Luttes et mobilisations

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Janvier 2019, par infosecusanté

balles de défense : urgentistes et chirurgiens décrivent les blessures

Damien Coulomb

| 30.01.2019

Depuis onze semaines de manifestations des Gilets jaunes, les blessures causées par les lanceurs de balles représentent une nouvelle problématique pour les services d’urgence et de chirurgie.

« La principale difficulté est que ces blessures sont annoncées par des hématomes et non par des plaies ouvertes, ce qui les rend plus difficiles à diagnostiquer », observe le Pr Pierre Carli, président du Conseil national de l’urgence hospitalière (CNUH) et patron du SAMU de Paris. Ce dernier mène en ce moment un travail de recueil et d’analyse des blessés par lanceurs de balle traités par les services d’urgence en France. « Le but est de produire des protocoles visant à améliorer la prise en charge », explique-t-il. Les résultats sont attendus au cours de l’année 2019.

Près de 2 fois le service de Federer

Le LBD 40, en dotation dans les unités de la police nationale, est fabriqué par l’armurier suisse Brügger & Thomet. Il utilise deux types de munition de 40 mm de diamètre. La puissance à l’impact est de 160 joules, pour des distances opérationnelles de 10 et 30 m ou de 25 et 50 m, selon la munition utilisée. À titre de comparaison, une balle de tennis servie à 200 km/h délivre une puissance de 90 joules.

Et de fait,« les dégâts lors d’impact au thorax évoquent les chocs subis lors d’une activité sportive : des hématomes plus ou moins atténués par les vêtements, des fractures des mains et des KO respiratoires, explique le Pr Pelloux, président de l’association des médecins urgentistes de France. La prise en charge implique le recours à une échographie et une mise sous surveillance pour éviter de passer à côté d’une hémorragie ».

Des blessures aux visages plus impressionnantes

Le Pr Chloé Bertolus, du service de Chirurgie maxillo-faciale de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) dénombre à ce jour 16 traumatisés faciaux hospitalisés dans les hôpitaux de l’AP-HP depuis le début des manifestations des « Gilets jaunes ». Les lanceurs de balles « sont des armes non létales mais pas inoffensives », résume le Pr Bertolus. Ces blessures « sont des fractures comminutives mandibulaires ou du zygoma, avec une plaie en regard, mais sans pertes de substance comme on pourrait l’observer avec des armes à feu, précise le Pr Bertolus. Elles s’apparentent à des fractures obtenues suite à un choc par un objet contondant. Les blessures les plus délabrantes concernent l’orbite, avec une possible perte du globe oculaire. »

La prise en charge chirurgicale implique une opération de 3 heures minimum pour une fracture isolée de la mandibule. « Certains patients ont eu des blocs beaucoup plus longs, et auront d’autres interventions chirurgicales », ajoute le Pr Bertolus.

En 2009, le professeur et ses collègues avaient publié dans la revue « Injury » une série de 6 cas de blessures par pistolets Gomm à balles de défense (fabriqués par la société d’application des procédés Lefebvre). Deux patients avaient été touchés au niveau de l’œil, trois au niveau de la mâchoire (fracture mandibulaire) et un dernier en plein front. Le projectile avait dû être extrait avant reconstruction du plancher de l’orbite pour l’une des blessures de l’orbite et de la paupière pour l’autre. Une des blessures à la mâchoire avait occasionné une séquelle fonctionnelle : une paralysie faciale, probablement liée à une section d’une branche du nerf facial.

Une épidémiologie difficile à établir

L’épidémiologie de ces blessures, sujet de débat dans les réseaux sociaux, fera également l’objet des travaux du Pr Carli. « Il n’y a pas eu de flambée du nombre de blessures par lanceurs de balles de défense lors des manifestations », estime pour sa part le Dr Pelloux.

Selon le journaliste spécialisé David Dufresne, qui a dressé vendredi dernier sur le site de Médiapart, un état des lieux de l’ensemble des blessures occasionnées par les forces, les lanceurs de balle de défense seraient à l’origine d’une « 91 cas de têtes atteintes par des tirs de LBD en marge des mouvements Gilets Jaunes et lycéen de novembre à décembre », dont 18 éborgnements.

Dans une proposition de loi du 22 janvier visant à interdire l’usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l’ordre, les parlementaires signataires dénombraient, au 17 janvier, 71 blessures liées à des tirs de LBD, « pour nombre d’entre eux irréversibles ».