Environnement et facteurs dégradant la santé

Le quotidien du médecin - Les expertises des agences européennes sur le glyphosate attaquées de toutes parts

Juin 2017, par Info santé sécu social

Damien Coulomb

Quatre eurodéputés Verts/ALE du Parlement Européen ont saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne sur la non-divulgation par l’Agence européenne de sécurité des aliments (l’EFSA) des études sur lesquelles l’agence s’est fondée pour conclure que le glyphosate n’était probablement pas cancérigène pour l’homme.

C’est sur la base des conclusions de l’EFSA, mais aussi de celles du comité d’évaluation de risques de l’agence européenne des produits chimiques (ECHA) et de l’institut fédéral allemand pour l’évaluation de risques (BfR) que la commission européenne a relancé le processus de renouvellement de l’autorisation de commercialisation du Glyphosate (composé principal du Roundup de Monsanto) pour une période de 15 ans.

Michèle Rivasi, une des quatre plaignants, rappelle dans un communiqué qu’ils avaient introduit l’année dernière une demande d’accès aux données de l’EFSA. « Après une année de tractations intensives, l’EFSA ne nous a fourni qu’un accès partiel à ces études, omettant des informations clés comme la méthodologie ou les conditions d’expérimentations. Or, sans ces informations essentielles, il est impossible pour des experts indépendants de vérifier la validité des conclusions de l’EFSA », note-t-elle.

Les scientifiques sur le front

Attaqué à sa gauche par des personnalités politiques, le travail de l’EFSA l’est aussi à sa droite par des scientifiques. Dans un courrier adressé au président de la commission européenne, Jean-Claude Juncker, le Dr Christopher Portier, ancien directeur du programme national américain de toxicologie, affirme son incompréhension face aux conclusions de l’agence, de l’ECHA et du BfR.

Le Dr Portier a repris, avec plusieurs collègues, les données brutes « à 3 reprises, et à chaque fois je ne comprends pas comment ils sont parvenus à ces résultats », explique-t-il au « Quotidien ». Dans sa monographie, le centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a estimé qu’il existait un lien statistique chez l’animal dans 7 types de tumeurs différentes. Le BfR ne trouvait un tel lien que pour 4 tumeurs et l’EFSA pour seulement 2. Dans son travail personnel, le Dr Portier conclut à une augmentation significative du risque de 8 types de tumeurs chez les animaux exposés au glyphosate et pointe de nombreuses erreurs méthodologiques.

Pour le Dr Portier, « le problème est que nous avons bien accès aux données analysées par ces 3 agences, ainsi qu’à leurs conclusions, mais nous ne savons pas du tout comment ils ont réalisé leurs travaux, précise-t-il. Je pense que l’EFSA n’a pas fait ce travail d’analyse elle-même, et l’a confié à un autre organisme, sans que l’on sache qui exactement. Ce manque de transparence m’inquiète beaucoup car s’ils font ce genre d’erreur avec un dossier comme le glyphosate, comment s’assurer de leur expertise dans d’autres dossiers du même genre », s’alarme-t-il.

En 2015, le Dr Portier avait déjà écrit une lettre similaire, signée par 96 autres scientifiques, pour se plaindre auprès du commissaire européen chargé de la santé et de la sécurité sanitaire, Vytenis Andriukaitis, de l’opacité du travail de l’EFSA et du BfR sur le dossier du glyphosate.

Un vote attendu pour la rentrée

La route du possible retour sur le marché du glyphosate en Europe est désormais tracée. L’ECHA devrait rendre un avis formel à la commission européenne en juin, et cette dernière proposera un texte entre juin et juillet, qui sera voté par les États membres en septembre, après la pause estivale.

« Le dossier du glyphosate est maintenant essentiellement politique, reconnaît le Dr Portier, et ce ne sont pas des arguments scientifiques qui vont changer les choses. J’espère que ce sera au moins l’occasion de mettre en avant les problèmes des évaluations menées par les agences européennes. » Un avis partagé par Michèle Rivasy, qui estime qu’il faut « impérativement modifier le règlement intérieur des agences européennes pour que celles-ci n’utilisent plus que les études appartenant au domaine public, comme le fait le CIRC. »