Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Lequotidiendumedecin.fr : Cours à distance, stages perturbés, réformes incertaines : Génération Covid : les étudiants en santé dans la tourmente

Décembre 2020, par infosecusanté

Lequotidiendumedecin.fr : Cours à distance, stages perturbés, réformes incertaines : Génération Covid : les étudiants en santé dans la tourmente

PUBLIÉ LE 04/12/2020

C’est une épreuve sans fin, un marathon. Sur le pont depuis huit mois, alors que la seconde vague n’est pas terminée, les étudiants en santé et les internes oscillent entre lassitude et intense fatigue. Entre les reports d’examens et des thèses, le dérèglement des stages dans un contexte de crise sanitaire et les cours à distance, les études des jeunes ont été malmenées. Les corps et les esprits sont fragilisés.

Tous les signaux montrent une augmentation des risques psychosociaux (lire page 3 et 4) dans une population déjà plus exposée que la moyenne au burn-out et aux pensées suicidaires.

Le premier cycle, en pleine année de réforme, n’a pas été épargné. Il y a une dizaine de jours, les étudiants des différentes filières de santé (médecine, pharmacie, dentaire, sages-femmes, infirmières, kinés) ont adressé une lettre ouverte à Emmanuel Macron en forme de SOS et lancé #PronosticMentalEngagé, une campagne vidéo sur les réseaux sociaux pour sensibiliser aux risques psychosociaux et dénoncer les effets délétères de la réforme du premier cycle « sans moyens à la hauteur ».

De fait, la crise sanitaire a compliqué la mise en œuvre la réforme du premier cycle dont le but est de proposer de nouvelles voies d’entrées — PASS et LAS — permettant de diversifier les profils et d’en finir avec le gâchis humain de la PACES. Las, dans un rapport cinglant d’une trentaine de pages, les filières santé concernées fustigent la désorganisation des facs, le flou autour des modalités de certaines épreuves de sélection, la surcharge de travail et le manque de financement.

Décrochages

Les très nombreux cours à distance n’ont rien arrangé. « On a des décrochages, des étudiants qui décident d’arrêter brutalement, surtout dans les licences d’accès santé, où ils se sentent complément délaissés », constate Morgane Gode-Henric, présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF).

Indice du climat anxiogène, les ministères de tutelle (Santé, Enseignement supérieur) organisent chaque semaine des réunions avec les syndicats de carabins et d’internes autour de la qualité de vie des étudiants en santé. « Sur le plan global, on tient le choc, l’incertitude est que personne ne connaît la date de fin », alerte Gaétan Casanova, président de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI). Parallèlement, une consultation ministérielle a été engagée avec les acteurs sociaux de l’Enseignement supérieur sur la lutte contre la précarité étudiante.

Au petit bonheur des réaffectations

Partout, on réclame aux jeunes une forte capacité d’adaptation et de résilience. Des étudiants de deuxième cycle ont suivi des stages dans des services en forte baisse d’activité, où ils apprennent moins, d’autres ont été transférés. C’est le cas d’Alice en 4e année à Dijon. « J’ai été réaffectée en maladies infectieuses après la fermeture du service de chirurgie digestive et viscérale. C’est super-intéressant, je suis bien encadrée mais les horaires sont lourds et il y a eu des problèmes de communication entre les services administratifs lors du changement de stage », raconte-t-elle.

D’autres assurent, en plus de leur stage, des contrats de vacation pour épauler les unités Covid en manque de bras. Un planning épuisant. « Je travaille 10 h par jour, cinq jours par semaine dans un service de chirurgie et je suis aide-soignant le week-end dans un centre hospitalier  ! J’avoisine les 80 heures semaine, témoigne Benjamin, étudiant en 5e année de médecine à Poitiers. On a une baisse des performances universitaires, les renforts impactent les études et je le vois aussi au niveau de la fatigue. Tout le monde essaye de faire de son mieux pour tenir. J’ai hâte de revenir à mes cours et à une ambiance plus détendue. »

Chez les internes, diverses inquiétudes remontent comme le report des cours ou des passages de thèse. Les jeunes, notamment les docteurs juniors (dernière phase de l’internat), ont obtenu une dérogation jusqu’au 31 décembre pour soutenir leur thèse mais la charge de travail complique la donne. « On a réalisé un sondage auprès de nos adhérents, une grande partie craint de ne pas réussir à tenir les délais », ajoute Gaétan Casanova.

Promocovid, Promopangolin

En matière de temps de travail, le respect des accords du Ségur, signés en juillet 2020, reste une priorité dans un contexte de tension hospitalière où les jeunes restent exposés aux dérives horaires ou sur le repos de sécurité. Le gouvernement s’était engagé sur des sanctions contre les établissements qui n’appliquent pas la réglementation mais le dossier prend du retard. « On devrait vérifier le temps de travail depuis début novembre et prévoir des sanctions pour les hors-la-loi, nous sommes fin novembre et rien n’a bougé. Le comité de pilotage sur la qualité de vie dans lequel on aborde ce sujet n’a même pas été créé », explique le chef de file des internes.

D’autres difficultés ponctuelles sont signalées comme l’exclusion des jeunes des cellules de crise Covid ou l’approvisionnement aléatoire en équipements de protection individuelle (EPI). « Je suis interne en ambulatoire, j’ai réussi à avoir un FFP2 en deux semaines, ironise Léo, interne en médecine générale en Ile-de-France. La pharmacie fait de la résistance, c’est dur d’avoir des blouses aussi. »

Le bout du tunnel ?

Comme un signe du destin, les quelque 8 000 internes tout juste diplômés avaient pris leurs premiers postes dans les hôpitaux le 2 novembre, juste avant que l’épidémie de coronavirus batte de nouveaux records en France avec plus de 60 000 nouvelles contaminations sous 24 heures.

« Il y a eu la première vague au printemps, la préparation des ECN, leur report en juillet, les stages d’été, deux semaines de vacances puis l’internat et la seconde vague  ! Tout s’est enchaîné très vite. Et on ne voit pas le bout », raconte Anne, interne d’anesthésie-réanimation, en premier semestre dans la région lyonnaise. Léo met en avant les sacrifices consentis par cette génération d’internes. « Je ne sais pas comment on doit nous appeler. Promocovid, promopangolin  ? La 6e année a été un enfer. À quel prix arrivera-t-on au bout de cette crise  ? »

Sophie Martos