Le système de santé en France

Liberation.fr : Les factures salées des patients de l’IHU de Marseille dans le viseur de la Sécu

Juillet 2022, par infosecusanté

Liberation.fr : Les factures salées des patients de l’IHU de Marseille dans le viseur de la Sécu
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Il y a seize mois, « Libération » avait enquêté sur le recours massif aux hospitalisations de jour au sein de l’AP-HM en 2020, représentant un coût important pour la Sécurité sociale. Le directeur général de l’assurance maladie a reconnu ce mercredi l’ouverture d’une procédure.

par Christian Lehmann, médecin et écrivain

publié le 20 juillet 2022

Le 10 mars 2021, Libération révélait, après une enquête de plusieurs mois, l’existence d’un système de recours massif aux hospitalisations de jour (HDJ) au sein de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) au cours de l’année 2020, représentant un coût important pour la Sécurité sociale, les organismes complémentaires, voire les patients sans mutuelle. Au cœur des interrogations, le rôle de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection, dirigé alors par le professeur Didier Raoult. Seize mois plus tard, la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) semble sortir de son immobilisme.

Ce mercredi, le directeur de l’instance, Thomas Fatôme, était auditionné par la commission des affaires sociales du Sénat sur le rapport annuel des charges de la Sécurité sociale. La question est venue du sénateur écologiste de Paris Bernard Jomier, très impliqué sur le dossier : « Il y a une fraude par surfacturation alléguée avec des arguments sérieux qui portent sur plusieurs millions d’euros à l’IHU Marseille. Avez-vous ouvert une enquête ? Avez-vous pris des mesures ? A l’heure où l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) font enfin leur travail et que leurs rapports sont, pour celui de l’ANSM qui est définitif, absolument cinglant, et pour ce qui est de celui de l’Igas, qui n’est pas encore définitif… inquiétant, sur les dérives de l’IHU. »

Pour la première fois, Thomas Fatôme reconnaît l’ouverture d’une procédure. « Nous avons engagé depuis plusieurs semaines des échanges avec les hôpitaux de Marseille pour avoir des éléments pour comprendre le niveau de facturation des hospitalisations de jour qui nous semblent plus élevées dans les hôpitaux de Marseille qu’ailleurs, et nous attendons des retours et des compléments d’explication… pour le cas échéant engager les démarches nécessaires. »

« On me demande 250 euros pour chaque passage »
Libération avait été alerté par des patients reçus en consultation à l’IHU Marseille, effarés des sommes qu’on leur réclamait : « Si on m’avait prévenu du tarif, je n’y serais même pas allé, parce qu’au final je n’ai pas pris l’hydroxychloroquine vu que j’étais asymptomatique, témoignait l’un d’eux. Je n’ai pas de mutuelle. Vu les examens, je n’imaginais pas que ça allait coûter une journée d’hospitalisation. Et on me demande 250 euros pour chaque passage. Quand je pense au coût global pour la Sécurité sociale, les mutuelles, voire les patients… 1 264 euros à chaque fois, 3 800 euros au total, je ne comprends pas. On nous parle maintenant d’hospitalisation de jour, mais en fait la prise en charge dure dix minutes pour faire les prises de sang, trois minutes trente pour faire l’électrocardiogramme, et cinq minutes la consultation pour la délivrance de l’hydroxychloroquine, et voilà. Le reste, ce n’est que de l’attente dans les couloirs. »

Notre enquête avait permis de révéler l’ampleur des sommes potentiellement concernées, à hauteur de 25 millions d’euros, mais aussi une suractivité sans commune mesure avec celle des autres établissements français à la même époque. Le nombre d’hospitalisations de très courts séjours (zéro à une nuit) pour « infections et inflammations respiratoires, âge supérieur à 17 ans », avait certes subi une nette augmentation entre 2019 et 2020, du fait de l’épidémie de Covid-19. Mais la région Paca à elle seule représentait alors près de 41% des hospitalisations de ce type en 2020, « ce qui n’est pas sans lien avec le suivi en HDJ mis en place par l’IHU, en particulier au printemps dernier, auprès d’une importante cohorte », comme le notait la Fédération hospitalière de France-Paca.

Jeu de bonneteau financier
Confrontés à ces révélations, l’IHU Marseille du professeur Raoult et la direction de l’AP-HM s’étaient renvoyé la balle. « L’IHU ne perçoit pas de rentrées financières liées aux activités de soin exercées dans ses murs », assenait Yanis Roussel, alors en charge de la communication du professeur Raoult. Tandis que l’AP-HM expliquait facturer aux patients uniquement… en fonction des données communiquées par l’IHU. Au-delà de ce jeu de bonneteau financier, Libération révélait que ce système d’hospitalisations de jour avait permis à l’IHU de prescrire largement de l’hydroxychloroquine, à un moment où cette prescription hors autorisation de mise sur le marché était uniquement acceptée dans le contexte d’une hospitalisation.

Libération s’était aussi procuré le courrier de Dominique Martin, alors directeur de l’ANSM, à Nicolas Revel, à l’époque directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie avant de devenir directeur de cabinet de l’ancien Premier ministre Jean Castex. Il s’y s’interroge sur les « coûts d’hospitalisation non justifiés associés aux prescriptions », courrier resté sans réponse, la Cnam ayant alors estimé qu’« il n’y avait pas lieu à action ». S’appuyant sur nos révélations, le sénateur et médecin Bernard Jomier avait alors posé une question écrite au ministre de la Santé de l’époque, Olivier Véran. Cette question écrite, à laquelle la coutume veut qu’une réponse soit donnée sous deux mois, n’a jamais obtenu de réponse, comme le pointait Bernard Jomier le 30 juin 2022 : « Voilà, la question parlementaire que j’avais posée en mars 2021 sur les surfacturations de l’IHU Méditerranée n’aura pas de réponse. Elle est déclarée caduque [du fait du changement de législature, ndlr]. C’est cela le mépris du parlement et c’est une attitude peu démocratique. »