Les complémentaires

Les Echos - Sécu et mutuelles : des frontières à redéfinir

Décembre 2016, par Info santé sécu social

DE CLAUDE LE PEN

La politique actuelle de santé tend à encadrer et à uniformiser les prestations des mutuelles complémentaires, cantonnées à un rôle de payeur aveugle. Pourquoi ne pas leur redonner des marges de manoeuvre, en les autorisant à proposer des services innovants et personnalisés à leurs adhérents

La question des rôles respectifs de la Sécurité sociale et des mutuelles dans la couverture santé des Français, soulevée par François Fillon, n’est pas nouvelle : elle remonte à1945 ! Mais elle a été complètement renouvelée ces dernières années.
A travers la création de la CMU-C en 1999, et surtout la généralisation des contrats groupe d’assurance complémentaire dans toutes les entreprises à partir du 1er janvier 2016, notre pays s’est doté, à bas bruit, sans grand débat public, d’un système un peu baroque et unique au monde où se superposent deux couches obligatoires d’assurance-maladie, l’une publique, qui assure 77 % de la dépense, et l’autre privée, qui en couvre 14 %,laissant aux Français l’un des plus faibles « reste à charge » d’Europe (9%). Ce double dispositif, qui touche déjà à un titre ou à un autre plus de 95 % des Français, n’est obligatoire que pour les salariés, mais nul doute qu’il sera progressivement étendu. Des différences existent toutefois : la couche publique est largement fiscalisée, les assurés n’ont le choix ni de leur régime (général, fonction publique, etc.) ni de leur caisse (CNAMTS, RSI, MSA), les prestations entreprises ont le choix de leur assureur, les prestations varient d’un contrat à l’autre et… elle est en excédent !

Dans un tel schéma, l’assurance « complémentaire » n’est pas plus « complémentaire » que le premier étage d’une maison n’est « complémentaire » du rez-de-chaussée ! Elles font toutes les deux parties d’une maison unique, la « couverture santé généralisée », comme l’appelait déjà Jean-François Chadelat dans un rapport de 2003, pour laquelle on peut concevoir toutes sortes d’aménagements. Pour l’instant, la répartition entre les deux étages est plutôt empirique et historique. Elle varie en fonction de la nature des biens et services : le
dentaire et l’optique sont plutôt situés au premier étage, les médicaments sont ventilés entre les deux niveaux en fonction de leur « sont uniformes et le système est en déficit… La couche privée est intégralement financée par des cotisations sociales, les individus et les service médical rendu », les patients les plus lourds sont exclusivement logés au rez-de-chaussée, où ils bénéficient d’une prise en charge à 100 %, comme la plupart des patients hospitalisés.

Faut-il expliciter et rationaliser cette ligne de partage ? Sans doute, mais le critère de démarcation n’est pas facile à trouver. A tort ou à raison, les Français n’accordent pas le même poids à 1 euro remboursé par la Sécu, fruit d’une solidarité collective, et à 1 euro remboursé par une complémentaire santé, issu d’un choix privé des personnes ou des entreprises.

Plutôt que de chercher à rationaliser cette répartition, la politique actuelle tend à encadrer et uniformiser les prestations des complémentaires par le biais de cahiers des charges définissant des prestations minimales et maximales, dont le respect conditionne
les avantages fiscaux et sociaux attachés à ces contrats dits « responsables ». Elle interdit par exemple la prise en charge des dépassements d’honoraires de plus de 125 %, ou de 100 % du tarif de base. L’Etat voit le premier étage sur le modèle du rez-de-chaussée !
On peut y déceler une forme de nationalisation rampante de l’assurance complémentaire, mais il faut surtout y voir la volonté de cantonner cette dernière à un rôle de payeur aveugle en se privant de l’inventivité des opérateurs et de leurs capacités gestionnaires. Mais pourquoi ne pas prendre les choses différemment et tirer profit de cette diversité ?

Pourquoi ne pas réfléchir à une ligne de partage en partant ce qui fait la spécificité des organismes complémentaires, à savoir la proximité et la flexibilité, par rapport à une assurance-maladie obligatoire vouée par nature à rester très « service public ». Pourquoi ne pas mobiliser leur connaissance fine de leur clientèle et leur capacité d’innovation et de gestion ? Pourquoi ne pas laisser aux opérateurs des marges de manoeuvre réglementaires pour offrir, en plus des prestations financières, toute une gamme de services, adaptés à des clientèles
qui ne sont pas nécessairement les mêmes. Par exemple, des opérations de prévention et d’éducation pour la santé ; par exemple, des services de suivi des patients en sortie d’hospitalisation ; par exemple, une assistance pour trouver des filières de soins adaptés à certains patients ; par exemple, des aides à domicile pour des personnes handicapées ; par exemple, la mise à disposition d’équipements connectés et de services d’e-santé, etc.

La gamme de services à offrir n’a comme limite que l’imagination d’opérateurs stimulés par la concurrence. Si on souhaite que le système
de santé tire tout le potentiel de l’existence incontournable des complémentaires santé, il faut éviter le double écueil de les limiter à un rôle financier et de les enfermer dans un carcan réglementaire qui en inhiberait les potentialités.

Claude Le Pen, professeur d’économie à Paris Dauphine, a coprésidé
le dernier rapport de l’Institut Montaigne sur la santé.