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Les Echos - Trois solutions pour en finir avec les déserts médicaux

Septembre 2017, par Info santé sécu social

LE CERCLE/POINT DE VUE - Les politiques ont semblé découvrir les déserts médicaux avec la présidentielle de 2017. Les solutions proposées – le maintien la liberté d’installation des médecins et les primes à l’installation – risquent fort de ne produire que peu d’effet. Pour autant, il en existe d’autres.

Même si la "diagonale du vide" en France connaît une couverture médicale insuffisante de longue date, les politiques ont semblé découvrir les déserts médicaux avec la présidentielle de 2017 . Les solutions proposées – le maintien la liberté d’installation des médecins et les primes à l’installation – sont des plus classiques et risquent fort d’être peu efficaces. Pour autant, il en existe d’autres.

Les déserts médicaux sont particulièrement subis dans les départements ruraux qui voient leur population décliner de décennie en décennie (Indre, Creuse, Cher, Cantal, etc.) Ils se manifestent alors qu’un de contrôle, soit pour un examen par un spécialiste.

S’il reste des spécialistes, le rendez-vous qui pourra être fixé le sera à une date très éloignée (jusqu’à un an pour un ophtalmologiste ou dermatologue) ou bien à une date plus proche à condition de parcourir une cinquantaine de kilomètres et consulter dans un département voisin. Le phénomène s’explique par trois séries de raisons.

Trois raisons pour un désert médical

Tout d’abord, les médecins prenant leur retraite éprouvent les plus habitant doit prendre rendez-vous avec un médecin, soit pour une visite grandes difficultés à se trouver un successeur. Les jeunes médecins souhaitant s’installer tendent à privilégier des régions dynamiques, à l’instar de l’Ile-de-France, Rhône-Alpes (plus que sa moitié auvergnate) ou encore PACA.

Il s’agit de régions densément peuplées et surtout dotées d’infrastructures inégalables pour toutes sortes d’activités culturelles, éducatives ou sportives, mais aussi de réseaux de transports performants. Ainsi, un cabinet ou une maison de santé en milieu rural sous-équipé peinera-t-il à attirer de jeunes médecins.

Ensuite, la déconcentration de la politique de santé au niveau des Agences Régionales de Santé et l’application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) se traduisent mécaniquement par des fermetures d’hôpitaux réputés coûteux ou peu performants au profit de grands établissements de santé en milieu urbain.

La logique sous-jacente consistant à promouvoir une offre de soins de grande qualité et à coûts maîtrisés révèle que ces hôpitaux ruraux n’ont pas la masse critique leur permettant d’être viables.

Enfin, même à supposer que certains petits hôpitaux demeurent, nombre de départements ruraux ne comptent pas de CHU, n’offrant ainsi pas la possibilité à de jeunes médecins de faire leur internat en milieu rural.

Bien souvent, ces hôpitaux ne figurent même pas sur les listes de choix proposés aux étudiants en médecine par les grands CHU régionaux. Au final, les jeunes internes se trouvent ignorer les réels besoins médicaux de ces départements frappés par l’aridité du désert médical.

La médecine entre politique de santé et aménagement du territoire

Jusqu’aux premières lois de décentralisation en 1986, la médecine relevait conjointement des politiques de santé et d’aménagement du territoire. Aujourd’hui, avec une tendance du politique et de l’administratif à se spécialiser et à segmenter les grands dossiers de l’action publique, la médecine est passée tout naturellement sous le giron des seules politiques de santé.

Les contraintes sont alors liées à la qualité des soins et la maîtrise des coûts, pour ne pas dire de la capacité des établissements à se montrer rentables. Dans ces conditions, il est tout naturel que de petits hôpitaux ferment.

Une décision d’ouvrir ou fermer un établissement résultant d’un arbitrage entre considérations liées à l’aménagement du territoire et considérations relevant de politique de santé. Certaines communes rurales pouvaient conserver un hôpital parce que celui-ci jouissait d’un large rayon d’attraction pour des patients et parce qu’il était aisément accessible.

Un hôpital pouvait également rester ouvert parce qu’il permettait de maintenir une activité dans une zone autrement sinistrée, évitant que des cantons entiers ne soient caractérisés par des taux de chômage élevés. Un hôpital fait parfois vivre bien plus que les familles des personnels qui y travaillent, mais aussi des commerçants locaux.

Des solutions traditionnelles inefficaces

Les déserts médicaux ne sont pas une fatalité, même si deux types de solutions ont été avancés sans réellement pouvoir être mis en oeuvre. Le premier type de solution, qui consistait à entraver la liberté d’installation des médecins en délivrant des visas d’installation pour telle ou telle zone géographique, a fait l’objet d’un rejet massif des syndicats de médecins.

Ceux-ci exerçant une profession libérale et n’étant pas des agents du service public, contraindre leur installation remettrait profondément en cause ce statut de la médecine libérale.

La deuxième consistait à offrir des facilités à l’installation de jeunes médecins dans les déserts médicaux sous forme de primes ou bien d’abattement de charges. Cette solution ne produit que peu d’effets dans la mesure où la question financière n’est pas la motivation première des médecins.

Si le canton d’installation considéré n’offre pas d’infrastructures suffisantes, les incitations financières ne compenseront pas ces faiblesses intrinsèques.

Trois remèdes innovants pour en finir avec les déserts médicaux

Face à l’accroissement des contraintes pesant sur la médecine et à l’inefficacité des solutions traditionnellement proposées, il peut exister trois remèdes.

Le premier remède viendrait pallier le manque de médecins à très court terme tout en produisant des effets sur une génération. Il consiste, à s’inspirer de ce que font de longue date d’autres pays, comme le Canada, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande en inscrivant la politique de santé dans le cadre de la politique migratoire.

En effet, ces trois pays tiennent à jour une liste de toutes les régions rurales connaissant une pénurie de médecins . Ne pouvant les trouver parmi les étudiants en médecine dans le pays, les pouvoirs publics n’ont d’autre possibilité que de les faire venir de l’étranger.

C’est là qu’est la radicalité de la mesure : un visa ne peut être attribué qu’à condition que le postulant s’installe dans l’une des régions visées sur la liste et y reste un certain nombre d’années. S’il quitte la région en question, il perd d’office son titre de séjour et doit quitter le pays.

En France, on pourrait imaginer que les sous-préfectures délivrent les titres de séjour accompagnés de permis de travail valides exclusivement sur le territoire de leur arrondissement. Ceci permettrait à la fois de repeupler très rapidement des zones rurales en déclin démographique tout en évitant la surmédicalisation de régions déjà très bien dotées.

Le deuxième remède viendrait combler partiellement le manque de médecins à moyen terme, s’inspirant du principe des IPES (indicateurs pour le pilotage des établissements du second degré) connus en vigueur de 1957 à 1978 pour pallier le manque d’enseignants en milieu rural.

Dès la deuxième année de leurs études, une fois obtenu le concours d’admission, les étudiants en médecine auraient le statut de fonctionnaires stagiaires et seraient rémunérés comme tels jusqu’à l’obtention de leur diplôme.

Pendant toute la durée de leurs études, ils toucheraient donc un traitement de fonctionnaire au même titre qu’un titulaire. En
Comme dans les grandes écoles de la République, une liste des postes vacants serait ouverte aux jeunes diplômés qui pourraient alors choisir selon leur classement où ils s’établiront. À l’issue de la période due au service public de la médecine, ils pourraient s’établir tout à fait librement à l’endroit de leur choix. contrepartie, une fois diplômés, ils devraient un certain nombre d’années au service public de la médecine.

Enfin, un troisième remède viserait à consolider à plus long terme le maillage médical du territoire en spécialisant les petits hôpitaux ruraux. De toute évidence, il n’est pas viable que tous les hôpitaux soient généralistes, aient une maternité ou un service de chirurgie.

En revanche, on pourrait tout à fait envisager que chacun s’oriente vers une spécialité de pointe. Ainsi pourrait-on avoir un hôpital en région en pointe sur l’addictologie, un autre en médecine du sport et rééducation, ou encore en gériatrie.

À ce jour, l’hôpital du Blanc dans l’Indre, menacé de fermeture depuis plusieurs années, cherche à se spécialiser dans le traitement pluridisciplinaire de l’alcoolisme, devenant le seul en France. Son avenir, certes en suspens, tient à sa capacité à démontrer son excellence.

Vassili Joannides de Lautour est professeur à Grenoble École de Management, Queensland University of Technology et l’Université de Parme