de personnel pour tout faire tourner. Or, l’efficacité des vaccinodromes, pour la vaccination des plus de 70 ans, n’a pas été démontrée. Pour les jeunes, urbains et mobiles, c’est parfait. Mais pour un vieux, a fortiori s’il habite à la campagne, c’est voué à l’échec. Or, énormément de vieux, surtout les plus de 80 ans, autonomes à domicile, ne sont pas encore vaccinés.

Il y a tout un tas de raison à ça : techniques, bien sûr, ils ne savent pas bien utiliser leur téléphone portable, ou ils n’entendent plus trop bien, ou ils n’ont pas l’internet pour prendre rendez-vous, ou bien ils n’ont pas de voiture ou ils ne conduisent pas parce qu’ils ne voient plus bien, et puis ils n’ont pas trop confiance parce qu’à la télévision ils ont dit que c’était dangereux, et puis à quoi ça sert parce qu’ils ne voient pas grand monde... à part l’aide-ménagère et l’infirmière qui passent tous les jours, et puis le voisin qui vient tailler la bavette - sans le masque parce que bon c’est un voisin, on se connaît quoi - et le facteur (sauf si c’est un ancien paysan auquel cas la boîte aux lettres est au bout du long chemin qui mène à la ferme parce que la poste ne veut plus déposer le courrier à la maison parce que c’est trop loin et ça prend trop de temps), et la fille qui lui amène les courses, et puis et puis...à la fin le vieux il se chope le Covid.

Ce week-end, s’est pointé aux urgences un patient de 96 ans qui s’est blessé en se mettant un coup de bêche en faisant son jardin. Bon, vu qu’il était minuit passé quand les urgentistes ont eu fini de l’examiner, il était difficile de le renvoyer tout seul chez lui ; du coup avant de l’hospitaliser on lui a fait une PCR Covid ... qui s’est avérée positive. Mais je ne comprends pas docteur comment j’ai pu l’attraper ce virus, je ne vois personne, à part l’aide-ménagère, l’infirmière, le facteur...

Un vieux a d’abord peur de tomber - et de ne pas pouvoir se relever, de se faire dessus et d’en crever de honte, d’être isolé et de ne plus voir ses proches, peur pour les siens - qu’il leur arrive quelque chose, peur d’être malade - et surtout, surtout de devoir être hospitalisé. Paradoxalement, il a moins peur de la mort que les plus jeunes. Passé 80-85 ans, il sait qu’elle va arriver, il l’attend et chaque jour est un rab gagné sur celle-ci. Il n’a plus peur de la douleur puisqu’elle est continuellement là et il l’apprivoise à coup de cachet, mais pas trop quand même hein, docteur.

C’est un être d’habitudes, parce qu’en vivant au même endroit, en faisant les mêmes gestes tous les jours, il espère que la maladie l’aura oublié. Tout changement est source d’angoisse extrême, et il résiste de toutes ses forces à celui-ci. Il faut voir quand son médecin traitant veut le faire hospitaliser : il recule le moment, jusqu’à ce qu’il n’ait plus le choix. Il vient à l’hôpital en pensant qu’il va y mourir... et il n’a pas toujours tort. Il arrive avec la valise au carré, surtout quand la femme est encore là, avec trois fois plus d’affaires que nécessaire - mais putain où est-ce qu’on va pouvoir stocker tout ce bazar - la casquette pour l’homme et la canne.

Dans la valise, il y a le pyjama en flanelle ou la chemise de nuit rose avec des petites fleurs, bien fermée jusqu’en haut du cou par une multitude de petits boutons dont tu ne vois jamais le bout quand il te faut les ouvrir pour ausculter la patiente. De toutes les façons, ils ne les mettront pas, parce qu’un sadique a inventé pour l’hôpital la chemise ouverte derrière qui permet de montrer ton cul à tout le monde.

Et les types, ils pensent que le vieux qui habite à plusieurs kilomètres du vaccinodrome, il va aller trouver le voisin ou le fils/la fille pour qu’il l’amène dans un gymnase/un stade où il va prendre son tour dans la file au milieu d’une centaine de personnes. Mais pour arriver à vacciner un vieux, il faut ruser. Il faut passer par l’aide-ménagère, l’infirmière, le médecin traitant, et puis aussi le maire qui fait le tour des popotes, des boulindromes aux club de troisième âge. Il faut lui en parler au moment où on lui renouvelle l’ordonnance ou quand on lui refait le pansement sur les jambes. Il faut lui expliquer qu’il fait ça pour (l’arrière) petite-fille qui vient de naître et pas parce qu’il risque de mourir, ça il le sait merci bien. Et puis il vaut mieux éviter que ça soit ses proches qui lui demandent, parce que le vieux fera strictement l’opposé de ce que ses enfants lui demandent, surtout s’il s’agit de ses filles, ne serait-ce que pour prouver qu’il n’est pas gâteux.

Bref, le problème, c’est que tout ça, ça rend moins bien sur la photo de groupe montrant le préfet, le président du Conseil Général, le directeur de l’ARS départementale et chef des pompiers.