Branche maladie de la sécurité sociale

Les Echos - 100 % santé : 20 ans après, la Sécu s’y met !

Juillet 2019, par Info santé sécu social

TRIBUNE
Opinion

La promesse de n’avoir aucun reste à charge en optique, dentaire, auditif va être tenue en 2022. C’est une évolution majeure pour le système de santé en France, avec des conséquences importantes pour les patients, la Sécurité sociale, les professionnels de santé, les assureurs complémentaires, et les réseaux de soins.

Par Philippe Delerive (responsable du pôle gestion du risque et assurances du Groupe Exponens)

La réforme 100 % santé

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, la réforme "100 % santé" en optique, dentaire, auditif, va se déployer progressivement entre 2019 et 2022 en activant trois leviers.

La Sécurité sociale augmente ses remboursements, les professionnels de santé s’engagent à respecter un prix de vente maximum sur un panier de soins défini, les assureurs complémentaires sont tenus de rembourser intégralement dans leurs contrats "responsables" la différence entre ce prix de vente et le remboursement de la Sécurité sociale.

Une innovation apparue à l’initiative des assureurs privés il y a 20 ans

Cette évolution majeure n’est que la reprise par la Sécurité sociale des réseaux de soins créés il y a 20 ans par des assureurs privés.

C’est en 1998 en effet que quelques assureurs innovants, AXA, AGF et Groupama, inventaient les réseaux de soins à la française, avec une promesse simple faite aux assurés : la possibilité d’un reste à charge 0 en optique, dentaire, auditif. Seule contrainte : aller chez un professionnel de santé partenaire et accepter l’offre, négociée en termes de contenu et de prix, qu’il allait proposer.

En optique, cette offre était fonction du type et du degré de correction visuelle. En dentaire, le matériau de la prothèse était fonction de la position de la dent dans la bouche. En prothèses auditives, l’appareil proposé était fonction du problème médical à corriger. Ce sont ces mêmes principes que l’on retrouve dans la réforme actuelle.

Il y a 20 ans, il a fallu expliquer aux assurés des contrats individuels, aux partenaires sociaux et aux DRH des entreprises que ces innovations apportaient une meilleure couverture que les garanties forfaitaires traditionnelles : ce principe de "à chacun selon son besoin", cher aux fondateurs de la Sécurité sociale, a ainsi été mis en pratique par des assureurs privés il y a 20 ans.

En quelques années, ces innovations se sont diffusées et sont devenues progressivement une norme de marché jusqu’à ce que "20 ans après, la Sécu s’y mette", avec des conséquences pour tous les intervenants : les patients, les professionnels de santé, la Sécurité sociale, les assureurs, et les réseaux de soins.

Les patients seront-ils mieux soignés ?

C’est l’objectif affiché de la réforme : lutter contre le renoncement aux soins. Cet objectif sera certainement atteint en 2021 en ce qui concerne les retraités qui renoncent à s’équiper en prothèses auditives à cause d’un reste à charge trop important. En optique et prothèses dentaires, l’objectif ne pourra être atteint que si les personnes qui renoncent aux soins bénéficient effectivement d’une couverture complémentaire, d’où qu’elle vienne.

La part des remboursements de la Sécurité sociale va augmenter légèrement

La Sécurité sociale va augmenter ses remboursements en soins et prothèses dentaires, amorçant enfin un mouvement de rééquilibrage entre les soins, historiquement sous-tarifés, et les prothèses, à tarifs libres jusqu’à présent, de nature à favoriser la prévention et à améliorer sur le long terme la santé bucco-dentaire des Français.

La Sécurité sociale va augmenter légèrement ses remboursements en optique et massivement en prothèses auditives en les doublant pour les plus de 20 ans et en les multipliant par 7 pour les moins de 20 ans.

Les professionnels de santé vont limiter leur prix de vente sur le panier négocié. Mais sur le reste ?

En dentaire, optique et auditif, la réforme "100 % santé" crée un panier de soins à tarif maximum imposé et maintient en dehors de ce périmètre des tarifs libres. Les professionnels de santé ont pris l’engagement de proposer systématiquement un devis avec le panier de soins et la Sécurité sociale veillera à ce que les assurés choisissent bien principalement les actes proposés dans le panier de soins.

C’est un point essentiel de la réforme et pourtant il sera difficile de savoir a posteriori si un patient aura choisi en toute connaissance de cause et dans le plein exercice de sa volonté de sortir du panier de soins ou sur la recommandation du professionnel de santé.

Les cotisations des assureurs complémentaires vont augmenter

Selon nos estimations, si les contrats complémentaires santé avec des garanties élevées ne devraient pas être impactés par cette réforme, le prix des formules moyennes devrait augmenter de 15 à 20 % et le prix des formules basses d’environ 50 % : ce sont bien les assureurs complémentaires qui vont supporter l’essentiel de la charge de cette réforme, ce qui est cohérent avec le fait qu’ils représentent déjà l’essentiel des remboursements sur ces postes.

Les gammes de produits vont être revues

Dans une gamme de contrats responsables, augmenter de 50 % le tarif des formules basses et laisser inchangés les tarifs des formules hautes va pousser à réduire le nombre de formules proposées, d’autant plus qu’aujourd’hui, le choix d’une formule se fait en priorité en examinant les garanties dentaire et optique qui vont être uniformisées demain.

Au-delà de cet écrasement des gammes, les assureurs complémentaires vont devoir trouver des innovations pour se démarquer les uns les autres en mettant encore davantage en avant la prise en charge de prestations non remboursées par la Sécurité sociale (ostéopathes, psychologues…) et celle des honoraires des chirurgiens ou anesthésistes non signataires des dispositifs de dépenses maîtrisés, que le patient ne choisit pas, en-dehors du cadre des contrats responsables pour ce point.

Cette réforme qui renforce l’uniformisation de l’offre complémentaire santé va sans doute avoir pour effet paradoxal le développement des contrats surcomplémentaires non responsables.

Les réseaux de soins doivent se réinventer ou disparaître

Les réseaux de soins, inventés par les assureurs pour se différencier et permettre de proposer le "100 % santé" en 1998, ont évolué en 20 ans pour mettre en œuvre le tiers payant généralisé puis se sont regroupés pour bénéficier d’un effet volume important.

La Sécurité sociale créant de facto un réseau de soins national universel, ils sont devant un dilemme stratégique : se réinventer en imaginant de nouveaux services ou disparaître, ayant tellement démontré leur utilité qu’ils sont désormais vidés de leur substance par la Sécurité sociale. Penser survivre en se concentrant sur les prestations en dehors du panier de soins ne sera pas suffisant.

Les entreprises vont renégocier leur régime de frais de santé

Les assureurs ayant imposé à ceux qui voulaient des couvertures élevées en optique et en dentaire des niveaux élevés sur les autres postes, cette réforme est l’occasion de s’interroger sur le niveau des garanties des actes médicaux courants.

Rendre possible un reste à charge nul pour les lunettes, les prothèses dentaires et les prothèses auditives repose dans les entreprises la question de définir la limite entre ce qui doit être mutualisé entre les salariés, et donc pris en charge par le contrat obligatoire de l’entreprise, et ce qui relève du choix de chacun, qu’il doit donc financer lui-même. Est-il légitime que le contrat verse en Euros pour une dépense en-dehors du panier de soins la même chose ?

Moins ? Plus que dans le panier de soins ? Aux partenaires sociaux d’en débattre. Cette réforme ouvre donc de multiples chantiers pour l’ensemble des parties prenantes.