Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le blog de Médiapart - Un virus de pauvre : En Seine-Saint-Denis les vies valent moins qu’ailleurs

Avril 2020, par Info santé sécu social

28 AVR. 2020 PAR NICOLAS CAMILOTTO BLOG : LE BLOG DE NICOLAS CAMILOTTO

En pleine crise sanitaire les habitant·es de Seine-Saint-Denis paient de leurs vies les conséquences de décennies d’abandon par les services publics. Loin de combler ces carences, le gouvernement prouve décision après décision, qu’à ses yeux, toutes les vies ne se valent pas.

Avant-propos : Toutes les statistiques présentes dans ce texte sont disponibles sur le site de l’INSEE.

Avec une augmentation des décès de 128,1% par rapport à 2019 sur la période allant du 1er mars au 13 avril, la Seine-Saint Denis est à ce jour le deuxième département le plus touché de France. A titre de comparaison, Paris, département limitrophe et touché par le virus, enregistre sur la même période une surmortalité de 73,9%. Pour l’expliquer on peut, comme le préfet Lallement, Jordan Bardella et tant d’autres, mettre en cause les comportements individuels des habitant·es du département. On peut aussi faire preuve d’honnêteté intellectuelle et chercher les raisons systémiques de cet écart.

La démographie en Seine-Saint-Denis

Évacuons tout de suite l’argument démographique : la Seine-Saint-Denis est l’un des plus jeunes départements de France.

Avec une population censée être moins fragile au virus il est contre-intuitif que ce département soit l’un des plus touchés. Loin d’expliquer la surmortalité, le facteur démographique ne fait qu’amplifier le phénomène de surmortalité.

Un territoire délaissé

Santé, économie, éducation, la Seine-Saint-Denis est un département où l’Etat manque clairement à ses missions.

Les conséquences de ces défaillances étatiques sont désastreuses. Avec le taux de réussite au baccalauréat le plus bas de France métropolitaine, la Seine-Saint-Denis compte le plus faible taux de diplômé·es dans sa population. Dans ce département fortement caractérisé par l’immigration (presque 6 enfants sur 10 nés en 2018 ont au moins un parent né à l’étranger), les problèmes de sous-formations se mêlent aux discriminations sur le marché du travail. Résultat : un taux de pauvreté à 17,5%, le plus haut de France, et un taux de chômage sensiblement supérieur à la moyenne française, de 4 points supérieur au taux parisien.

Sur le plan de la santé le constat n’est pas plus reluisant : avant-dernier des départements en termes de nombres de lit par habitant·es, la Seine-Saint-Denis compte à peine 258 médecin·es pour 100 000 habitant·es. Dans ce domaine les Séquano-Dionysien·nes payent également le prix fort des failles de l’Etat : leur espérance de vie est de 2 ans inférieure à l’espérance de vie parisienne. Clairement, le sous-investissement dans la santé n’est pas proportionnel à la jeunesse de la population. Le phénomène n’est pas nouveau, la Seine-Saint-Denis est considérée comme le premier « désert médical de France » depuis des années.

Ce territoire, qui subit durement les échecs des services publics en temps normal, est encore plus exposé en temps de crise sanitaire. En cause : un accès difficile aux soins, des logements surpeuplés, des emplois particulièrement exposés et des décisions gouvernementales qui ne protègent pas.

Des logements exigus et surpeuplés

Limitrophe à Paris, le département subit de plein fouet les effets de la crise du logement en Ile-de-France. Une situation d’autant plus difficile à vivre vu les conditions économiques de la population. La Seine-Saint-Denis est le département qui compte le plus haut taux de logements surpeuplés (20 ,6% en 2020), loin devant la moyenne française (5%) mais également devant Paris (15,9%).

Ces conditions de logement accélèrent la propagation du virus entre membres d’un même foyer. Elles transforment aussi le confinement (pour ceux et celles qui le peuvent) en véritable épreuve. Dans ces conditions, l’injonction à « Restez-chez vous » et les condamnations virulentes proférées par le monde médiatico-politique paraissent d’autant plus abjectes que la plupart de ses membres ont décidé de vivre le confinement dans leur résidence secondaire, en province.

Des emplois particulièrement exposés

Sous qualifié·es par rapport au reste de la population, la structure des emplois des habitant·es de Seine-Saint-Denis est sensiblement différente que la structure des emplois français et parisiens.

Caissier·ères, livreur·ses, agent·es d’entretiens, de sécurité, aide soignant·es, infiermièr·es, ambulancier·es, celles et ceux « qui ne sont rien » selon le Président permettent aujourd’hui au pays de tenir en pleine crise. Essentiels à la nation, souvent précaires et non protégés par l’Etat, ces emplois se retrouvent aujourd’hui surexposés au virus.

Pour ces employé·es impossible de télétravailler. De plus, la précarité généralisée induit des comportements professionnels à risque. Les promesses de primes annoncées par l’Etat sont une aubaine dont la plupart de ces travailleurs et travailleuses ne peuvent se passer. Comme me l’explique Lisa, caissière en grande surface : « plein de collègues nous expliquent que même malades elles viendraient travailler. Mais bon, avec une prime de progrès de 15€ à 50€ tous les trimestres depuis plus de 4 ans je peux les comprendre... ». Pour beaucoup, entre une misère certaine ou un risque de diffuser la maladie, le choix est vite fait. La même logique s’applique pour les travailleurs et travailleuses « fragiles » qui se résignent tout de même à aller au travail.

Une confiance coupable

En étant bien trop large quant à sa définition des emplois « essentiels à la nation », l’Etat n’a pas protégé ces travailleur·euses. On peine toujours à comprendre en quoi il était essentiel à la nation que livreurs et livreuses de repas continuent à sillonner les villes, que certaines enseignes de fast-food soient autorisées à ouvrir avant même la date de fin de confinement, etc, etc...

L’Etat a également fait le choix de compter sur la bonne volonté de l’ensemble des employeur·euses pour protéger ses employé·es. Evidemment, entre les discours de façade des directions, comme cette marque de livraisons à domicile qui promet des « livraisons sans contact », et la réalité du terrain, il y a un monde. Précisons-le, ce « laisser-faire » n’est pas une erreur, c’est un choix : l’amendement pour permettre au Ministère du Travail de contraindre les employeurs à s’assurer que leurs salarié·es portent des matériels de protection a été rejeté par les députés le 20 mars.

Depuis, médias et réseaux sociaux ne font que relater des situations où les salarié·es sont en danger au travail parce que leur employeur·euse ne leur donne pas les moyens d’exercer leur métier en sécurité. Evidemment, ceux et celles qui osent s’insurger contre ces conditions sanitaires subissent de fortes répressions allant de la perte de revenus aux menaces de licenciement. Pour ces quelques affaires plus ou moins connues, combien ne le sont pas ?

Le pire est à venir

Alors que l’heure du déconfinement approche, il est à redouter que la situation en Seine-Saint-Denis s’aggrave. Comment cela ne pourrait-il pas être le cas alors que les masques seront vendus au lieu d’être distribués. Comment cela ne pourrait-il pas être le cas alors que le gouvernement, contre l’avis du Conseil scientifique, a décidé d’ouvrir crèches, écoles et collèges sur la base du « volontariat » ?

Le « volontariat » est un luxe que la plupart des habitant·es de Seint-Saint-Denis ne pourront pas se payer. Ce retour à l’école sera, de fait, obligatoire pour ceux et celles qui ne peuvent pas se permettre de ne pas aller travailler ou de faire garder leurs enfants autrement. Alors que rien n’est prêt pour accueillir les élèves et le personnel dans des conditions sanitaires décentes, le retour à l’école signifiera forcement un risque plus important de voir entrer le virus dans son foyer. Ce sera d’autant plus le cas dans ces écoles où le taux de présence risque d’être l’un des plus élevé de France.

La Seine Saint-Denis est sûrement l’exemple le plus marquant de ces territoires en métropole où les manquements de l’Etat et de ses services publics provoquent tant de dégâts en France. Des territoires comme celui-ci en existe partout. Ces populations sont déjà les plus fragiles en temps normal, ils et elles paient encore plus cher les conséquences de la crise sanitaire. Des solutions il y en avait, il y en a, mais à chaque fois c’est la volonté qui fait défaut. Par ces décisions le gouvernement ne fait que confirmer jour après jour qu’à ses yeux toutes les vies ne se valent pas.